Quand on demande aux enfants : “qu’est ce que tu feras quand tu seras grand ?”, ils racontent leur futur métier, tel qu’ils l’imaginent. Une réponse à écouter avec attention car elle est loin d’être anodine. C’est une question d’identité, explique Najat Mennouni, chercheur en sciences de l’éducation, spécialiste en orientation. L’idée qu’un enfant peut se faire de son avenir commence entre 5 et 7 ans. Il va alors se projeter dans le futur en permanence. À l’âge de l’école primaire, les enfants ont une intelligence concrète. Pour eux, l’idée de métier est intimement liée au verbe fabriquer. “Je veux être flic pour poursuivre les voleurs, je veux être maîtresse pour faire lire et écrire les enfants.”
Vers 9 et 12 ans, la passion de devenir maîtresse retombe. Seul(e)s les premiers de la classe rêvent encore d’enseigner, à cause de l’image du savoir. Les autres préfèrent changer d’univers. Elles (ils) se rêvent animatrices ou animateurs à la télé, actrices ou acteurs, chanteuses ou chanteurs, mannequins. À cet âge-là, l’aspect physique qui a un rapport avec l’image idéale que l’on se fait du corps devient très important, constate Najat Mennouni. Filles et garçons ont des soucis d’image, très tôt. Un souci amplifié par les réseaux sociaux qui font la part belle au nombrilisme.
Quand l’adolescence pointe son nez, poussés par l’ambiance du collège, les jeunes changent souvent de vocation. Orientation, projet professionnel, études courtes ou longues : il faut commencer à choisir, même s’il s’agit de filières scolaires et si le vrai choix professionnel est encore loin. L’informatique, le cyber espace, les finances tentent de plus en plus filles et garçons à partir du collège. Pour eux, l’informatique est un mot magique, car ils ont une approche très ludique des ordinateurs, remarque Zahra Mouadden, inspecteur en mathématiques. Les professions sociales autour de l’humanitaire redeviennent à la mode, de même que l’environnement et les énergies renouvelables. Les ados d’aujourd’hui comme ceux d’hier croient mordicus qu’il est possible de changer la face du monde ! Les catastrophes naturelles qui frappent notre planète et qui sont hyper médiatisées constituent un déclic pour les jeunes d’aujourd’hui, très écolo dans l’âme.
Si chaque âge a ses centres d’intérêt, il existe aussi des passions communes. Ainsi les métiers en relation avec les animaux enthousiasment à la fois les écoliers, les collégiens et les lycéens. Le métier de vétérinaire garde encore ses marques de gloire et ses lettres de noblesse. Amine, lycéen de 16 ans n’a qu’un objectif, devenir cétologue pour s’occuper des baleines. Les militants de Greenpeace sont ses idoles.
S’identifier à quelqu’un qu’on aime
Effet de mode, influence de la famille ou produit de l’imagination, comment naissent ou disparaissent ces vocations souvent fugitives ? Le projet dans l’avenir d’un enfant suppose d’abord une identification à quelqu’un qu’il aime ou un petit bouleversement dans sa vie. Des éducateurs nous expliquent que lorsque la petite fille veut être maîtresse, c’est qu’il est certain qu’elle aime bien la sienne. Quand le petit garçon veut être pompier, c’est souvent parce qu’il est séduit par le bruit et la mécanique du camion rouge. Trop cliché ? Probablement. Nous, nous avons surtout rencontré des lycéens qui ne savent pas trop ce qu’ils aimeraient devenir demain. Tous ces lycéens n’auraient pas été touchés par la grâce d’une rencontre ?
Les spécialistes expliquent que chez les plus jeunes, l’influence des parents s’avère déterminante. “Avant la puberté, les enfants rêvent en fonction de ce que les parents rêvent pour eux, en grand, en merveilleux, en magique, explique Najat Mennouni. Leur grand projet est de faire plaisir à leur papa et à leur maman. Tout ce qu’ils font, ils le font pour être aimés et acceptés. Mais si les parents ont des rêves très (trop) précis, alors l’enfant aura du mal à trouver le sien.”
À l’adolescence, c’est souvent le grand chambardement. La priorité n’est plus de plaire à ses parents. L’enfant fait de contre-rêves, des rêves de rupture. Celui dont les parents ont fait des études brillantes pourrait vouloir décrocher complètement en classe. “L’enfant représente toujours pour son père et sa mère, l’espoir d’un nouveau monde, poursuit Madame Mennouni. Le poids des attentes parentales peut lui sembler étouffant, surtout quand les parents savent qu’ils n’auront qu’un ou deux enfants. Si l’on n’y prend pas garde, cela peut provoquer beaucoup de gâchis, voire des drames.”
Attention aux enfants qui ne rêvent plus !
Est-ce à dire que les parents ne doivent rien imaginer pour leur enfant ? Sûrement pas ! Ce serait le signe d’une indifférence à son égard. “Il faut surtout qu’ils s’interrogent sur ce qui motive leurs propres désirs pour l’enfant, conseille madame Mennouni. Ce retour sur soi est nécessaire pour éviter de téléguider son enfant.” Attention aussi à ne pas tuer tous ces rêves d’avenir au nom du réalisme. Des enseignants notent que de plus en plus d’enfants placent leurs propres désirs en dernière position. Ils ne peuvent plus s’autoriser à rêver ce qu’ils veulent faire. Dès leur plus jeune âge, leur premier critère de choix, c’est le débouché professionnel. “Le chômage et le pessimisme ambiant sont des freins aux rêves d’avenir, souligne Najat Mennouni. Cela renforce une grande insécurité chez les enfants. Il y a moins de vocations qui s’expriment tôt et qui perdurent…”
En effet, les enfants sont très tôt mis au courant des problèmes du monde du travail. Le Web est anxiogène. Dès l’entrée au collège, ils disent ne pas savoir si l’avenir sera viable. Il y a une angoisse du chômage très forte qui pèse sur leur vie quotidienne. Il y a un désinvestissement au lycée pour les matières non rentables. Quand aux adolescents qui choisissent des filières difficiles, ils ont tendance à sacrifier tout ce qui leur fait plaisir (sport, musique et autres loisirs) pour se polariser sur leurs études. Beaucoup d’enfants même très jeunes, n’imaginent que ce qui est strictement réalisable et perdent ainsi leur capacité à se projeter dans le futur. Les psychologues constatent que les jeunes ont de plus en plus de mal à imaginer leur avenir et refusent parfois même de l’évoquer car, explique madame Mennouni : “ils ont peur d’avoir peur.”
Cette difficulté à se projeter dans l’avenir est particulièrement critique dans les milieux défavorisés : “Les enfants de familles moyennes ou aisées font des projets de vacances, de voyage. Ils font la différence entre le travail et le repos, l’école et le week-end. Cela met leur vie en perspective. Les enfants issus de familles modestse ont une vie monotone ; les jours ne se différencient pas : on ne part pas en vacances. Ils n’ont pas une vie suffisamment remplie et rythmée pour pouvoir se projeter dans un avenir lointain. Il est normal que l’enfant soit un peu irréaliste et change plusieurs fois d’avis concernant son rêve de métier. Petit à petit, vers la fin du collège, il va transformer ses désirs et ses projets en parties imaginaires d’un côté et en objectifs concrets de l’autre. La période où il choisit sa voie est un moment difficile. C’est là où l’attitude des parents est primordiale. Il ne faut ni dramatiser, ni les bousculer. Même s’ils accusent un an de retard comparativement à leurs pairs pour fixer leur choix, ce n’est pas du temps perdu. S’ils ne disposent pas de cette marge de manœuvre, le jour ou ils vont prendre conscience qu’ils ont totalement négligé leurs propres désirs, ce sera dévastateur”, remarque Najat Mennouni.
L’enfant a le droit d’hésiter et de se tromper. Ce qui importe, c’est de ne jamais transformer sa difficulté à choisir en problème et de ne pas s’alarmer devant son incertitude. Il faut lui faire confiance. Les parents doivent être attentifs à orienter leur enfant dans un champ large pour que le jour où il se réveille de ses rêves, il se trouve dans les meilleures conditions possibles pour développer sa passion. Nous avons tous quelque chose en nous qui attend et qui, un jour, se réalise. Au moins partiellement. υ
Nos remerciements à madame Najat Mennouni, chercheur en sciences de l’éducation.
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Concrétiser son rêve de métier…
Rêver à un métier, finir par en choisir un autre est un long processus. Un processus qui se vit, se rêve, se tisse au fil des ans et ce n’est souvent qu’après coup qu’on en saisit réellement le sens et l’essence. Et pour que cette longue gestation se déroule dans de bonnes conditions, on a besoin de ressources internes et externes.
Partir d’abord de soi
Et non des projections et/ou souhaits des parents. Idéalement le rêve d’un métier, d’une carrière prend racine en nous. Plus ce métier correspond à nos rêves d’enfance, à nos habilités innées, plus il est vécu comme naturel et satisfaisant. L’imagination joue un rôle vital chez les enfants. Leurs rêves sont l’embryon de leurs visions et de leur originalité. Quant à leurs talents, c’est en cela qu’ils puiseront leurs forces et leur assurance.
Ressentir un appel
La carrière commence à prendre forme lors d’une rencontre avec une personne (un prof stimulant, un parent encourageant, un artiste charismatique) ou un événement (un déménagement, la lecture d’un livre catalyseur, un accident, une maladie comme cela fut le cas pour le célébrissime Jacques Salomé qui a raconté la naissance de sa vocation sur son lit de malade dans ses livres) qui réveille un désir et met en place des conditions pour passer à l’action. C’est l’appel. Et lorsque vient l’appel, il faut avoir le courage de dire oui. C’est là que l’adulte se doit d’encourager l’enfant et de lui donner une petite poussée.
S’investir
Pour déployer ses ailes, on a besoin de s’investir au niveau de la tête, du cœur et des tripes. La tête aide à se connaître, à apprécier son potentiel avec justesse, à bien lire son environnement et à évaluer ainsi les exigences reliées à son rêve. Le cœur donne la direction à suivre. Aller vers ce que l’on aime (les lieux, les gens, les activités) est la meilleure boussole qui soit. Les tripes sont la clé de la concrétisation du rêve. Elles donnent de l’énergie, la persévérance et la discipline nécessaires au passage à l’action.