Il n’est pas simple d’adopter la bonne attitude vis-à-vis d’une personne qui souffre. Tout ce que l’on peut offrir, c’est notre disponibilité. Une disponibilité faite de présence bienveillante et d’écoute attentive. Plutôt que de chercher à donner des réponses, admettre en toute humilité que nous nous posons les mêmes questions et qu’on éprouve les mêmes peurs. Mais assurer et rassurer : “quoi qu’il arrive nous serons là, peu importe le développement de la maladie”.
Quand on décide de rester aux côtés de la personne qui souffre, il faut se tenir prêt à accueillir ses différentes humeurs, qu’il s’agisse de colère, de révolte, d’éclats de rire ou de sanglots incontrôlés. Une personne qui reçoit une mauvaise nouvelle concernant son état de santé peut être désorientée, elle a besoin de comprendre ce qui lui arrive. Elle a besoin de se confier à des personnes en qui elle a confiance. Elle n’attend pas spécialement une réaction particulière suite à l’annonce mais elle désire se confier, se délester d’un poids. Elle n’a pas besoin d’être abreuvée de conseils : seuls les professionnels de la santé sont à même d’en prodiguer. Répéter à l’envi que tout se passera bien, sans aucune garantie de la véracité de cette assertion, n’apporte aucun réconfort à la personne malade. La maladie n’enlève pas la lucidité. La personne affaiblie par la maladie pourrait même se sentir infantilisée d’être bernée par des formules de compassion creuses.
À l’autre bout, vouloir réconforter, en anticipant : “j’ai entendu dire que ces traitements sont durs à supporter” peut engendrer une angoisse malvenue. Encore une fois, c’est au staff médical d’indiquer les modalités du traitement.
Épauler sans feindre
Quand on essaie de préserver l’autre, alors que le doute nous ronge, de lui cacher nos sentiments, c’est un coup de canif qui lacère la qualité de la communication. Or c’est là le seul contrôle à notre portée : rester sincère, authentique. On doit nommer la souffrance, l’inconfort. Claironner : “je ne sais pas comment tu fais” met l’accent sur la gravité de la situation et n’aide pas celle ou celui qui la subit, qui la vit. Au contraire, cette phrase peut l’isoler dans sa souffrance. Assurer à coup de “comme je te comprends” est faire preuve de compassion fausse, feinte car personne ne peut comprendre, en substance, la souffrance de l’autre.
Si la personne souffrante n’est pas capable d’assumer notre franchise, elle le dira, on reviendra plus tard l’accompagner en silence. De part et d’autres, souffrant et accompagnateur, on doit avoir le courage d’exprimer ses désirs sans crainte de heurter l’autre. Il faut poser la question du temps et du lieu de l’accompagnement. Certains malades souhaitent des moments de solitude chez eux mais désirent être systématiquement accompagnés quand ils sont en visite médicale. D’autres, c’est l’inverse.
Certains malades souhaitent garder leurs habitudes : visionner leur émission télé préférée, écouter un audio. Vaquer à des loisirs tant que leur état le permet. On peut partager avec ces malades ces occupations et ces moments s’ils le souhaitent. D’autres souhaiteront évoquer la suite sans eux et aiment être rassurés quant à l’avenir de leurs descendants : accepter d’échanger avec eux à ce sujet qui les préoccupe est le meilleur cadeau qu’on puisse leur faire.
Épauler sans s’épuiser
Quand on accompagne une personne souffrante, il ne faut pas croire que pour réussir l’accompagnement, il faut avoir les bons mots, les bons gestes, la bonne posture. Il faut se contenter d’être soi, authentique même quand les silences se prolongent. Juste marquer une présence sincère, bienveillante et ne jamais oublier que nous avons tous nos limites. Quand ces limites sont atteintes, ne pas hésiter alors à dire à la personne souffrante que l’on a besoin de se retirer, l’espace temps d’un répit nécessaire pour recharger nos batteries.
Eclairage de Dr Marjane Benjelloun, gériatre.
Quand le diagnostic est lourd, dans quelles mesures dire ou taire impacte -t-il la qualité des soins et de l’accompagnement ?
L’annonce du diagnostic, de par le questionnement éthique qu’elle suscite, n’est jamais une démarche facile pour le médecin : comment dire à son patient auquel “on cherche, avant tout, à faire du bien” qu’il est atteint d’une maladie grave? Au Maroc, aucune indication claire et précise sur le devoir des médecins à l’information n’a été mentionnée au code de déontologie médical.
La loi Kouchner de 2002, en France – mais aussi la déontologie – insistent sur le droit du patient à l’information ; à contrario, la volonté d’un patient à être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic doit être respectée. En revanche, les interrogations sur la façon la plus “humaine” possible d’annoncer un diagnostic à son patient restent entières : l’être humain ne pouvant être cantonné dans une norme, il semble que dans ce domaine, il est essentiel pour le médecin de donner toute sa valeur à la singularité du sujet et de “faire du cas par cas”. En d’autres termes, le médecin doit répondre à son obligation d’informer la personne, sans omettre d’adapter l’information délivrée à la réalité de la demande du patient : si chez certains malades, l’annonce du diagnostic permet de mieux faire face à la maladie, chez d’autres, elle peut entraîner un effondrement psychologique, délétère à l’évolution de la maladie et à son pronostic. Rappelons la réplique de Sigmund Freud à son médecin, quand celui-ci lui annonça qu’il était atteint d’un cancer incurable : “qui vous a donné le droit de me condamner à mort ?”. Il apparaît cependant évident qu’au-delà d’un droit, l’annonce du diagnostic impacte la qualité des soins et l’accompagnement : elle nomme la maladie, met un terme à une période pénible d’incertitude et permet au patient (et à ses proches), non seulement de mieux affronter la maladie, mais aussi de fournir un conseil thérapeutique, de négocier un plan personnalisé de soins, d’obtenir un consentement éclairé du patient et de proposer un soutien psychologique. Enfin et surtout, l’annonce a un effet fondateur de la relation médecin-malade, le patient ayant besoin d’un référent qui va l’accompagner tout au long de la maladie : la qualité des liens futurs entre le patient et le médecin dépend beaucoup de la communication qui s’est établie lors de la consultation d’annonce.