A 20 ans, j’avais un corps presque parfait, mince et tonique, de beaux seins fermes, des fesses bombées et un ventre plat. “Tu ne grossis jamais, même en mangeant n’importe quoi !”, m’enviaient mes camarades à l’université… La maternité et l’allaitement de mes trois enfants pendant de longues périodes ont laissé des marques indélébiles. À 45 ans, mon corps affichait de façon criante les stigmates des changements hormonaux, mais cela ne me dérangeait pas trop. Et puis un jour, je suis tombée sur une émission télévisée dans laquelle un chirurgien esthétique montrait, photos à l’appui, les changements époustouflants après une intervention. Un vrai déclic ! Je me suis attaquée en premier aux poches sous les yeux, en suivant les conseils d’une collègue qui me vante les effets magiques de son opération. “Enlève-les, ça te vieillit !”, disait-elle. J’ai sauté le pas, mais cela a été un vrai ratage ! J’ai dû subir deux autres opérations pour obtenir un visage plus au moins naturel. J’ai ensuite enchaîné avec un lifting au niveau des sourcils et du front.
Opérations à risque
“Tu sais, tu peux retrouver le corps de tes 20 ans”, me susurre ma collègue. Elle dit connaître un bon chirurgien, mais qui coûte très cher. Là encore, je me laisse tenter. En consultant plusieurs pages Instagram, je découvre que la Turquie était la destination parfaite des personnes complexées par leurs corps. De plus, les prix proposés étaient très abordables. J’ai opté pour une abdominoplastie afin de retirer ce tablier abdominal qui me complexait, un lipofilling fessier par injection de graisse et un lifting mammaire avec prothèse. J’avais tellement hâte de voir le résultat final, que j’ai accepté de faire les trois opérations en une seule fois. Huit longues heures d’opération, c’était de la folie. Mais encore une fois, personne ne m’a avertie du danger.
Au réveil, c’était l’horreur. La douleur, personne ne vous en parle. Et puis j’ai découvert un corps sans vie. J’ai perdu la sensibilité au niveau de mes fesses pendant un moment. Mais ce que j’ignorais, c’est que j’ai frôlé la mort sur la table du chirurgien. En consultant un autre praticien, j’ai appris que je risquais à un fort pourcentage une embolie pulmonaire. Cette obstruction d’une artère pulmonaire ou de l’une de ses branches en général par un caillot de sang pouvait provoquer un arrêt cardiaque à tout moment. Surtout lorsqu’il s’agit de deux opérations lourdes, telles que le lipofilling fessier ou encore l’abdominoplastie.
À mon retour au Maroc, mes amies m’ont fait remarquer que mes fesses étaient déformées. L’injection de la graisse s’est probablement faite uniquement en haut des fesses et pas en bas. J’ai essayé de contacter le chirurgien en question par tous les moyens, mais en vain. Au bout de trois semaines, j’ai eu une désunion de la cicatrice de mon abdominoplastie. Les fils avaient lâché et la plaie s’est donc ouverte à environ 8 cm. Je n’en revenais pas : j’avais un trou dans le ventre. Après une consultation en urgence, j’ai découvert qu’en dessous, j’avais une infection pouvant causer ma mort. J’ai dû la traiter par des antibiotiques et entamer une nouvelle intervention chirurgicale comportant un lavage. Les prothèses mammaires qu’on m’avait posées avaient tellement appuyé sur la cicatrice de mon abdominoplastie, que celle-ci s’est élargie. Et le comble dans l’histoire, c’est que je ne sais même pas quelles prothèses j’ai eues. On ne m’a fourni aucun document ou certificat de prothèse. Je n’ai su que plus tard que c’était mon droit.
“En taillant mon corps, j’ai charcuté mon identité”
Pourquoi me suis-je infligée tout cela ? Moi-même je ne sais pas. Je dois vivre aujourd’hui avec des problèmes de santé que j’ai imposés à mon corps. Pire, je n’étais plus capable de me regarder dans un miroir. Au sens propre comme au figuré. Dans le regard des autres, je me percevais comme une étrangère. Je souffrais donc en silence. Après tout, ces opérations, je les avais voulues. C’est la plus grosse erreur de ma vie. Elles ne m’ont pas redonné le corps de mes 20 ans, elles l’ont changé. À l’intérieur de ce corps, c’est moi, à l’extérieur, je suis une étrangère. J’ai la sensation d’avoir effacé une partie de ma vie, mes rides d’expression, les traces de mes grossesses, mes raisons de vivre et mon âge aussi. J’ai enlevé le charme qu’un corps de maman peut avoir à 45 ans. Mon corps était loin d’être parfait, mais en le taillant, j’ai charcuté mon identité.
Ma vraie identité est partie en fumée et, finalement, j’aurais vraiment pu rester avec ces seins tombants et ce corps imparfait mais humain. Je me pose souvent la question : la maman que je suis et qui n’assume ni son âge ni sa personne a-t-elle la légitimité pour apprendre à ses enfants d’être simplement vrais ? Je pense que je me suis un peu perdue. J’ai risqué ma vie pour un changement de corps et d’identité. Aujourd’hui je le regrette fortement, mais c’est trop tard. La chirurgie plastique est irréversible, je le comprends maintenant avec les diverses opérations que j’ai subies. Avec du recul, je ne sais toujours pas si ce que j’ai fait est dû à un phénomène de société ou si c’est un vrai complexe que je devais régler auprès d’un spécialiste. Car qu’on le veuille ou non, les normes et les critères de beauté imposés de nos jours par nos sociétés sont inhumains. Quelle femme a une grosse poitrine, de grosses fesses sans avoir un minimum de graisse dans le ventre ? Qui ne vieillit pas ? Quel corps féminin reste parfait après plusieurs accouchements? De toutes les manières, les remords ne me seront pas d’une grande aide. Je me console en me disant que le temps fera bien les choses. Et j’espère qu’un jour, je m’accepterais telle que je suis.