Travail des femmes : Le défi de l’égalité économique

Le Maroc a investi dans l’éducation des filles, a accompagné leur ascension universitaire et a encouragé l’entrepreneuriat féminin. Si leur présence sur le marché du travail progresse encore lentement, les réformes engagées et l’essor du numérique ouvrent de nouvelles perspectives d’inclusion économique. Détails.

Elles constituent plus de la moitié de la population marocaine, et près de 42 % des diplômés en ingénierie sont aujourd’hui des femmes. Pour autant, leur intégration dans le marché de l’emploi reste très limitée : en 2024, seule une femme sur cinq environ (19,5 %) participe à la vie active. Et parmi celles qui le font, une part significative est au chômage ou occupe des emplois précaires. “Nous avons gagné la bataille de l’éducation, pas encore celle de l’emploi”, note l’économiste  Youssef Guerraoui Filali. “Le pays dispose d’un capital féminin hautement qualifié, mais il reste encore largement sous-utilisé.”

Un coût pour l’économie

Ce déficit d’emploi féminin a un prix. Derrière les progrès éducatifs, le Maroc laisse inexploitée une part essentielle de son potentiel économique. Le taux de chômage des femmes atteint 26 %, contre 20% pour l’ensemble de la population active, et en milieu urbain, une sur quatre cherche un emploi sans en trouver. Pour Meriem Zairi, Managing Partner d’EmTech VC et membre de la CGEM, ce déséquilibre n’est pas qu’une injustice sociale ; c’est une erreur économique : “Le pays ne peut pas bâtir une croissance durable en écartant la moitié de sa population active. L’emploi féminin ne doit plus être perçu comme une question sociale, mais comme une priorité économique nationale.”

Les chiffres le confirment : selon la DEPF et ONU Femmes, une hausse de 25 % du taux d’activité féminine pourrait rapporter jusqu’à 1,7 point de PIB par an d’ici 2035. Autrement dit, miser sur les femmes serait plus rentable que bien des plans sectoriels. “Les Marocaines sont de mieux en mieux formées, notamment dans les métiers de la tech et du digital, mais la société et le monde du travail ne leur offrent pas encore les mêmes perspectives. Il faut repenser le modèle d’inclusion pour qu’il corresponde à la réalité de ces nouvelles générations”, explique Saloua Karkri Belkeziz, présidente de GFI Maroc et membre fondatrice de l’AFEM. 

Cette évolution commence timidement à se dessiner. La loi 19-20, adoptée en 2021, a instauré des quotas progressifs dans les conseils d’administration des sociétés cotées ; une première dans la région. Et dans les domaines du numérique et de l’entrepreneuriat, une nouvelle génération de femmes occupe désormais des postes stratégiques, parfois pionniers. Mais cette avancée reste concentrée dans les grands centres urbains et ne profite qu’à une minorité. “Le numérique a ouvert des brèches dans des structures longtemps verrouillées”, observe Lamiae Benmakhlouf, directrice générale du Technopark. “Des jeunes femmes y trouvent une liberté de création et une visibilité qu’elles n’auraient pas eues dans les cadres traditionnels. Mais il faut encore transformer cette présence en influence réelle.”

Le poids du quotidien

Si les politiques de formation ont préparé le terrain, les politiques d’emploi, elles, ont du mal à suivre le même rythme. Les opportunités se concentrent dans les grandes villes, tandis que des milliers de femmes, surtout rurales, restent enfermées entre la charge familiale, la précarité et la distance géographique. Pour Meriem Zairi, le problème n’est pas seulement économique, il est systémique : “L’égalité économique n’est pas une politique isolée. C’est un fil à tirer dans toute la stratégie nationale; transport, éducation, logement, développement territorial. Tant que ces politiques ne dialogueront pas entre elles, rien ne bougera.”

Ce déséquilibre, les femmes le vivent chaque jour. Derrière les statistiques se cache une réalité bien concrète: celle d’un quotidien semé d’obstacles qui, mis bout à bout, freinent leur autonomie. Le transport reste l’un des premiers verrous à lever. Bien au-delà des zones rurales, la mobilité féminine demeure limitée. Dans les petites villes et les zones périurbaines, les liaisons sont rares, les bus irréguliers et le transport scolaire quasi inexistant. “Une mère ne peut pas partir travailler sereinement si elle ne sait pas comment son enfant ira à l’école ou rentrera chez lui”, souligne Amal Cherif Haouat, présidente du Forum international des Très Petites Entreprises. “Dans certaines régions, les femmes marchent plusieurs kilomètres ou dépendent de taxis collectifs coûteux.” À ces contraintes de mobilité s’ajoute un autre frein majeur : l’absence de structures de garde. Le Maroc ne dispose toujours pas d’un réseau public de crèches accessible, et les établissements privés se concentrent dans les grandes villes. “Tant qu’il n’existera pas de solutions de garde abordables et proches du domicile, beaucoup de femmes continueront à renoncer à travailler”, poursuit Amal Cherif Haouat. 

Mais les barrières ne sont pas seulement matérielles. Elles sont aussi culturelles. Le Haut-Commissariat au Plan rappelle que près de 70 % des femmes inactives invoquent leurs responsabilités familiales comme principale raison de leur retrait du marché du travail. “Au Maroc, la question de l’emploi féminin ne se limite pas à l’accès à la formation ou aux infrastructures”, explique Saloua Karkri Belkeziz, présidente de GFI Maroc. “Elle est profondément liée au modèle social, où la femme reste perçue comme garante du foyer. Tant qu’elle devra porter seule la charge domestique, il sera difficile d’envisager une pleine participation économique.” Pour l’économiste Youssef Guerraoui Filali, ces freins ne peuvent être levés qu’à travers une approche globale. “L’enjeu, aujourd’hui, c’est de relier l’école, l’emploi, le transport et les services de proximité”, souligne-t-il. “C’est cette cohérence d’ensemble qui permettra aux femmes de s’inscrire durablement dans la vie économique.” 

Certaines initiatives ont commencé à tracer cette voie, comme Forsa, Intelaka ou Min Ajliki, qui soutiennent la création d’entreprises féminines. “Ces projets donnent de l’espoir, mais ils doivent durer dans le temps”, insiste Amal Cherif Haouat. “Ce qui manque, c’est un accompagnement de proximité, pas seulement un financement ponctuel.” Une vision partagée par Saloua Karkri Belkeziz, présidente de GFI Maroc, qui estime que l’impulsion ne peut venir uniquement de l’État : “ L’autonomisation économique ne doit pas reposer sur les seules politiques publiques. Le secteur privé a un rôle essentiel à jouer : créer des emplois, former, ouvrir les espaces de décision. C’est ainsi qu’on fera de l’égalité une réalité productive.”

Le travail, autrement

Face à ces nombreux obstacles, beaucoup de femmes n’abandonnent pas le travail : elles le réinventent. L’économie informelle, longtemps perçue comme une zone grise, est devenue pour elles un espace de survie, mais aussi d’ingéniosité. Dans les villes comme dans les campagnes, des milliers de Marocaines cuisinent à domicile, vendent sur les marchés, cousent pour leurs voisines, fabriquent des produits artisanaux ou proposent des services de proximité. “L’informel, c’est souvent la seule porte ouverte”, explique Saloua Karkri Belkeziz. “Il permet aux femmes d’obtenir un revenu, parfois vital, mais il les maintient dans une précarité invisible. Le défi, c’est de transformer cette énergie en tremplin vers le formel”, précise-t-elle. Selon le HCP, près de 71 % des femmes actives travaillent dans l’informel, sans couverture sociale ni statut légal. Un chiffre qui en dit long sur la vitalité de ces activités que sur leur fragilité. “Ces femmes participent à l’économie sans en tirer les bénéfices”, observe Amal Cherif Haouat. “Elles produisent, vendent, soutiennent leurs familles, mais sans reconnaissance, sans accès au crédit, ni visibilité statistique.”

La transition vers le formel a commencé avec la généralisation progressive de la protection sociale et le statut d’auto-entrepreneur, qui leur permettent de s’enregistrer et d’accéder à certains services. Mais pour beaucoup, la véritable révolution s’est faite ailleurs : sur les réseaux sociaux. “Le numérique a profondément changé la donne”, souligne Lamiae Benmakhlouf, directrice générale du Technopark. “Il a permis à des femmes d’exister professionnellement sans passer par les filtres habituels de l’emploi formel.”

Sur Instagram, TikTok ou WhatsApp, elles cuisinent, enseignent, vendent ou conseillent. Le smartphone est devenu leur outil de travail, leur vitrine et parfois leur seule indépendance financière. Ce mouvement ne se limite plus aux grandes villes : dans les zones rurales, des artisanes diffusent leurs créations, livrent à travers tout le pays et trouvent de nouveaux débouchés grâce au digital. Le numérique a effacé les distances et ouvert des horizons d’autonomie. Mais cette liberté reste fragile: les revenus sont irréguliers, la protection sociale encore floue et la frontière entre vie professionnelle et privée souvent inexistante. “Les réseaux sociaux donnent de la visibilité, mais pas encore de stabilité”, nuance Lamiae Benmakhlouf. “Il faut encadrer ces activités, offrir des formations, des outils de gestion et surtout un cadre qui protège ces nouvelles formes d’emploi.”

Vers une économie plus inclusive

Si beaucoup de femmes travaillent à la marge du système, d’autres choisissent de le transformer de l’intérieur. De plus en plus de Marocaines créent leur entreprise, souvent avec peu de moyens mais une détermination exemplaire. L’entrepreneuriat féminin est devenu un véritable levier d’émancipation, une façon concrète de s’affirmer et de participer à la croissance. “C’est aussi une manière pour les femmes de se positionner dans des domaines où elles étaient absentes : la tech, les start-up, l’innovation. Mais il faut les accompagner pour qu’elles puissent y rester”, confirme Lamiae Benmakhlouf. Cette dynamique repose sur la solidarité et la transmission. “Nous avons besoin de modèles visibles, de mentorat, de réseaux féminins solides”, insiste Saloua Karkri Belkeziz. “Quand une femme réussit, elle doit pouvoir en inspirer dix autres. L’autonomisation économique, c’est aussi cela : créer une chaîne de confiance et d’entraide.”

Dans les incubateurs, les associations ou les collectifs d’entrepreneures, cette énergie collective se manifeste déjà. Elle change la dynamique économique du pays : les femmes créent de la valeur, de l’emploi, et déplacent le regard porté sur la réussite féminine. Le Maroc avance, lentement mais sûrement, porté par ces initiatives de terrain et les politiques qui les accompagnent. “L’autonomisation des femmes n’est pas un dossier à part, c’est un pilier du développement. Elle doit irriguer toutes les politiques publiques, être pensée comme un investissement dans l’avenir”, conclut Lamiae Benmakhlouf.

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