Chafik Chraïbi

La ministre de la Famille, Nouzha Skalli, s'est récemment prononcée ouvertement pour la légalisation de l'avortement. L'avancée est de taille et les militants pour le droit à l'avortement s'en félicitent. Mais le combat est loin d'être fini. L'Association Marocaine de Lutte contre l'Avortement Clandestin prévoit d'organiser une marche en janvier prochain pour mobiliser l'opinion publique. Son président, le professeur Chafik Chraïbi, nous en dit davantage.

FDM : Le mois dernier a été marqué par la déclaration de la ministre Nouzha Skalli en faveur de l’instauration d’un droit “partiel” à l’avortement. Qu’en pensez-vous ? Chafik Chraïbi : C’est une avancée, certes. Cette déclaration directe et franche d’un membre du gouvernement a fait bouger les choses. Il faut dire que jusqu’à présent, les déclarations étaient toujours floues. Elles disaient qu’une libéralisation de l’avortement, même partielle, dépendait d’autres parties, notamment du ministère des Affaires Islamiques, de la société civile, des religieux… Là, les propos de la ministre de la Famille sont clairs. Elle s’est prononcée pour la légalisation de l’avortement, ne serait-ce que d’une façon partielle. Ce que j’ai aimé, c’est qu’elle a repris exactement le même argumentaire que celui utilisé lors de nos interventions en tant que médecins. Elle a exposé toutes les conséquences possibles des avortements clandestins : hémorragies, infections, tentatives de suicide, enfants abandonnés… Ce que j’ai moins apprécié, c’est qu’elle ne fasse pas du tout allusion à tout le travail fait par notre association, l’AMLAC, qui existe depuis plus de trois ans. C’est cette dernière qui a soulevé le débat, qui a créé un dialogue et qui a fait que les choses puissent en arriver là aujourd’hui. J’estime qu’il ne fallait pas occulter tout le travail qui a été fait précédemment. Pensez-vous que les conditions soient aujourd’hui plus favorables à la promotion de cette cause ? Nous travaillons depuis plusieurs années à la sensibilisation de la société civile, des religieux et des décideurs politiques. A présent, je pense que ce travail commence à porter ses fruits. Il y a eu plusieurs conférences à travers tout le Maroc. L’objectif à chaque fois était de sensibiliser tous les acteurs quant à l’importance de la légalisation de l’avortement. Car la situation est grave. En ma qualité de médecin, je vois l’ampleur des dégâts causés par les avortements clandestins. Il est aujourd’hui urgent de sauver ces jeunes femmes. Je n’ai aucune ambition politique ni aucun intérêt puisque je travaille dans un établissement public. Ce que je cherche, c’est que l’avortement soit fait au sein d’un hôpital où les conditions de santé sont bien remplies, c’est-à-dire qu’il y ait une bonne anesthésie, une bonne asepsie, que ce soit pratiqué par un gynécologue et à proximité d’un bloc opératoire pour parer aux complications. Vous avez prévu l’organisation d’une marche en janvier prochain. Pourquoi une telle action ? Nous attendrons d’abord que les élections législatives aient lieu pour qu’on puisse connaître la composition du futur gouvernement ainsi que son programme. Si les choses semblent aller dans le bon sens et que la légalisation de l’avortement est inscrite parmi les priorités de ce prochain gouvernement, c’est parfait. Sinon, l’année prochaine connaîtra effectivement l’organisation de nouvelles actions, dont cette marche. Pour cela, il va falloir mobiliser les ONG, les partis politiques, les médecins, ainsi que tous ceux qui sont intéressés par ce combat. A mon avis, cette  marche devrait faire bouger les choses. Il semblerait qu’il y ait toujours autant de résistance contre la  légalisation de l’avortement. Pourquoi ? Je vais vous dire une chose, il y a énormément d’hypocrisie par rapport à cette question. Tout le monde invoque le côté religieux dès qu’il s’agit d’avortement, mais laissez-moi vous dire qu’il n’y a aucun verset du Coran qui évoque ce sujet. Les religieux sont aussi très partagés quant au moment où l’âme est insufflée dans le foetus. Mais au-delà de ce débat, ce que je trouve “haram”, c’est de laisser une femme aller se suicider ou être expulsée de chez elle pour une erreur, sans parler des cas de viol ou d’inceste. Pourquoi laisser une femme accoucher d’un enfant dont elle n’a pas envie, qu’elle va abandonner ou même tuer ? C’est à mon avis encore plus “haram” d’en arriver là que de pratiquer un avortement si la  grossesse est encore au stade embryonnaire. De quel droit une société peut-elle juger une femme ? C’est de son corps qu’il s’agit et c’est son avenir et peut-être même sa vie qui en dépend ! Officiellement, 13 % de la mortalité maternelle intervient suite à des avortements. Mais nous estimons qu’entre 600 et 800 avortements clandestins sont pratiqués chaque jour au Maroc. Et tant qu’on n’a pas de données officielles, on ne peut pas établir de pourcentage exact quant aux dégâts entraînés par cette pratique. Que reprochez-vous à la loi actuelle ? Le Code pénal aborde la question de l’avortement de l’article 449 à l’article 457. Parmi ceux qui parlent de punitions, on détaille toutes les pratiques d’avortement ainsi que toutes les personnes susceptibles de le pratiquer. Par contre, quand on va à l’article le plus important, à savoir l’article 453 qui dit : “l’avortement n’est pas puni quand il vise à sauvegarder la vie ou la santé de la mère”, la loi manque de précision. Il faut savoir que la santé de la mère ou de la femme est, selon la définition de l’OMS, “un état de bienêtre  physique, psychique et social”. Cela suppose que si la santé psychique de la femme se trouve menacée, elle peut avoir recours à l’avortement. Nous avons reçu plusieurs cas de femmes enceintes qui ont tenté de se suicider à la suite d’une dépression. Nous pouvons là aussi évoquer le cas des mères célibataires qui vont voir leur bienêtre social se détériorer à cause de leur grossesse. Ces filles sont souvent expulsées de chez elles, elles sont pointées du doigt… Finalement, la loi est là. Il suffit juste de la préciser. A ce moment-là, l’avortement se fera dans de très bonnes conditions et on n’aura plus d’avortements dans des cabinets médicaux, réalisés par des personnes pas toujours compétentes, et avec tous les risques que cela comporte. Et encore, du fait que ce soit illégal et donc clandestin, le prix se retrouve d’autant plus élevé parce que le médecin prend des risques. Ainsi, si on fait les choses en toute légalité et dans de bonnes conditions sanitaires, les prix vont obligatoirement baisser, il y aura beaucoup moins de complications et les femmes n’iront pas se faire avorter chez des herboristes, des charlatans, des infirmières ou d’autres. â– 

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