Vous êtes le premier Africain à être nominé et primé par l’Office européen des brevets. Que représente ce prix pour vous ?
J’aimerais rappeler que ce prix est ouvert aux inventeurs possèdant un brevet déjà délivré en Europe et que l’innovation, sujet du brevet, doit être considérée par le jury comme étant un grand apport pour l’humanité. Or le nombre de brevets européens provenant de pays du sud est extrêmement faible comparé aux pays du nord. Pour un chercheur marocain, être nominé relève du miracle.
En 2015, vous avez reçu le Prix de l’Innovation pour l’Afrique pour les additifs alimentaires naturels tirés d’huiles essentielles qui remplacent les antibiotiques et les autres produits chimiques dans l’alimentation animale. Comment avez-vous eu cette idée ?
Beaucoup de problèmes de santé humaine, telle que la résistance aux antibiotiques, trouvent leur origine dans l’agriculture. Quand on donne des antibiotiques aux animaux d’élevage au quotidien pour stimuler leur croissance et améliorer leurs performances zootechniques afin d’optimiser les gains, on tue les bactéries sensibles à ces antibiotiques. Des bactéries multi-résistantes colonisent alors l’organisme de l’animal puis passent dans son sang pour se retrouver ensuite dans la viande, le lait, les œufs et enfin dans l’organisme humain. Elles transfèrent alors leurs gènes de résistance aux centaines de milliards de bactéries vivantes dans notre organisme qui deviennent multi-résistantes à leur tour. C’est pour cette raison que l’Europe et les États-Unis ont interdit toute addition d’antibiotiques dans l’alimentation du bétail. Au Maroc, nous avons mis au point des alternatives naturelles plus efficaces que les antibiotiques et moins chères que les alternatives développées en Europe ou en Inde. La fondation suisse African Innovation Fondation (AIF) a considéré que notre invention était la meilleure parmi 925 inventions provenant de tous les Africains du monde.
D’où vous est venue l’idée de fabriquer des antibiotiques à base d’huiles essentielles ?
À l’échelle internationale, d’autres avant moi avaient commencé à étudier l’activité antimicrobienne des huiles essentielles. Au Maroc, le professeur Tantaoui Elaraki a débuté ses travaux sur ce sujet durant les années 70. Quand j’ai décidé de me convetir à la microbiolgie pour combattre la résistance aux antibiotiques, je me suis adressé à lui. Ensemble, nous avons collaboré avec d’autres compétences marocaines pour chercher une alternative aux antibiotiques et mettre à la disposition des patients et des médecins une arme efficace pour combattre les infections. Cette recherche a abouti à des solutions pour combattre les bactéries résistantes en associant les antibiotiques avec des molécules naturelles purifiées à partir des huiles essentielles. Les résultats obtenus sont surprenants.
Quelles sont les principales plantes utilisées lors de vos recherches ? Que possèdent-elles qui les rendent aussi résistantes aux germes et aux bactéries ?
Nous avons déterminé les molécules les plus actives contenues dans les extraits d’un grand nombre de plantes aromatiques telles que la canelle, l’eucalyptus, le thym, le girofle ou la menthe. Ces plantes synthétisent ces molécules pour se défendre quand elles sont stressées et menacées par les infections bactériennes et fongiques ou par des insectes ravageurs. L’idée est donc d’exploiter ces armes antimicrobiennes naturelles pour lutter contre les infections en médecine humaine.
Quel impact aura ce médicament sur le consommateur ?
Notre solution permet de rendre les antibiotiques de nouveau efficaces contre des bactéries multi-résistantes sur lesquelles ils étaient devenus inopérants. Car sans cela, la médecine risque de se retrouver désarmée face aux infections microbiennes, un peu comme à l’époque qui a précédé la pénicilline. C’est-à-dire beaucoup de morbidité et de mortalité à chaque infection, à chaque opération chirurgicale, à chaque accouchement.
Avez vous développé et breveté d’autres médicaments dopés aux huiles essentielles ?
Oui, nous avons déposé quatre demandes de brevet sur le dopage de plusieurs familles de médicaments anti-infectieux et anti-tumoraux. Cela va de la pénicilline aux antituberculeux en passant par les antifongiques, les anti-malaria, les antiviraux et les anti-tumoraux.
Quelle a été la réaction des industries pharmaceutiques face à cette découverte ?
Dans les années 90, je n’osais même pas en parler. Tout le monde me prenait pour un fou. Heureusement, Internet est arrivé et l’information sur les risques de la disparition des antibiotiques est devenue une réalité. En même temps, la médecine et l’industrie pharmaceutique marocaines ont beaucoup évolué. Grâce à deux amis qui ont joué le rôle de business angels – Ahmed Reda Chami et Driss Squalli -, j’ai pu déposer nos quatre demandes de brevet. L’industrie pharmaceutique est alors devenue plus réceptive. Le docteur Omar Tazi, président fondateur de Sothema, a très vite compris que cette trouvaille constituait une excellente opportunité de mettre le Maroc et l’industrie pharmaceutique marocaine au devant de la scène. Aujourd’hui, plusieurs laboratoires pharmaceutiques marocains sont prêts à développer et à financer de nouvelles recherches. Enfin, le rêve de voir une industrie pharmaceutique marocaine capable de produire autre chose que des génériques commence à devenir une réalité.
Pour quand est prévue la commercialisation de ce médicament au Maroc ?
Il reste quelques tests complèmentaires et quelques formalités à faire. Mais je pense que c’est une question de mois.
En quoi vos découvertes sont-elles une révolution dans la médecine moderne ?
La révolution vient du fait que pour une fois, la solution vient d’un pays du sud ! L’autre révolution est qu’il s’agit d’une technologie simple et peu coûteuse qui résout un problème très compliqué et très grave. Je pense que le Maroc possède tous les attouts pour conduire ce genre de révolution et devenir un pays leader de “reverse innovation”.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaiteraient se lancer dans la recherche ?
Je leur dirais qu’ils ont la chance d’avoir Internet qui leur donne un accés à toute l’information. Ils ne doivent donc plus dépendre de leurs professeurs. Ils doivent s’informer directement et informer leurs professeurs. Ils doivent aussi élargir leurs connaissances générales et s’intéresser aussi bien aux données scientifiques et techniques qu’aux données socio-économiques.
Quel est selon vous le défi de la recherche biologique au Maroc et dans le monde ?
Le grand défi est celui de concilier les aspirations de l’économie avec les besoins de préserver la santé et le bien-être de l’humanité. Les chercheurs en biologie ont le devoir de fédérer toutes les disciplines scientifiques et techniques autour d’eux pour préserver l’environnement.