Pour son anniversaire, ses parents lui ont acheté le bolide radiocommandé dont il rêvait. Pourtant, Hicham, 7 ans, n’est pas satisfait. Il a sans cesse envie de quelque chose. Les grandes surfaces sont pour lui un réservoir de trésors et il jette alternativement son dévolu sur des friandises, des jouets, des vêtements : “Dis maman, je veux ça, tu me l’achètes ?” Il fait partie de la tribu des éternels insatisfaits, ces enfants qui ne semblent jamais rassasiés, qui donnent l’impression de vivre en état de manque quasi permanent. Ils voudraient plus de gadgets, un vélo plus beau, encore plus de consoles de jeux, des kilos de bonbons… “Ils n’ont pas besoin de tout ça”, pensent ceux qui ne savent pas toujours comment s’y prendre pour éduquer sans trop frustrer. Faut-il céder à toutes les exigences de ces petits gloutons ? “S’ils le font, à supposer qu’ils en aient les moyens, les parents n’agissent pas de façon responsable et vont à l’encontre des intérêts, à moyen et long terme, de l’enfant”, alerte Batoul El Harti, psychiatre. Dans tous les cas, mieux vaut éviter de répondre à la demande de l’enfant sur le champ et prendre son temps, amener l’intéressé à verbaliser sa demande. Il répondra probablement que ce jouet, par exemple, est beau, génial, ou encore que tous ses camarades l’ont. Il expliquera comment il se sentirait s’il le possédait. Les éducateurs recommandent de montrer à son chérubin qu’on le comprend, qu’on entend son envie, son attirance pour tel objet ou telle chose. Ensuite, profitant de l’accalmie ainsi amenée, on peut expliquer les raisons pour lesquelles on ne peut pas satisfaire immédiatement son désir. Eduquer, c’est aussi doser les frustrations. Le parent, évidemment, n’agit pas ainsi pour faire souffrir son rejeton ; mais il doit lui faire comprendre qu’il exerce ainsi sa responsabilité d’adulte. “Il n’est pas bon que l’enfant, sous prétexte de le laisser s’épanouir librement, ne rencontre jamais de résistance, explique Batoul El Harti. Les parents sont très sensibles aux regards désapprobateurs quand leur petit agit de façon virulente dans un lieu public. A la colère s’ajoutent alors la culpabilité et la honte. Pour faire tomber l’intensité du stress, il suffit de penser qu’autour, il y a sûrement des pères et des mères qui ont vécu des épisodes semblables, qui comprennent le malaise et savent combien il est difficile de gérer une situation conflictuelle devant les gens.” Mieux vaut donc gérer sa propre crispation et laisser l’enfant ronchonner, taper du pied. Souvent, les adultes surestiment le côté raisonnable de leurs rejetons, quel que soit leur âge. Ces derniers sont en constant apprentissage… et les parents aussi ! Rien ne s’apprend du jour au lendemain. Les enfants étant plus émotifs et impulsifs que rationnels, ils ont besoin qu’on les aide à prendre conscience de certaines choses, mais pas dans la colère. Laissons-les donc trépigner. Peu à peu, ils maîtriseront leurs désirs et accepteront les frustrations.
Face à l’insatisfaction chronique…
Mais la mise en place de ce type de dialogue ne résout pas toutes les voracités. Il faut parfois aller plus loin. En réclamant des objets, l’enfant exprime assez souvent une demande que les parents doivent chercher à entendre. Par exemple, Nadia, 9 ans, se sent toujours moins bien servie que sa grande soeur de 13 ans : “Elle compare tout. Les cadeaux, les fringues…, raconte sa mère. Quels qu’ils soient, elle trouve les siens moins bien. Elle veut la réplique exacte de ce que possède sa soeur.” “Il est bon que les parents permettent à la cadette de dire sa déconvenue afin que celle-ci se sente comprise jusque dans sa jalousie”, explique notre psychiatre. Ainsi, elle se sentira et deviendra moins victime et donc, moins coupable. Souvent, l’enfant jaloux pense que s’il n’a pas la même chose que les autres, c’est parce qu’on l’aime moins et donc, qu’il n’est pas digne d’un véritable amour. “Les parents doivent amener l’enfant à se situer par rapport à lui-même, et non par rapport à ses frères et soeurs. Il faut signaler l’avantage qu’il y a à être plus grand ou plus jeune. Au lieu de dire “on vous aime pareil”, mieux vaut insister sur les différences. Les parents doivent se rendre à l’évidence, explique Batoul El Harti. On ne donne pas pareil à chacun. On ne donne pas la même part du gâteau. Ce n’est pas possible et ce ne serait pas souhaitable.” La cadette se sentira soulagée et se montrera moins revendicatrice quand elle sera certaine d’occuper une place unique dans le coeur de ses parents. Le problème avec Réda, 7 ans, c’est précisément qu’il veut occuper toute la place au point de se prendre pour le centre du monde. “A l’école, tout va bien, raconte sa mère. Chez les grands parents, il est raisonnable, parfois même adorable ! Mais à la maison, il en va autrement. Il ne semble pas jaloux de sa soeur, ni de son frère. Pourtant, il lui faut tout : les gâteaux qu’il ne finit pas, les jouets des autres qu’il casse, les livres auxquels il ne touche pas… C’est le spécialiste de “tu me le donnes” dès qu’un membre de la fratrie possède quelque chose. Evidemment, ses exigences ne sont pas toujours satisfaites. Alors Réda s’emporte jusqu’à friser la crise de nerfs. Je me tue à lui expliquer qu’il ne peut pas tout posséder. Sur le moment, il comprend très bien, mais il recommence. Il se conduit comme s’il n’acceptait pas le refus.” “Quand le discours, le dialogue ne portent pas leurs fruits, c’est souvent au plus profond du vécu de l’enfant qu’il faut accepter de plonger pour décoder son comportement”, avertit notre psychiatre. Vu de l’extérieur, Réda, qui est choyé et aimé, a “tout pour être heureux”. Et pourtant, il ne l’est pas. Quelque chose lui fait défaut, et il cherche à combler ce manque par une demande d’objets. Mais évidemment, cela ne marche pas, comme le souligne sa maman. Les sollicitations incessantes peuvent renvoyer à des tas de facteurs ; chaque cas étant particulier. Mais il existe de fortes chances pour que l’insatisfaction récurrente chez un petit, quand tout semble normal, soit conséquente à une faiblesse de la fonction parentale. Les éternels insatisfaits souffrent d’une insuffisance de lois et de limites. Pour eux, l’apprentissage de la frustration est difficile, voire impossible, car ils sont maintenus dans l’état de toute puissance infantile spécifique du nourrisson. La plupart des enfants dont les demandes virent au despotisme seraient en fait soulagés par la mise en place de barrières. Un recadrage les libérerait du cocon dans lequel ils se sentent inconsciemment enfermés. Nul besoin d’attraper le bâton de gendarme pour les remettre au pas. Il suffit d’apprendre à dire “non” !