En franchissant le seuil d’une librairie au cœur de Casablanca, nous sommes frappées par le nombre impressionnant d’étagères débordant de centaines d’ouvrages invitant à une quête intérieure de sérénité et d’équilibre. Ici, ce ne sont pas seulement des livres qui s’entassent, mais aussi les aspirations de milliers d’âmes en quête de sens. Axés sur le développement personnel, le bien-être et la recherche intemporelle du bonheur, ces étalages regorgent de promesses de transformation intérieure. “J’ai vu ma vie changer complètement grâce à plusieurs vidéos de coaching que j’ai trouvées sur YouTube”, confie Leïla, la trentaine, feuilletant “Le pouvoir du moment présent”, de Eckart Tolle, recommandé par un coach sur Instagram. “J’ai lu quelques passages de ce guide d’éveil spirituel. Il paraît qu’il a le pouvoir de métamorphoser notre vie”, ajoute la jeune femme, le regard empreint de conviction.
Se frayant un chemin entre les étalages chargés de livres, Leïla raconte comment elle a trouvé un profond apaisement en suivant quelques coachs en ligne et en plongeant dans la lecture. Elle fait partie d’une véritable communauté, tant en ligne que dans la vie réelle, qui s’inspire des enseignements de divers coachs en développement personnel. Si des centaines de milliers, voire des millions, s’imprègnent de leurs paroles, scrutent leurs vidéos et suivent assidûment leurs réseaux sociaux, c’est que ces guides, dans tous les domaines, ont su séduire de nombreux disciples sur les plateformes en ligne. Sur YouTube, Instagram, TikTok, ces figures du bien-être distillent leurs précieux conseils, révèlent les clés du bonheur, et partagent leurs astuces pour une vie épanouie. Chacun trouve sa voie, sa dose d’inspiration, son guide vers un mieux-être. Du lifestyle à la musculation, en passant par le yoga, ils offrent un éventail de thématiques, chacune promettant un chemin vers la réalisation de soi. “L’émergence de la psychologie positive et du bien-être témoigne d’un mouvement sociétal croissant vers une vie plus épanouie, alimenté par une recherche toujours plus pressante de bonheur”, analyse Amel Sebti, thérapeute holistique et coach.
Un business qui rapporte
La quête du bonheur remonte aux racines des valeurs occidentales, consacrée dès les balbutiements de la nation américaine avec la Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776. Cette aspiration profonde à l’épanouissement personnel a forgé une culture où le bonheur est non seulement recherché, mais presque institutionnalisé. “Au fil du temps, la psychologie positive s’est affirmée en tant que discipline distincte, émergeant des recherches universitaires américaines”, souligne Amel Sebti. Martin Seligman, chercheur à l’université de Pennsylvanie qui ajoute que cette psychologie du bonheur est largement reconnu comme l’un de ses précurseurs, ayant théorisé ses principes en 1998. Son influence a été particulièrement ressentie en Europe, où elle a été adoptée dans le domaine du management d’entreprise, donnant naissance à des postes tels que celui de “Happiness manager”.
Cette évolution a stimulé une demande croissante pour des produits et des services axés sur l’amélioration de la qualité de vie. Parallèlement, “l’avènement de l’ère numérique a ouvert un vaste champ de possibilités, offrant un accès instantané à une multitude de ressources en ligne dédiées au bien-être”, analyse Amel Sebti. Cette accessibilité accrue a permis à l’industrie du bien-être d’atteindre un public plus large, favorisant ainsi son expansion. Dans ce contexte, la pression constante de la vie moderne, marquée par le stress et l’urgence, a renforcé le besoin de solutions rapides et efficaces pour promouvoir le bien-être, comme l’observe Mehdi Berrada Allam, hypnothérapeute. Il ajoute que les progrès dans les domaines de la psychologie et des neurosciences ont mis en lumière l’importance du bien-être mental et émotionnel pour mener une vie épanouie, incitant ainsi un nombre croissant de personnes à adopter des pratiques et des techniques visant à cultiver le bonheur et le bien-être.
De son côté, Amel Sebti explique que le Covid-19 a eu un impact significatif sur les niveaux de conscience individuelle et collective, ainsi que sur la quête du bonheur. Bien que les données spécifiques au Maroc manquent, dans d’autres régions du monde, les chiffres sont alarmants. En France, par exemple, une étude publiée par l’institution nationale France Compétences en 2022 révèle qu’une personne sur deux souhaite entamer une reconversion professionnelle après le Covid-19. Et parmi ceux touchés par cette réorientation, on trouve Aziza Berrada, créatrice de chapelets avec des pierres énergétiques. Anciennement engagée dans un emploi conventionnel, la pandémie a radicalement transformé sa vie. “La crise sanitaire a servi de catalyseur, mettant en lumière l’importance de la connexion avec soi-même et avec les autres, ainsi que la recherche d’un équilibre entre la vie quotidienne et les aspirations les plus profondes”, confie-t-elle.
Cette quête de sens, loin d’être une tendance passagère ou une simple entreprise lucrative, est une réponse authentique à un besoin universel de plénitude et de signification dans nos actions et nos relations, affirme-t-elle avec conviction. Si le Covid-19 l’a amenée à remettre en question de nombreux aspects de sa vie et à rechercher la paix intérieure, il l’a également incitée à embrasser pleinement le travail qui résonnait avec son être le plus profond. D’ailleurs, dans son cabinet à Californie, Casablanca, Aziza Berrada offre des séances de thérapie d’accompagnement individuelle et de groupe ainsi que des ateliers sur diverses thématiques liées à la santé mentale et au bien-être. En complément, elle confectionne des “tsabih” (chapelets) adaptés à chaque individu, en accord avec son énergie spécifique. Sans prétendre être lithothérapeute, Aziza revendique une sensibilité particulière qui imprègne chaque création. Chaque pièce, élaborée avec soin, est pensée pour amplifier les vibrations positives et répondre aux besoins uniques de chacun, que ce soit par le choix des pierres, des couleurs ou des motifs. “Mes chapelets sont fabriqués avec amour. C’est une part de moi que je leur offre”, confie-t-elle.
Un bonheur standardisé
Au-delà de l’impact évident de la pandémie, une nouvelle tendance émerge, alliant prise de conscience et engouement. Un marché florissant s’est développé pour répondre à la demande croissante de bien-être. Cette recherche de mieux-être se manifeste également dans les magasins de sport et de fitness, qui proposent une variété d’articles favorisant la détente. Tapis de yoga, coussins de méditation, mais aussi des articles plus insolites comme le carillon Koshi ou le kalimba, tout est là pour favoriser une atmosphère de relaxation. “Les individus ont pris conscience de l’importance de briser leurs routines, ce qui a propulsé la popularité des retraites axées sur le bien-être”, remarque Mehdi Berrada Allam. Ces retraites, fusionnant psychologie et développement personnel, offrent une immersion profonde dans le mieux-être. Cependant, cette diversité d’offres nécessite une base solide en psychologie pour garantir le bien-être émotionnel des participants et prévenir tout dérapage, souligne-t-il. Bien que la réglementation soit souple dans des pays comme le Maroc, la certification et les références peuvent guider le choix d’un thérapeute. “Au final, une alliance thérapeutique basée sur la confiance et la connexion est cruciale pour favoriser la guérison et le bien-être psychologique”, insiste Amel Sebti.
“Souris à la vie et la vie te sourira.” Et si l’on prenait cet adage à la lettre pour accéder au bonheur? Pour les adeptes du “développement personnel”, c’est une évidence. “Mais l’industrialisation du bien-être et du développement personnel propose souvent une vision uniformisée du bonheur, négligeant les particularités individuelles et culturelles”, explique la thérapeute holistique. Ainsi, du système éducatif à la sphère professionnelle, en passant par la politique, le développement personnel imprègne désormais tous les aspects de notre société. Mais à quel prix ? Est-ce vraiment ainsi que nous atteindrons le bonheur tant recherché ?
“La quête du bonheur a été stigmatisée”
Il est crucial de faire une distinction claire entre la psychologie positive et ce qu’on pourrait appeler l’injonction au bonheur, également connue sous le nom de psychologie du bonheur. La psychologie positive se démarque en tant que discipline scientifique axée principalement sur les aspects positifs de la vie mentale et émotionnelle, contrairement à la psychologie traditionnelle, qui a historiquement mis l’accent sur les aspects négatifs tels que les troubles mentaux et la souffrance. Cette nouvelle branche de la psychologie vise à prévenir la souffrance mentale en se concentrant sur les forces, les qualités et les émotions positives.
D’autre part, l’injonction au bonheur semble être alimentée par une évolution des besoins humains, comme le suggère la théorie de la pyramide des besoins de Maslow. Selon cette perspective, la santé mentale a longtemps été perçue comme un luxe réservé aux privilégiés, tandis que les individus en situation de survie se concentrent davantage sur leurs besoins physiologiques et de sécurité. Mais, cette quête incessante du bonheur a été stigmatisée, en partie en raison de l’influence des médias et des réseaux sociaux, qui promeuvent souvent des idéaux de vie idéale inatteignables pour de nombreux individus. Cette pression sociale peut créer un fossé entre la réalité quotidienne et les attentes irréalistes de bonheur, contribuant ainsi à une culture de l’excès dans la recherche du bonheur. Car au final, une approche superficielle de la psychologie du bonheur peut exclure les émotions authentiques, engendrant ainsi culpabilité et problèmes physiques et mentaux.