Qu’est-ce qui vous a poussé à aborder le thème développé dans votre livre ?
Je travaillais en tant que psychothérapeute dans un hôpital public de Casablanca, et je m’étonnais de recevoir très souvent des patients avec le même type de problématique : des femmes d’âge mûr, aux prises avec une mère abusive qui continue de les maintenir sous son emprise toxique. Face à ce constat, je me suis demandée si cela n’avait finalement pas trait à quelque chose de systémique vécu dans nos sociétés au Maghreb. Car pourquoi tant de femmes qui deviennent mères se comportent avec leurs enfants comme s’ils leur appartenaient et qu’elles pouvaient en faire ce qu’elles voulaient ? Pourquoi cette appropriation, cette chosification des enfants ? D’où découle cette maltraitance, si fréquente dans nos sociétés ?
Quelle est la particularité du système patriarcal dans les pays du Maghreb ?
Il est appuyé et légitimé par la religion, ou plutôt, par certaines lectures que l’on fait de la religion. L’Islam au Maghreb fonde en grande partie l’organisation de la société, et certaines de ses lois, notamment en matière de code de la famille et de statut de la femme. Ainsi lorsqu’un Hadith ou un verset de Coran énonce une idée qui semble aller à l’encontre de l’égalité hommes-femmes, et qu’on interprète cela de manière littérale, sans ijtihad, sans effort de recontextualisation et sans remettre le cœur du message universel de l’Islam -qui est quand même un message d’amour et d’égalité- au centre, alors il y a de fortes chances pour que l’on puisse faire dire tout ce que l’on veut aux textes sacrés, et que les femmes en ressortent grandes perdantes.
Le système patriarcal oppresse et maltraite les femmes, c’est connu. Mais les enfants, moins. En quoi les malmène-t-il ?
Le système patriarcal oppresse, brime et infantilise les femmes. Ces dernières n’existent, à ses yeux, que lorsqu’elles deviennent mères. Elles ont une utilité. Aussi, peuvent-elles considérer leurs enfants comme une fin en soi, un moyen d’arracher enfin un certain statut dans la société. De là, à les voir comme des objets, il n’y a qu’un pas…
Pourtant on dit souvent que les enfants dans les pays du Maghreb sont sacrés…
Oui il y a cette idée qu’un enfant, surtout petit, apporte la joie et la “baraka” dans une famille. Toutefois, l’accueil et le traitement d’une fille et d’un garçon ne sont pas les mêmes. Et puis, ce n’est pas parce que l’on est heureux d’avoir un enfant qu’on le considère forcément comme un être libre. Chez nous, les enfants appartiennent aux adultes. Ils leur doivent une sorte allégeance d’une manière ou d’une autre. Que ce soit en restant physiquement près d’eux, même à l’âge adulte, en épousant le parti édicté par le clan, ou en arrêtant l’école pour aller travailler et aider aux besoins de la famille. Cela prend des formes différentes mais l’essence est toujours la même. La joie d’avoir un enfant n’empêche pas la chosification…