“Les Monologues du vagin” ont été traduits dans une cinquantaine de langues, joués dans près de 150 pays, et c’est la première fois que nous avons une version marocaine. Il était temps !Créée en 1996 par Eve Ensler, cette célébrissime pièce de théâtre bénéficie actuellement d’une tribune intelligente et sensible grâce à la pétillante compagnie et association Aquarium. “Les Monologues du vagin” sont souvent précédés d’une aura sulfureuse, cristallisée par un titre accrocheur. Ceux qui s’attendent à renifler dans la version marocaine un parfum de fantaisie coquine ou encore l’expression d’un féminisme anti-mâle radical se trompent. “Dialy”, c’est son titre, profite de l’approche rigoureuse et sensible de Naïma Zitan, metteur en scène, fondatrice et présidente de l’association Aquarium.“Dialy” n’est pas une traduction de l’oeuvre d’Eve Ensler, mais le fruit d’un travail collectif. La première, jouée le 15 juin dernier, traite de trois volets. Il s’agit tout d’abord de nommer en darija le sexe féminin, malicieusement désigné par une certaine sagesse populaire par le vocable “sekkouti” ; ensuite, de pointer du doigt l’absence d’éducation sexuelle ; et enfin, de crier l’horreur du viol… Plusieurs autres thématiques, telles que l’accouchement, les poils ou encore la sexualité, seront traitées dans les prochaines versions de “Dialy”. En ffet, la troupe ambitionne de monter la pièce et d’effectuer une tournée dès septembre. Nouria Benbrahim, Farida Bouazzaoui et Amal Ben Haddou, les trois comédiennes héroïnes de “Dialy”, nous ont tendu un miroir réaliste, émouvant, pour regarder en face nos contradictions, notre hypocrisie. Pendant 30 minutes, elles ont livré une prestation bouleversante, tantôt grave, tantôt gaie, avec chants et danses,visant à enrayer les sentiments de peur et de honte. L’assistance est plongée dans un univers où l’humour et la réflexion cohabitent sans fausse pudeur. Naïma Oulmekki, membre d’Aquarium qui a présidé à l’animation des ateliers ayant donné lieu à la collecte de témoignages, raconte, à l’issue de la première, lors de la séance débat autour de la pièce : “Une fois les réponses aux questions posées aux participantes les invitant à nommer le sexe féminin dans notre langue maternelle rassemblées, il n’a pas été facile, ni spontané, de répéter à haute voix les noms désignant cet organe qui fait partie de notre anatomie.” Et pour cause : celle-cin’est-elle pas condamnée à être ignorée, passée sous silence ? Comme le rappelle àjuste titre Maha Sano : “Un grand nombre de Marocains sont pudiques car complexés, et non pas par chasteté !”. Depuis la première de “Dialy”, des commentaires ont circulé sur la Toile. Nombre d’entre eux ne sont guère bienveillants. Florilège : “Dialkoum, et Dialhoum ne concerne en rien les Marocains et Marocaines qui ont leurs propres Dialhoum, sans en faire une publicité artistique vaine et sotte”. Certains reprochent aux initiatrices de ce projet d’utiliser la darija et “d’imposer ainsi la bassesse de cette langue”. Mais dans certains cas, notamment celui des viols, nommer le vagin dans notre langue maternelle n’est-il pas au contraire salvateur ? Pour endiguer le fléau et mettre fin à tant de souffrances, il faut que des femmes et des hommes nomment ce qui est tu sans peur. Tant que la chape de plomb sévit, nous aurons peur des mots et nous ne pourrons point dénoncer l’insoutenable : comment dénoncer sans nommer ? Comme l’ont fait les comédiennes – et avant elles, les femmes qui ont témoigné – osons délivrer “dialna” de toute tutelle car comme le disent avec aplomb et tant de véracité les mots de la pièce : “Notre sexe fait partie de nous. Il nous accompagne où qu’on aille. Dans la rue, au boulot, au hammam et même à la mosquée.” “Dialy” dévoile à travers les différents âges des femmes l’excision culturelle des mots et d’expressions liés à la sexualité féminine, et remet en question la place qu’occupe la femme dans la société marocaine. Mission accomplie. Chapeau bas, les artistes !