Driss Ksikes, le catalyseur d’idées

Le grand public connaît Driss, le journaliste. C'est à une rencontre avec Ksikes, le dramaturge, que nous convions lectrices et lecteurs. Une rencontre qui a pour prétexte sa dernière pièce de théâtre, "OEdipiades", récompensée récemment dans le cadre du concours de dramaturges africains, organisé par Arterial Network et National Theatre Studio à Londres. "OEdipiades" met en scène un tête-à-tête entre un père et son fils. Des échanges au scalpel qui invitent chacun de nous à interroger ses rapports à ses propres parents et à scruter ses relations avec ses rejetons. Inspirant !

FDM : “OEdipiades”, n’est-ce pas un titre trop convenu pour la pièce ?

Driss Ksikes : Le texte de la pièce ne m’a pas été inspiré par le complexe d’OEdipe à proprement parler. C’est à la lecture de la “Lettre au père” de Franz Kafka que l’idée s’est bien construite dans ma tête. Le néologisme “OEdipiades”, dérivé d’olympiades, me permettait d’introduire l’aspect confrontation entre le père et le fils, autour d’un match de foot. J’ai l’habitude de forger les titres de mes textes en amont. Cette foisci, je suis arrivé à ce qui peut paraître de prime abord convenu à partir d’un cheminement tortueux. C’est finalement un jeu de mots qui me permet de tordre le cou au mythe puisqu’Ali, le fils dans la pièce, hésite à tuer symboliquement le père, Moussa, et développe dans l’espace virtuel une relation quasi-incestueuse avec l’avatar d’Ytto, sa mère. C’est un personnage dépressif, hyper-moderne, en perte de repères et en quête d’une mère pour noyer son malêtre. C’est ce qu’on peut appeler une réinterprétation libre, contemporaine d’un patrimoine littéraire universel.

Faut-il envoyer le père en “prison” pour prendre les devants ?

Très bonne question. Pourquoi ne pas assumer la confrontation sans détour ? Au fond, Ali, le fils, ne s’est construit sa personnalité qu’en l’absence du père mis en prison, et dans l’échange surréaliste avec l’avatar de sa mère décédée à sa naissance. J’ai voulu confronter deux êtres censés être ensemble, terriblement esseulés, prisonniers chacun de son silo : la cellule pour Moussa, et face-to-face (métaphore de Facebook) pour Ali. Au fond, je continue de travailler obsessionnellement sur l’incapacité d’êtres, dans une même société, à communier, à faire lien. Et cette fois-ci, j’ai pris l’espace de la famille nucléaire pour dramatiser les silences, les faux dialogues, l’incompréhension mutuelle, et surtout l’incapacité à assumer le rapport au monde extérieur. “OEDIPIADES EST UNE SORTE DE RÉINTERPRÉTATION CONTEMPORAINE D’UN PATRIMOINE LITTÉRAIRE UNIVERSEL. ELLE ÉVOQUE L’INCAPACITÉ DES ÊTRES À SE RÉVOLTER ET LEUR SOUMISSION CONSENTIE À UN DIKTAT HÉRITÉ.”

Dans la pièce, c’est le père qui tue le fils. C’est le monde à l’envers ?

Une certaine littérature, à connotation psychologique, nous apprend qu’il faut tuer le père pour voler de ses propres ailes… Dans l’une des interprétations faites du texte, certains me demandent s’il ne faut pas y voir l’image d’Abraham voulant sacrifier son fils sur l’autel de Dieu. Je n’y ai pas pensé moi-même. Mais cela fait partie des lectures qui enrichissent le texte. Ce que je peux dire, pour ma part, c’est que cette pièce, écrite quelques mois avant l’irruption des révolutions arabes, évoque, dans la lignée de ma précédente pièce “IL” (2008), l’incapacité des êtres à se révolter, à tuer le père, et leur soumission consentie à un diktat hérité, imposé et pesant. Au lieu de me faire le chantre du bien-être supposé pouvant advenir d’une émancipation réussie, je préfère décortiquer le malaise produit par une émancipation empêchée. “OEdipiades” interroge justement la volonté inhibée du fils à en découdre. C’est moins rassurant et plus déstabilisant peut-être. J’aime quand le théâtre sert à produire de tels effets.

Le match de foot, un match Nord-Sud en bruit de fond du duel père-fils, est-ce pour marteler que la vie est un combat ? Les Rocs, métaphore des pères qui perdent à la fin contre les Crans, les rejetons ?

En comprenant que ce sont finalement les fils qui l’emportent face aux pères, vous prenez le contre-pied de l’interprétation précédente. Comme le disait Brecht, “un auteur de théâtre n’est pas censé montrer la voie, mais esquisser toutes les voies possibles”. Je crois beaucoup à l’intelligence du public, aux écritures superposées que produit la mise en scène, le jeu puis la réception de la pièce. Donc, je vous dis oui, un interminable combat, mais certainement pas entre le bien et le mal. Je ne sais pas qui a raison et qui gagne. Ce n’est pas cela qui importe à mes yeux. C’est le processus de la bataille qui compte, c’est là que l’humanité, la faille de chacun transparaît.

Pourquoi ce besoin de revenir sur la paternité, jamais certaine, au contraire de la maternité, toujours flagrante ? “Une mère ne meurt pas. Le père part, disparaît, meurt. La mère jamais.” Le pensez-vous vraiment ?

Ce que je pense aujourd’hui de la paternité, alors que je suis moi-même père, n’a rien à voir avec ce que je pensais avant d’avoir des enfants. Et puis, peu importe ce que je pense. L’essentiel est ce à quoi cela vous fait penser. C’est un personnage donné qui le pense. C’est sa condition historique, tiraillée entre une mère absente et un père trop présent, qui l’a amené à une telle inversion. Un texte sert à donner corps à des personnages qui disent des choses qu’on croit venir d’une conscience supérieure. Il n’en est rien. Les trajectoires sinueuses et imprévues de l’écriture m’interdisent d’avoir des idées arrêtées. Sinon, je serais producteur d’idéologie.

Après “Ma boite noire” et “OEdipiades”, pouvez-vous nous éclairer sur la façon “de se libérer de l’idée qu’il faut être à la hauteur face à des parents qui eux, ne le sont pas vraiment” ?

Je refuse le prisme très limitatif de l’autobiographie. Comme être humain et social, comme observateur mais aussi comme lecteur, je remarque que le rapport au père n’est pas très présent dans la littérature, et que les non-dits qui le construisent dans nos vies demeurent inaudibles, très peu déterrés. C’est un peu ce que j’essaie de faire. C’est très bien que vous citiez “Ma boîte noire” parce que ce roman, que j’ai publié il y a cinq ans de cela déjà, portait en lui les germes d’“OEdipiades”. La confrontation du père et du fils face à un match de foot y était présente, telle une souche dormante que j’ai réactivée pour écrire cette pièce. â– 

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