Deux sens s’associent au mot ramadan : ”ramad”, la chaleur du soleil qui réchauffe la pierre et une résonnance spirituelle, ”ramad”, l’engouement et l’énergie spirituels. C’est cette dimension qui confère toute sa particularité au mois sacré, période de concentration spirituelle et de contemplation. Car ramadan ne saurait être réduit à une succession de privations et d’interdits (ne pas manger, ne pas boire, ne pas avoir de relations intimes, de l’aube jusqu’au coucher du soleil). La symbolique de ce 4ème pilier de l’islam est beaucoup plus profonde, comme le dit explicitement ce hadith : “si le serviteur sait ce que cache le mois de ramadan, il aurait souhaité que toute l’année soit ramadan.”
Cette pratique religieuse, qui libère l’être humain des entraves de la dépendance matérielle, du carcan des mauvaises habitudes et de la consommation aveugle, est un acte dévotionnel qui conduit à la quiétude intérieure. Période de spiritualité par excellence, c’est aussi un moment intense de recueillement, de méditation, de rencontre avec soi, avec Dieu et avec les autres. Il s’agit en fait de vivifier sa spiritualité, l’initiation à une véritable libération par le jeûne de l’âme, l’invitation à appréhender la présence divine par le jeûne du cœur. Trouver la paix avec soi-même, avec autrui, et avec Dieu est un cheminement qui exige autodiscipline et maîtrise de soi. Autrement dit, le détachement à l’égard du monde et l’ouverture à Dieu. Il s’agit de faire pénitence, de pardonner mais aussi de favoriser une forme d’ascétisme et de réflexion. À cet égard, le théologien Al Ghazali estime que ramadan est le mois de la purification de soi, un mois où l’on “s’affranchit de tout ce qui détourne d’une compréhension authentique de soi-même – de s’émanciper des besoins, des désirs et même des sens, qui transportent vers l’extérieur et, par là, empêcheraient de se recueillir en soi-même. En se dépouillant de ce qui l’attache à la vie terrestre, le jeûneur découvre qu’il est peu de choses par rapport à l’infini de Dieu, dont il est la créature”, écrit-il. Le ramadan est donc, en même temps, un retour à soi et un renoncement à soi, puisqu’il débouche seulement sur Dieu. Sacrifice d’autant plus exigeant qu’il ne repose sur rien d’autre que la foi, qu’il n’est donc jamais assuré. “Le cœur de celui qui rompt le jeûne reste en suspens, entre la peur et l’espoir, car il ne sait pas si son jeûne a été accepté […] ou rejeté” par Dieu.
La symbolique du mois de jeûne
Le sens premier du ramadan est éminemment religieux et s’inscrit dans un perfectionnement de la foi, à travers la prière, la lecture du Coran, mais aussi l’apprentissage de la patience et de la modestie. Ramadan ne se limite pas à s’abstenir de manger, boire et faire l’amour lors de la journée, en occupant tout son temps à la prière, mais d’adopter des attitudes de sagesse et surtout d’entretenir des relations humaines fondées sur le respect de la dignité de l’Autre, sur le pardon, l’humanisme et l’amabilité. Mais chez beaucoup de personnes, le jeûne se limite souvent à la prière, c’est-à-dire à leur relation à Dieu, oubliant que l’islam c’est aussi et surtout une régulation des relations humaines afin de construire une communauté solide, basée sur le civisme. En fait, nul besoin d’être un pratiquant “pur et dur” tout au long de l’année pour vivre la vérité du ramadan, dont les bienfaits s’étendent à la sphère familiale et sociale.
“Ton but n’est pas nous garder affamés – Mais nous transformer, de l’intérieur nous changer – Nous élever, progresser dans sa spiritualité – Se réconcilier, et en premier pardonner.” Tout est dit. Le pardon est en effet l’une des vertus les plus importantes en islam. Pour preuve, la presque totalité des Sourates du Coran (113 sur 114) invoquent Dieu miséricordieux a rappelé le philosophe Ali Benmakhlouf lors d’une conférence donnée à la Fondation Attijari au cours d’une soirée ramadanesque l’année dernière. Pour les mystiques musulmans a-t-il expliqué, si Dieu est miséricordieux, alors l’Homme, qui possède en lui tous les attributs divins, peut pardonner. “Le pardon humanise car il est en interaction dynamique avec l’amour. Plus je pardonne, et plus j’accueille l’amour.”
Le don de soi est également une valeur inhérente à l’islam. Il doit être perçu d’un point de vue cosmique. Mais cette pratique est-elle aisée en temps de crise et d’adversité ? “Oui car le don de soi est toujours possible si nous nous plaçons dans un faisceau de vies, en faisant appel à la solidarité. Plus tard, Descartes confortera cette conviction en affirmant : Ce qui nous coûte peu, profite beaucoup à l’autre”, estime le philosophe. Certes, en donnant, nous sommes en disposition de recevoir, mais il n’y a aucune obligation de retour. “Ne demande pas, donne !”. Le troisième volet de cette triptyque est la gratitude. Pour les érudits mystiques, estime le professeur Benmakhlouf, “cette valeur, cultivée en continu grâce à la récurrence de l’appel à Dieu, soulage le cosmos de ses vicissitudes et décharge l’homme de ses angoisses.” En parallèle, l’apprentissage permanent de la gratitude est possible à travers la pratique d’exercices spirituels comme l’Eveil, l’Examen de conscience et la Résipiscence.
Solidarité agissante
Élever son âme durant ce mois en ôtant les chaînes du désir corporel, en étant prêt à faire le bien tout en évitant les actes ostentatoires et tout excès sont une dimension inhérente à la pratique du jeûne. La nécessité de ressentir les affres de la faim subies par les plus démunis en est un volet. Mais cette mise à l’épreuve est censée se poursuivre, au coucher du soleil, par une rupture du jeûne frugal… Pour le coup, c’est raté ! La juste mesure est d’ailleurs une recommandation divine : “Ô enfants d’Adam, dans chaque lieu de Salat portez votre parure (vos habits). Et mangez et buvez ; et ne commettez pas d’excès, car Il n’aime pas ceux qui commettent des excès.” (Sourate 7, Al A’raf, verset 31).
Et on ne le répètera jamais assez : le mois saint est un mois dédié aux autres et aux démunis. La solidarité manifestée à cette occasion est aussi un moyen pour la communauté de se souder et de pratiquer l’aumône envers les nécessiteux à qui on donne de l’argent ou de la nourriture, et aux proches, famille et amis, avec qui on partage la joie de se retrouver, le soir, lors de la rupture du jeûne. À l’écoute des autres, mais aussi généreux, le jeûneur purifie son corps et son âme. Mais qu’en est-il dans les faits ? Notre dossier s’introduit au cœur de la pratique du jeûne et de sa réalité dans le Maroc d’aujourd’hui.