L’idée des écoles pionnières est née d’un constat implacable. L’école publique faisait déjà face à de nombreux défis, mais les dernières évaluations ont confirmé l’ampleur du défi. “Les évaluations internationales comme PISA, TIMSS ou PIRLS, mais aussi notre Programme national d’évaluation des acquis (PNEA 2019), ont révélé des chiffres préoccupants”, rappelle Mohamed Dib, directeur de l’Académie régionale de l’éducation et de la formation (AREF) de Casablanca-Settat. “Seuls 30% des élèves du primaire maîtrisaient les compétences fondamentales, et ce taux tombait à 10 % au collège. Plus de la moitié des collégiens, soit 53 %, abandonnaient chaque année.”
Face à ce constat, le ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement préscolaire et des sports a lancé, en septembre 2023, le projet des “Écoles pionnières”. Celui-ci s’inscrit dans le cadre de la Loi-cadre 51-17 et de la Feuille de route 2022-2026, qui visent à instaurer un nouveau modèle éducatif axé sur la qualité, l’équité et l’innovation.
“L’originalité du modèle pionnier réside dans le fait de partir du niveau réel de chaque élève pour construire un apprentissage progressif et adapté. Autrement dit, nous passons d’un enseignement centré sur le programme à une éducation centrée sur l’apprenant”, explique Lhoucine Ztit, directeur des programmes de l’enseignement primaire au ministère de l’Éducation nationale et coordinateur national du projet.
Recentrer sur l’élève
Inspiré du modèle international Teaching at the Right Level (TaRL), le dispositif combine deux volets : une phase de remédiation intensive en début d’année scolaire, puis un accompagnement différencié tout au long du parcours. À cela s’ajoute l’enseignement explicite, qui clarifie les objectifs, vérifie la compréhension et responsabilise l’élève dans son apprentissage.
Les premiers bilans semblent confirmer la pertinence de l’approche. “Dans les écoles pionnières, les élèves ont progressé de 0,9 écart-type en lecture et de 0,8 en mathématiques”, souligne Mohamed Dib. “Concrètement, 90 % des élèves concernés font mieux que le groupe de comparaison en français et 82 % en mathématiques.” Dans la région Casablanca-Settat, l’expérience a pris une ampleur significative. “Nous sommes passés de 88 écoles primaires pionnières en 2023 à 288 en 2024, avec 33 collèges intégrés”, poursuit Dib. “Notre objectif est d’atteindre 52 % d’écoles pionnières d’ici 2025, contre 33 % actuellement.” Dans la région Tanger-Tétouan-Al Hoceïma, le bilan va dans le même sens. “Nous constatons une nette amélioration des apprentissages fondamentaux et une diminution significative du décrochage scolaire”, souligne Rachid Rayan, directeur de l’AREF de la région. Selon lui, l’expérience des établissements pionniers a démontré que miser sur la qualité de l’enseignement porte ses fruits: les élèves s’impliquent davantage et les enseignants voient leur rôle central reconnu et valorisé. “Nous avons démarré en 2023 avec 626 écoles primaires”, rappelle pour sa part Lhoucine Ztit. “Aujourd’hui, nous couvrons près de 2.600 établissements, auxquels s’ajoutent 730 collèges pionniers. Cela représente plus de 1,3 million d’écoliers et quelque 200.000 collégiens.”
Pour accompagner cette extension, des investissements massifs ont été engagés. Mohamed Dib précise: “En 2025, un budget de 2,3 milliards de dirhams a été mobilisé pour construire 181 nouveaux établissements, ajouter 2.094 salles de classe et réhabiliter 2.500 écoles et collèges pionniers.” Le numérique n’est pas en reste. “Entre 2023 et 2025, 52 classes connectées ont été déployées dans notre région”, indique le directeur de l’AREF de Casablanca, “et l’ambition est de généraliser ce modèle à toutes les écoles pionnières.”
Un modèle en devenir
Les avancées sont indéniables, mais les défis demeurent. “Dans la région Casablanca-Settat, le décrochage scolaire touche encore 4,95 % des collégiens pionniers”, reconnaît Mohamed Dib. “C’est un chiffre bien inférieur aux moyennes passées, mais il nous rappelle que la lutte contre le décrochage est un travail de longue haleine.” Pour Lhoucine Ztit, il s’agit d’un chantier global: “Le décrochage ne s’explique pas uniquement par les méthodes pédagogiques. Il est lié aussi aux conditions socio-économiques et psychologiques des élèves. C’est pourquoi nous développons les ateliers psycho-sociaux et renforçons le lien école-famille.”
Avec les Écoles pionnières, le Maroc esquisse les contours d’un modèle éducatif inédit, enraciné dans la réalité nationale tout en s’inspirant des meilleures pratiques internationales. “Notre ambition est de former des citoyens plurilingues, compétents, autonomes et porteurs de valeurs humanistes”, conclut Lhoucine Ztit. Un projet qui, progressivement, redonne à l’école publique marocaine sa vocation première: non seulement accueillir les enfants, mais leur offrir les conditions réelles de l’apprentissage et de la réussite.
Les premiers progrès sont visibles
Dès le lancement du programme des Écoles pionnières dans notre région, nous savions que nous engagions un chantier complexe. Les résultats des évaluations nationales et internationales parlaient d’eux-mêmes: préoccupants, parfois alarmants. Il était clair qu’il fallait agir et transformer ces constats en levier de réforme.
Ce projet ne se limite pas à une réforme pédagogique. Il s’agit d’instaurer une nouvelle culture scolaire : replacer l’élève au centre, doter l’enseignant des moyens nécessaires, moderniser les infrastructures et, surtout, créer une dynamique collective où chaque acteur (inspecteur, directeur, parent) se sent coresponsable de la réussite de l’enfant.
À Casablanca-Settat, les premiers progrès sont déjà visibles. Les apprentissages de base s’améliorent, le décrochage recule, même s’il persiste encore. Le défi, désormais, est d’agir au-delà de la salle de classe, en renforçant les dimensions extrascolaires, psychosociales et familiales. Ce qui nous encourage, c’est la mobilisation croissante
des équipes pédagogiques et la confiance retrouvée des familles.
Les Écoles pionnières ne sont pas seulement un label. Elles incarnent une école publique qui se réinvente, pas à pas, avec détermination et ambition.
