L’amour hors-la-loi ?

Chez nous, l’amour se vit secrètement, et surtout clandestinement. On tolère les bagarres et les ordures jetées dans la rue, les gestes obscènes, les klaxons, l’impolitesse, mais l’amour n’a aucun droit d’existence.

Dans notre société, l’amour est presque plus tabou que le sexe. » Cette célèbre boutade du sexologue Aboubakr Harakat en dit long sur le sentiment amoureux frappé du sceau de la hchouma. Et cela dès l’enfance. Les amours enfantines n’ont bien évidemment aucune connotation sexuelle. Les petits, il est vrai, sont attirés par l’autre sexe, et leurs sentiments s’expriment de façon gestuelle : câlins, bisous…  On se tient par la main, on joue ensemble, on se fait des confidences etc. Une attitude parfaitement normale qui s’inscrit dans la construction de la personnalité de l’enfant et de sa socialisation. Le petit cœur qui bat la chamade pour le (la) camarade de classe vivra ses derniers instants d’innocente liberté entre 3 et 6 ans. Mais qu’on ne s’y trompe pas. À cet âge-là, l’enfant peut même souffrir de chagrins d’amour et connaître des peines de cœur.

Le fruit interdit

L’éveil aux premiers émois se déclare au collège. Les jeunes sont alors perdus, n’ayant jamais appris à exprimer ce sentiment : faut-il le taire ou le proclamer haut et fort, à l’image de ce qu’ils ont pu voir dans les séries télévisées ? Mais dans une société où ni les garçons ni les filles n’ont appris à exprimer leurs sentiments et où le poids des traditions est fortement enraciné dans notre conscience collective, cette émotion sera tue à jamais.

Le droit de réserve devient dès lors la principale caractéristique de ce sentiment dans la sphère publique. Les premières amours sont vécues en cachette, sous le signe de la culpabilité et de l’interdit. En l’absence d’un référentiel familial, le jeune va puiser l’essentiel de sa culture amoureuse des films, romans ou de la rue. C’est le chaos amoureux…
À l’âge adulte, l’amour se vit presque toujours en cachette. Le jeune se doit de dénicher un partenaire de vie et se marier. Autrement dit, aimer signifie surtout se marier, fonder une famille… En somme, se ranger, et remiser le romantisme et autres joies de l’amour au fond d’un placard. Cette approche trouve ses fondements dans l’éducation prodiguée aux jeunes, filles et garçons. Aux premières, on inculquera que toute relation avec l’autre sexe est suspecte, et aux garçons on répètera à l’envi que les filles sont des créatures dangereuses à qui il ne faudra jamais dévoiler ses sentiments au risque de perdre de sa virilité. Mais entre les envies du cœur et les interdits érigés par la société, les jeunes sont tiraillés.
Même les mots qui expriment ce sentiment sont tabous et tournés en dérision. Au mot “Tanhabek” (je t’aime) on préfère souvent l’exprimer en français, car dans notre quotidien, l’amour n’est pas révélé par le verbe ! “Tanhabèque, houbbi, hbiba dyali sont autant de mots et bien d’autres qui restent bloqués, telle une arête de poisson, dans les gorges de nos hommes”, rappelle avec justesse la sociologue Soumaya Naâmane Guessous. Ainsi, non seulement l’amour est tabou, mais les mots pour exprimer sa passion sont jugés par les amoureux rudes, rêches… et prêtent au ridicule…

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