été 1976. Une jeune fille fluette attend son tour en backstage, le cœur battant à tout rompre. Elle craint de ne pas être à la hauteur et savoir ses parents présents dans la salle n’arrange pas les choses. Qu’est-ce qui lui a pris de dire oui ? Une pointe de curiosité et l’insistance d’un ami photographe. “Je m’étais rendue chez lui 10 jours avant pour qu’il fasse mon portrait et c’est là qu’il m’a proposé de participer à ce défilé organisé par l’Association Nationale pour la Protection de l’Artisanat. J’ai ouvert de grands yeux. Parader en caftan devant une centaine de personnes était tout simplement impensable pour quelqu’un d’aussi réservé que moi. J’ai demandé trois jours de réflexion afin de faire le point et de me concerter avec ma famille”. Ses parents se montrant plutôt encourageants, elle finit donc par accepter, convaincue par tant d’enthousiasme.
“L’évènement devait avoir lieu à l’Hôtel Casablanca, l’actuel Hyatt. Nous étions sept à défiler et un concours avait également été organisé pour désigner la plus jolie d’entre nous”. Concours dont elle décroche la première place, assortie d’un chèque de 1.500 DH. “A l’époque ça représentait beaucoup d’argent. Maroc Magazine et d’autres supports de presse avaient écrit à mon sujet. J’étais à la fois émue et fière.” Dans le quartier, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Proches, voisins, amis de voisins, tous veulent la voir, lui parler ou lui poser des questions. Car cette victoire est un peu la leur, eux qui l’ont vu grandir. Quelques temps après, Naima est à nouveau sollicitée, cette fois-ci par le ministère de l’artisanat. “A partir de là, ça n’a plus arrêté. Je me suis mise à enchaîner les défilés. De grands couturiers faisaient appel à moi pour porter leurs créations”.
Sous les feux de la rampe
Son physique de Sylphide blonde ne laisse personne indifférent. Les stylistes se l’arrachent. Elle est de toutes les présentations et de tous les lancements. “Il s’agissait essentiellement de caftans et de robes de soirées, jamais de maillots par contre. Les gens étaient ouverts d’esprits certes, mais il était impensable de se balader en petite tenue devant des ministres et autres sommités.”
Petit à petit, elle se fait un nom, les premières lettres de fans (et d’admirateurs!) commencent à arriver, d’autres plus hardis lui font livrer des fleurs à son domicile. “Le pays avait envie de s’ouvrir à l’international et nous étions considérées comme des ambassadrices de notre culture, adulées et choyées partout où l’on se trouvait. La profession n’avait rien de péjoratif, bien au contraire…”.
Quand le cœur s’en mêle…
On dit que le destin est imprévisible, ce n’est pas faux. Naima Lahrir a atterri dans la mode de manière fortuite et c’est lors d’un énième défilé qu’elle fait la connaissance de celui qui allait devenir son mari. “Il était en visite au Maroc et des amis à lui l’avaient convié ce soir-là. Il m’a vue sur le podium et a attendu la clôture du show pour venir me parler. Il était beau et j’étais affreusement gênée. Il voulait me revoir, j’ai évidemment dit non, mais il a insisté. Il devait repartir pour le Liban et n’avait pas beaucoup de temps devant lui. Je lui ai demandé quelques jours de réflexion, et ce laps de temps écoulé, je lui ai fait parvenir ma réponse. Il y a des choses qui ne s’expliquent pas. Je suis allée à ce rendez-vous avec le pressentiment qu’il allait changer ma vie, je n’avais pas tort”. Premier café, premiers échanges et un coup de foudre qui devient réciproque au bout de deux heures.
“On s’est mariés six mois après. Mes parents étaient réticents. Ils auraient préféré que j’épouse un Marocain mais pour moi c’était le bon. Le seul hic, c’est qu’il ne voulait plus que je défile. J’ai essayé de négocier, en vain. Un homme amoureux a ses raisons…”. Naima Lahrir choisit de tout arrêter et de suivre son époux au Liban. “Là-bas, j’ai commencé à organiser des défilés à domicile et à proposer des tenues traditionnelles à mes nouvelles amies. De mannequin je suis passée à business woman et j’ai remporté un grand succès grâce à ces ventes privées”. Toujours aussi férue de tendances, l’élégante senior porte un regard amusé sur la mode d’aujourd’hui et ses égéries. “Je suis étonnée de voir l’aisance avec laquelle les top-modèles internationaux marchent quasiment nues sur les podiums. Je reste très classique dans mes goûts, mais je ne juge absolument pas. Leur assurance est impressionnante et dans le fond j’aime bien cette audace. Il faut vivre avec son temps”. A-t-elle eu des regrets par moment ? Cette question, l’ex-mannequin se l’est vue poser des centaines de fois et la réponse est demeurée inchangée. “Le cœur l’a emporté sur tout le reste. J’étais folle de mon homme, il me traitait comme une reine et m’a donné quatre magnifiques enfants. Quel regret peut-on avoir après ça ?” Aucun en effet… υ