On la retrouve sur la terrasse d’un café à Casablanca, par un agréable après-midi ensoleillé. Elle arrive, nous fait la bise, comme une vieille amie et nous demande de la tutoyer. Amina Agueznay n’est pas venue seule. Elle est venue avec son book, soigneusement préparé pour les besoins d’un visa. “J’en profite pour vous le montrer, il contient toutes mes œuvres”, lâche-t-elle. Un livre épais, à l’image de son parcours – riche et passionnant. Jus de citron gingembre entamé, tenue décontractée, lèvres rouge carmin, l’artiste engage la conversation. Pendant plus de deux heures, Amina pèse ses mots, creuse les silences, s’émerveille, rit, nous raconte son histoire et refait le monde avec nous.
Née en 1963 à Casablanca, Amina grandit dans un environnement qui regorge d’art. Sa mère, Malika Agueznay, artiste pionnière à plus d’un titre, a profondément influencé son éveil artistique. “J’ai eu une enfance heureuse, élevée dans une maison où l’art, la nature et les animaux faisaient partie de mon quotidien”, confie-t-elle. C’est à l’adolescence, lors de sa découverte du Moussem d’Assilah, qu’elle décide qu’elle sera artiste. “Il y avait des artistes du monde entier. À ce moment-là, je prends conscience que je vais peut-être, moi aussi, avoir une carrière d’artiste.”
Après des études secondaires à Casablanca, elle s’oriente vers un cursus d’architecture à Washington DC. À l’Université, elle obtient un Bachelor of Architecture. Passionnée de joaillerie, Amina s’est aussi formée au design de bijoux. L’architecture lui offre une compréhension de la composition, des structures et des proportions, mais également un rapport particulier à la matière et à l’espace. Ces éléments se retrouveront au cœur de son œuvre, qu’il s’agisse de ses installations monumentales ou de ses pièces plus intimistes. Cette capacité à naviguer entre ces deux échelles devient l’une des particularités de son travail.
Retour aux sources
Après quinze années passées aux États-Unis, où elle a exercé en tant qu’architecte, Amina revient au Maroc en 1997. “Je ressentais le besoin de revenir aux racines, de me rapprocher de ma famille et de retrouver mon pays”, confie l’artiste. Dès son retour, elle entreprend un voyage à travers le Maroc, accompagnée de sa mère et de sa grand-mère, pour rencontrer des artisans locaux. Elle met à profit ses compétences acquises aux États-Unis pour développer des projets d’accompagnement des artisans marocains. Cette expérience nourrit ses créations, notamment ses bijoux, qui évoluent avec le temps tant en termes de formes, de matériaux que de concepts. “Les parures de laine et les accessoires ornementaux, d’abord conçus pour être portés sur le corps, se sont réinventées en installations monumentales qui investissent l’espace architectural”, précise Amina. Ce virage vers des créations d’envergure plus grande marque un retour à ses racines architecturales.
Le travail d’Amina Agueznay ne passe pas inaperçu. Dès 1999, elle réalise sa première exposition à l’Institut du Monde Arabe à Paris, où elle présente une collection de bijoux personnels, composée de pièces amazighes en argent enrichies de ses propres ajouts. Cet événement marque le début de sa carrière internationale. L’année suivante, elle crée une autre collection, avec des variations de boutons textiles faits main (aqad) habituellement utilisés pour les caftans. Depuis, elle a participé à de nombreuses expositions et foires internationales de renom, et animé des workshops au Maroc et à l’étranger. Parmi ses œuvres les plus marquantes, Amina nous parle de “Skin”, une installation de 7m de large et 3m de haut réalisée en 2011, “Casablanca Green”, un tapis de coquilles de moules de 100 m carrés, exposés respectivement au Musée Mohammed VI de Rabat, à l’Institut Français de New York et à la Maison Folie de Mons, en Belgique, et tant d’autres créations majeures dans de prestigieuses galeries… C’est qu’il est difficile de résumer la carrière d’Amina Agueznay, tant elle est riche et prolifique. Mais ses nombreux prix, comme l’Open My Med décerné en 2010 par le Mediterranean Fashion Prize, ou encore le prestigieux Norval Soverign qu’elle remporte en 2024 en Afrique du Sud, témoignent de son travail exceptionnel et de son impact sur le monde de l’art contemporain.
Actuellement installée à Marrakech, Amina Agueznay nourrit l’ambition de “continuer à créer” et de “voyager, encore et encore !”. Son regard est tourné vers l’avenir, avec une admiration sincère pour la nouvelle génération d’artistes marocains, qui l’inspire et l’enrichit. Pour elle, l’aventure est loin d’être achevée: “Je suis en perpétuelle évolution, et j’ai encore tant à découvrir !” Une quête sans fin, où l’horizon se dessine au fur et à mesure de ses créations, nourries par une curiosité insatiable et un désir constant d’explorer de nouveaux territoires artistiques.