Yasmine Chami, “Casablanca Circus est le roman d’une ville qu’on retrouve”

Après Médée chérie (2019) et Dans sa chair (2021) Yasmine Chami signe Casablanca Circus. Dans ce roman, Casablanca y est explorée à travers l’histoire d’un couple, May et Chérif, qui décident de revenir au Maroc après quelques années passées en France. Yasmine a porté ce projet d’écriture pendant plus de vingt ans. C’est dire qu’elle ne fait pas qu’effleurer les sujets qu’elle évoque dans ce roman, elle y plonge avec force pour livrer un roman puissant avec délicatesse et justesse.

Dans Casablanca Circus, il s’agit de l’histoire d’un couple très amoureux, mais que tout va opposer lorsqu’ils reviendront s’installer à Casablanca. Mais pas seulement. Que vouliez-vous raconter d’autre ?

Dès le titre, on voit qu’il s’agit de Casablanca. Cela fait un peu plus de vingt ans que je porte ce projet. Lorsque j’étais jeune, la manière dont j’ai habité Casablanca ne me permettait pas de connaître la ville en dehors des  trajets auxquels j’étais assignée, c’est-à-dire autour de la maison, de l’école et des quelques activités que je faisais comme la danse ou encore des promenades que je faisais avec ma mère. La rue était réservée aux hommes. Casablanca a donc été une ville que j’ai vécue en contrepoids avec Fès et Rabat, les autres villes majeures de mon enfance, celles de mes grands-parents, où là je pouvais déambuler dans la médina avec mes cousines, parce qu’on avait le sentiment d’y être protégées. J’ai donc quitté Casablanca en l’ayant vécue d’une certaine manière et j’avais bien senti qu’on la vivait de manière différente selon que l’on était une fille ou un garçon. Les garçons avaient plus de liberté. Je parle des années 70, 80.

À quel moment avez-vous eu envie d’écrire sur cette ville ?

Je n’ai découvert Casablanca  que lorsque je l’ai quittée, quand à Paris, il m’a fallu en parler et la décrire à des gens qui ne la connaissaient pas. En fin de compte, elle avait existé autrement que dans le rapport intime que j’avais avec cette ville. Et puis il y a Casablanca que j’ai vécue après, quand je suis revenue en adulte.  J’ai eu le désir de la raconter quand je vivais à Paris. Je me suis dit qu’un jour je l’écrirai. Et quand je suis revenue pour y vivre au début des années 2000, c’est là que j’ai rencontré Casablanca et les Casablancais. J’ai produit une émission pour la télévision publique et là j’ai arpenté cette ville qui s’est déployée pour moi dans toutes ses contradictions, toutes ses strates. 

Justement, à travers Casablanca, vous évoquez de nombreux sujets liés à l’urbanisme, la précarité dans certains quartiers… Votre roman est-il anthropologique ?

Non, ce n’est pas un roman anthropologique… Mais pour pouvoir la dire et l’écrire, j’ai beaucoup lu, et j’ai regardé comment les romanciers s’emparaient de ces territoires urbains. J’ai aussi beaucoup tourné dans les quartiers, dans les bidonvilles et j’ai mené beaucoup d’entretiens pour préparer mon projet d’écriture qui n’est pas un projet théorique, mais un projet sensible et charnel.

Et dans ce Casablanca que vous racontez, il y a May et Chérif…

May et Chérif, c’est un jeune couple attachant qui s’aime vraiment. Quand ils vivaient à Paris, ils étaient liés aussi par une solidarité heureuse, unis sur des grands sujets de l’heure. Le retour à Casablanca va abîmer cette solidarité. Chérif qui vient de la classe moyenne va chercher à se réaliser en tant qu’architecte et ne sait pas que cette réussite que lui fait miroiter un projet immobilier risque d’écraser ses idéaux. Pendant ce temps, May qui a grandi à Anfa est plus lucide et n’a aucun doute sur les intentions de son cousin promoteur immobilier. Elle se rend compte qu’une certaine conception du développement peut détruire la vie des gens, quand la logique du profit prévaut. Et les tensions naissent au fur et à mesure dans le couple de May et Chérif. May a du mal à se faire entendre de cet homme qui l’aime pourtant et elle voit bien que sa voix de femme est inaudible et qu’elle compte moins.

Vous publiez chez Actes Sud, pourtant vos romans restent ancrés dans la réalité marocaine… 

L’ADN de Actes Sud, c’est justement cette ouverture sur le monde. Cela fait 25 ans que je publie chez eux, c’est un bonheur et un honneur pour moi. D’abord pour cette exigence éditoriale qui permet à l’écrivain d’avancer et puis il y a aussi cette formidable ouverture sur l’humain, sur l’humanité en partant du principe que la littérature est universelle. 

Est-ce que cela veut dire que les lecteurs où qu’ils soient dans le monde, peuvent sentir ces sensibilités ?

Oui, je l’espère. L’accueil en France est très intéressant avec une curiosité autour d’un Maroc que la littérature francophone ne donne peut-être pas à lire, en tout cas pas de cette manière-là, pas dans cet ancrage-là. Vous savez, mon lecteur imaginaire vit avec moi à Casablanca, il est vigilant et si je disais des choses qui s’éloignent de ce qu’il voit, ce qu’il vit, ce serait terrible. Et puis,  la littérature étant universelle, elle touche les lecteurs partout dans le monde.

Comment sont les femmes que vous mettez en scène dans vos romans ? Ou comment voulez-vous qu’elles soient ?

Entre Khadija de “Cérémonie” que j’ai écrit en 1999 et May, il y a un trajet qui est accompli et qui s’étend sur une vingtaine d’années. On voit bien que Khadija est une femme qui est très marquée par les traditions patriarcales, très dépendante de la famille et des autres, alors que May a une puissance d’affranchissement que “Médée” anticipait déjà. D’ailleurs c’est elle qui décide de rompre. C’est une première dans mon travail. Il y a aussi d’autres personnages féminins très forts. Dans “Casablanca Circus”, il y a Yamna souffrante, mais courageuse, forte et dans le don, Malika, la mère de May, Zahra cette maman célibataire abandonnée. Il n’y pas une femme marocaine, mais des femmes marocaines avec des trajectoires différentes. La mise en scène des stéréotypes est insupportable.

Lorsque vous écrivez, revendiquez-vous votre statut de femme ? À votre avis existe-t-il une littérature féminine ?

Le travail d’un écrivain est inséparable de l’expérience qu’il fait de la vie, certes. Quand on est une femme, on propose en effet une vision du monde, c’est ce que cela fait d’être une femme dans ce monde. De la même manière que ce que cela fait d’être vagabond, maçon, œdipien…C’est une expérience de vie parmi d’autres. Le féminin, c’est une des identités de l’écrivain et certainement pas l’identité complète, sinon ce serait réducteur. La littérature n’a pas de sexe. F

Une ville et des destins

Dans ce roman, le cinquième, Yasmine Chami nous plonge dans Casablanca et nous fait rencontrer les habitants d’un bidonville situé au bord de l’océan, qui sont au cœur d’un projet de destruction et de recasement. La ville se livre dans ses contrastes à travers l’histoire de May et Chérif, de retour au Maroc après quelques années à Paris en France, et dont le couple va subir le poids des contradictions et des tensions nées dans la confrontation de deux visions du monde qui s’opposent. Les deux époux sont entourés d’une multitude de personnages qui racontent cette mégapole qui, en se développant et en se mondialisant, affecte les vies et les destins des gens.

Casablanca Circus, Yasmine Chami,Ed. Actes Sud 

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