Comment élever un enfant unique ?

Solitaire, égoïste, gâté-pourri, capricieux, timide, fragile,... autant de clichés qui collent à l’enfant unique. Cette mauvaise réputation émane-t-elle de simples préjugés ou d’une réalité avérée ? Alors comment grandissent ces enfants ? Sont-ils vraiment différents des autres ? Souffrent-ils forcément de cette situation ?

Avoir un enfant unique peut être un choix ou une contrainte. Pour des raisons économiques, par manque de disponibilité, à cause d’une situation de recomposition familiale, ou d’un problème de santé, de nombreux couples ont un seul enfant. On parle alors de familles triangulaires. Lesquelles sont relativement singulières aux yeux de la société, estimant que ces familles sortent un peu de la norme. Le modèle le plus répandu étant une fratrie de deux ou trois enfants. L’enfant unique est presque perçu comme un tabou, selon de nombreux sociologues. La psychanalyste Françoise Dolto elle-même affirmait que “la famille idéale”, c’est “trois enfants avec trois ans d’écart.”

En effet, beaucoup de personnes pensent qu’une famille ne peut se limiter à un seul enfant. Ainsi, de nombreux couples n’échappent pas à la question classique : “quand est-ce que vous faites un deuxième ?”. Pour autant, il existe des modèles familiaux différents, qu’on devrait intégrer. Ce qui permettrait d’atténuer certaines difficultés auxquelles sont confrontées ces familles (qui partent déjà avec une charge d’idées reçues).

Un choix imposé aux enfants

S’il est vrai que pour une majorité, avoir un seul enfant n’émane pas d’une volonté délibérée et que beaucoup d’enfants restent seuls par un concours de circonstances, force est de constater que les nouvelles générations tendent davantage vers ce choix. De nombreux couples ne se projettent pas avec plus d’un enfant, pour des raisons d’épanouissement personnel, disent-ils. En atteste le recul du taux de fécondité (pour diverses raisons) à l’échelle mondiale, durant ces deux dernières décennies.

En France, 22 % des couples ont un seul enfant et 33 % des enfants québécois de moins de 5 ans n’ont ni frère ni sœur. Au Maroc, on ne dispose pas de statistiques, et il est vrai qu’on n’en est pas encore là, mais de plus en plus de jeunes estiment qu’il est plus simple d’avoir un seul enfant. “J’ai choisi d’avoir un seul enfant, pour avoir du temps à lui consacrer plutôt que de vivre sous pression avec 2 ou 3 enfants. C’est aussi une question d’argent. On peut faire plus d’activités à 3, voyager, sortir, … Et enfin pouvoir assurer ses études plus tard”, explique une jeune maman.

Selon Docteur Zineb Iraqi, pédopsychiatre à Casablanca, il s’agit à la fois d’un confort auquel on s’habitue, dont on a du mal à s’en détacher, d’une crainte du futur et de la volonté de tout maîtriser.

Si pour les parents cela peut-être un choix, jugé égoïste par la société, pour les enfants cette situation est plutôt subie. Il arrive souvent que les enfants réclament un petit frère ou une petite sœur. Ce qui atteste d’un manque, selon les spécialistes. Pour la psychologue française, Isabelle Duvernois, il faut chercher ce qu’il y a derrière une telle demande, pour apporter une réponse à même de combler un vide ou un manque. “Quand un enfant exprime le désir d’avoir un frère ou une sœur, il faut lui demander systématiquement ce qu’il aimerait faire avec eux et à partir de sa réponse, on peut poser le doigt sur ses attentes, ce qui lui manque, pour pouvoir agir”, explique la thérapeute.

Et c’est justement là toute la difficulté. S’il n’y a pas de profil type de l’enfant unique, il n’en demeure pas moins qu’il doit être accompagné à travers une éducation qui tienne compte de l’absence de la fratrie. “C’est la nature de cette éducation et l’attitude des parents qui fixeront le devenir de l’enfant”, explique Dr Iraqi, qui souligne que l’enfant unique ne connaîtra pas les joies de la fratrie mais développera d’autres spécificités.

Le profil psychologique de l’enfant unique

Être un enfant unique peut être à la fois difficile pour les parents et pour l’enfant.  Si pour de nombreux spécialistes, l’enfant unique n’est pas un enfant à part, assurant que tous les enfants sont différents, et par conséquent chaque enfant est unique, ils estiment presque tous que son éducation requiert un accompagnement particulier. “Il n’y a pas une façon d’être un enfant unique type, mais elle est intriquée à son éducation”, précise encore Dr Iraqi

Entre le trop plein d’amour, la surprotection, l’attention excessive… Il faut trouver le juste milieu. Être l’objet de toutes les attentions et de toutes les attentes est souvent pesant pour ces enfants.

Entourés trop souvent par des parents qui l’accompagnent dans toutes les activités quotidiennes (jeux, travail scolaire, discussions, etc.), certains enfants ont du mal à assumer cette présence “excessive”. Cela peut se traduire, selon Isabelle Duvernois, par l’ennui, la tristesse, voire la solitude.

En effet, l’absence de la fratrie a tendance à fragiliser les enfants uniques, mais cette fragilité est rapidement résorbée, quand l’enfant fréquente les bancs de l’école.

L’enfant unique reçoit seul et sans partage l’amour de ses parents, leur attention, il est seul dans son petit royaume familial. Cela représente à la fois un atout et un handicap. “La fratrie permet aux enfants de développer à la fois leur créativité, de jouer différents rôles, de pouvoir exprimer l’agressivité, d’apprendre à la canaliser, d’apprendre à partager, à tolérer la frustration.” Ce sont là des choses utiles au développement et à l’adaptation dans la société, selon la psychologue.

Un enfant unique n’est pas gâté-pourri

Ainsi, certains enfants vont apprendre, certes dans la douleur et au fur et à mesure qu’ils grandissent, à sortir du cocon familial, à se frotter aux autres, à accepter de partager, etc. En revanche, pour d’autres les choses peuvent s’avérer plus compliquées. Arrivés à l’adolescence ou à l’âge adulte certains enfants uniques auront plus de difficulté à affronter les autres, à imposer leur opinion, à aller vers les autres, préférant rester seuls. Pour d’aucuns, ce sera plutôt un manque d’estime de soi, ou l’inverse une surestime de soi,…Ce qui risque d’impacter négativement leur vie sociale, scolaire ou professionnelle. Françoise Dolto estimait, pour sa part que les enfants uniques sont malheureux en général, une vision un peu fataliste, mais qui mérite d’être prise en considération. D’où l’importance de l’accompagnement.

Un enfant unique n’est pas forcément gâté-pourri, mais l’attitude des parents peut influencer son caractère. “Il ne va pas vivre certaines étapes qui vont faciliter l’insertion sensorio-affective comme la jalousie par exemple”, précise Isabelle Duvernois. Dans ce même sens, ces enfants peuvent être sensibles, parce qu’ils n’ont jamais eu de frère ou de sœur pour s’endurcir mais pas forcément insociable, malheureux ou autre. “Lorsqu’ils consultent un psy, c’est exactement pour les mêmes motifs que les autres”, tient à rappeler Dr iraqi.

L’ouverture sur l’extérieur est capitale

L’ouverture de la famille sur l’extérieur, sa capacité à établir des échanges est impérative, selon les spécialistes. Pour pallier l’absence de la fratrie, la famille doit s’ouvrir sur l’extérieur, tout en respectant l’envie de l’enfant. Cette ouverture est très importante, selon la psychothérapeute, Anne Nouailhetas. Les parents doivent être en mesure d’accompagner cet enfant pour connaître ses attentes. “Un enfant qui demande un frère ou une sœur doit probablement s’ennuyer. Tout comme un enfant qui fantasme sur des amis ou des frères imaginaires a un manque”. D’où encore une fois l’importance de l’ouverture. “Seul on n’apprend pas à affronter les conflits. Les parents doivent inviter des enfants à la maison et vice versa”, explique Anne Nouailhetas. Et de poursuivre “il est important de laisser son enfant expérimenter la frustration, il faut éviter qu’il pense que tout est acquis, il doit se mesurer aux autres, il faut lui faire vivre des situations où il va apprendre à partager, à attendre…” L’objectif étant selon la spécialiste de lui permettre de vivre des situations différentes, de ne pas s’ennuyer et de constituer sa fratrie de cœur, choisie et non subie. Les enfants uniques ne connaîtront jamais les joies de la fratrie, mais ils développeront des traits de caractère spécifiques”, assure la thérapeute.

En passant beaucoup de temps avec des adultes, bon nombre de ces enfants sont mature pour leur âge. Ils tiennent des conversations de grands, ils sont habitués à débattre, à développer leurs idées et sont traités comme des petits adultes. Ce qui n’est pas toujours bénéfique pour eux. Dans ce sens, les parents doivent veiller à préserver leurs enfants des préoccupations qui ne sont pas de leur âge et faire en sorte qu’ils aient des activités avec leurs pairs.

Les parents projettent leur rêve sur l’enfant

Par ailleurs, au même titre que l’excès d’amour ou de protection, des  exigences trop importantes peuvent nuire au développement de l’enfant. Étant au centre des préoccupations des parents, leurs inquiétudes sont parfois démesurées et peuvent être anxiogènes pour l’enfant. “Les attentes des parents d’enfants uniques sont plus importantes. Ils veulent que leurs enfants réalisent leur désir et leurs fantasmes. Or, faire peser sur leurs petites épaules un tel poids représente un danger”, souligne Dr Iraqi.

En effet, quand les parents sont trop exigeants, cela finit par affecter le moral de l’enfant. Cette pression peut justement être à l’origine de problèmes d’anxiété, de stress, … et peut par ricochet influer sur le destin de l’enfant.

Enfin, il faudrait, estime Dr Zineb Iraqi, tirer les avantages de la situation d’enfant unique et essayer de transformer “Les inconvénients” liés à ce statut en force.

Les deux revers de la médaille

Le témoignage de Reda, un adolescent de 15, illustre bien les deux facettes de la situation. À la fois les bénéfices d’être enfant unique :  ne pas avoir à partager et le revers de la médaille : la surprotection.

“Être un enfant unique est un avantage, il n y a pas de disputes, pas de problèmes pour les cadeaux. J’avoue apprécier la solitude (un trait de caractère assez commun chez les enfants uniques)

Mais, être le seul enfant de la maison peut s’avérer parfois pesant, surtout à mon âge. Avoir mes parents tout le temps derrière moi est un peu lourd à supporter. Certaines fois, je me sens étouffé par cette présence permanente”.

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