FDM : Quelle est votre réaction à la suite du
discours royal du 17 juin ?
Aicha Ait M’hand : Je suis très heureuse du cours que prennent les événements. Le jour où la constitution a été annoncée, j’étais plus qu’optimiste. C’est réellement un moment historique et un aboutissement de plus d’un quart de siècle de travail des militantes de l’ADFM. Personnellement,
je suis là depuis 15 ans. C’est toute une vie d’engagement pour en arriver à ce résultat. Quand on voit tout ce qui arrive aujourd’hui dans des pays comme l’Egypte ou la Tunisie, on ne peut qu’être fiers car
nous étions les derniers à rejoindre cette révolution et nous sommes les premiers à avoir notre constitution. Là, il faut laisser le temps faire son oeuvre. A ceux à qui disent que ce texte est imparfait, je répondrai que le parfait n’existe pas.
Le projet de la constitution répond-il à toutes vos aspirations ?
Je pense que la nouvelle constitution a en effet répondu à la majorité des revendications. Dans ce sens où l’on y retrouve tout, des aspirations les plus démocratiques à celles qui le sont moins. Mais ce projet a bel et bien un cachet très démocratique. D’abord au niveau du préambule, où l’on reconnaît la diversité qui compose le Maroc. Il a aussi installé le principe de dignité, de liberté et d’égalité pour tous. Et, plus important encore, cette nouvelle constitution s’engage pour le respect des droits humains tels qu’universellement reconnus. C’est un point sur lequel nous avions beaucoup insisté en tant que mouvement de défense des droits de l’Homme. Un autre point d’une importance capitale
: la prohibition de la discrimination
“CETTE NOUVELLE CONSTITUTION S’ENGAGE À RESPECTER LES DROITS HUMAINS TELS QU’UNIVERSELLEMENT RECONNUS.”
basée sur le sexe. Ceci nous ouvrira par la suite plus facilement les voies de recours par rapport aux textes de loi que nous jugeons discriminatoires.
Quels sont les articles qui vous ont le plus interpellée ?
D’abord l’article 6, qui parle du rôle de l’Etat dans la promotion des droits humains. C’est une responsabilité que la constitution met à la charge des pouvoirs publics qui doivent oeuvrer pour la liberté et l’égalité effectives des citoyennes et des citoyens, ainsi que pour leur participation à la vie politique, économique, culturelle et sociale. Et bien évidemment, nous avons le fameux article
19, tant contesté dans l’ancien texte et qui consacre aujourd’hui le principe d’égalité. Je ne sais pas si c’est une coïncidence ou si c’est voulu, mais en tout cas, cet article répond exactement à toutes
nos revendications. Le citoyen reprend sa place en tant que tel et c’est très important. Ceci va certainement avoir un impact très positif sur les mentalités.
N’y a-t-il pas un hic par rapport à la nécessité de respecter les “constantes et les lois du Royaume” ?
C’est là précisement où je pense que cette constitution répond à la demande de tout le monde. Mais il faut savoir que si pour certains constitutionnalistes une constitution ne peut supporter l’ambiguïté,
il existe d’autres écoles de penser qui s’appuient sur la nécessité d’écrire une constitution qui perdure. Pour cela, il faut que les militants de gauche aussi bien que ceux de droite se retrouvent dans cette constitution au moment où ils gouverneront. Je ne peux l’affirmer avec certitude, mais je pense que cela y ressemble beaucoup. Ce qui est certain, c’est que toutes les décisions passeront dorénavant par ceux qui seront élus. C’est l’ouverture à toutes les interprétations et que le meilleur gagne. Au peuple maintenant de choisir.
Avez-vous malgré tout enregistré des lacunes dans le texte proposé ?
Effectivement, nous avons noté certaines lacunes, notamment le fait qu’on ne cite pas expressément la parité, dans les administrations publiques par exemple. Mais c’est supposé devenir le cas si l’on
s’appuie sur les articles qui parlent d’égalité effective. Ce qui pose problème c’est, non pas l’accès aux postes de décision, qui se gère de manière interne, mais plutôt l’accès aux postes électifs, qui reste beaucoup plus compliqué puisqu’il est en rapport avec la population. A mon avis, pour aboutir à cette égalité des chances, il s’agit avant tout de mettre en place les mécanismes compétents, notamment au niveau des partis politiques. Les aides financières octroyées à ces partis doivent l’être selon leur implication dans l’encouragement des femmes.
En tant que mouvement féministe, voterezvous favorablement pour ce projet de constitution ?
Je dis oui à cette constitution ! Nous avons d’ailleurs fait un communiqué du Printemps Féministe pour la Démocratie et l’Egalité dans lequel nous précisons clairement notre position. Il est clair que nous voterons en faveur de cette constitution puisqu’on y retrouve quasiment tout ce que nous avons demandé, y compris la création d’un Conseil pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination. Elle prévoit par ailleurs la mise en place d’un Conseil Consultatif de la Famille et
de l’Enfance. L’article 30 insiste aussi sur les dispositions de nature à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives. Que demander de plus ? Je dis oui à cette constitution, mais il faut prendre avec beaucoup de sérieux sa mise en oeuvre. J’insiste aussi
sur la participation de la société civile dans l’élaboration du code électoral pour que nous donnions notre avis sur l’ensemble des mécanismes, notamment le mode de scrutin, sa mise en place, l’accès
aux médias, les budgets de formation et de renforcement des capacités… Il faut prendre son temps et non pas l’élaborer à la va-vite. â–