Rendez-moi ma fille

Enceinte de son petit ami, Hanane a dû abandonner son enfant à la naissance pour fuir l’opprobre. Un geste qu’elle regrettera toute sa vie. Voici son histoire.

Je suis originaire d’une petite ville du Moyen Atlas. Étudiante brillante, j’ai réussi avec brio mes études secondaires, et une fois mon Bac en poche, j’ai pu intégrer une grande école à Rabat. À 18 ans, je me suis retrouvée pratiquement livrée à moi-même, libre de mes fréquentations, ne rendant compte à personne de mes sorties ou de mes retards. Je me liais rapidement avec un groupe d’étudiantes délurées pour aller au cinéma, au restaurant, mais aussi à des fêtes estudiantines. C’est là que j’ai rencontré Samir, un étudiant en master. Rapidement, je tombe sous son charme. J’étais subjuguée par sa prestance, sa voix chaude, ses connaissances, ses anecdotes… J’étais amoureuse, et je cherchais toutes les occasions pour me retrouver à ses côtés. Nous sommes devenus très proches, échangions sur tout et sur rien. Un jour, il me fit part de ses sentiments : lui aussi m’aimait. C’était le plus beau jour de ma vie.

Je passais le plus clair de mon temps libre avec Samir. Près d’une année après le début de notre relation, je suis tombée enceinte. Au début, je ne m’en suis pas rendue compte car j’avais un cycle irrégulier, et ce sont des nausées et une envie irrésistible de dormir qui m’ont mis la puce à l’oreille. Le gynécologue consulté a confirmé ce que je soupçonnais. Tout de suite, nous avons envisagé l’avortement. Sauf que ni lui ni moi n’avions la somme nécessaire. Et plus le temps passait, plus le prix de l’IVG devenait coûteux. Le dernier médecin consulté a réclamé 8.000 DH. C’était trop cher pour nos bourses.

Le mariage n’était pas envisageable à cette époque, car nous étions encore étudiants. Lui ne travaillait pas encore, et moi non plus. En accord avec mon ami, j’ai donc décidé de poursuivre ma grossesse. J’avais la chance d’être mince, et mon ventre petit. Prétextant la préparation de mes examens, je ne me rendis plus dans ma famille. J’ai donc caché ma grossesse à tous, continué à étudier, et quand mon terme est arrivé, j’ai accouché à l’hôpital. Samir était avec moi, et il avait dans sa poche une copie de l’acte de mariage de son frère au cas où on nous l’aurait réclamé. L’accouchement s’est merveilleusement bien déroulé, et je n’ai pratiquement pas souffert. Ma petite princesse est entrée dans la vie sur la pointe des pieds, toute douce avec sa bonne bouillie. Mais je me refusais à nourrir des sentiments pour elle ou à l’allaiter. J’étais décidée à l’abandonner pour pouvoir continuer ma vie et bâtir l’avenir dont rêvent mes parents pour moi.

J’étais folle d’abandonner une partie de moi, mais à 20 ans, on n’a pas les mêmes priorités qu’à 30 ans. Je pensais qu’un enfant né hors mariage allait être un boulet pour moi. Il était hors de question pour moi d’être traitée de mère célibataire ou que mon enfant soit qualifiée de bâtarde, une “bent lhram”. Avec Samir, nous avons fait le tour des associations, et nos pas nous ont finalement conduits vers l’association Lalla Hasnaa. J’ai signé les documents exigés pour la confier à l’association qui à son tour devait lui trouver des parents adoptifs. Un bébé fille était très demandée. Je n’avais plus aucun droit sur ma fille.

Ma vie après n’a plus été pareil. Je me suis jetée à corps perdu dans les études. Samir de son côté a finalement décroché un emploi. Notre amour était demeuré intact, et nous avons décidé de nous unir pour le meilleur et le pire. J’aurais dû être folle de joie, mais mon cœur était serré, et notre mariage s’en ressentait. Samir aussi avait changé. Il n’était plus mon amoureux gentil et attentionné, mais un homme jaloux et cruel qui me faisait subir de vraies violences psychologiques. Pour me faire céder, il menaçait d’avertir mes parents de l’existence de notre bébé.

Deux ans après notre mariage et trois ans après avoir abandonné ma fille, Samir qui a commencé à traîner dans les bars pour s’énivrer a prévenu mes parents par texto de notre lourd secret. Au début, mes parents ne l’ont pas cru, mais quand ils m’ont posé la question, j’ai tout reconnu : ma grossesse, mes mensonges, et surtout la terrible décision d’abandon de ma fille à des inconnus.

Mes parents se sont montrés formidables. Ils ne m’ont fait aucun reproche. J’ai été agréablement surprise par leur solidarité au point que j’ai presque regretté de leur avoir dissimulé cette partie de ma vie. Guidée par mes parents, nous avons pris attache avec un avocat qui nous a recommandé d’établir une attestation de mariage avant de partir à la recherche de notre fille. Une recherche qui a duré près de quatre ans. Mais nous avons fini par retrouver ses parents adoptifs qui ont, après moults tergiversations, accepté d’organiser une rencontre entre nous.

Mon bébé était devenue une jolie demoiselle polie au rire charmeur. Avec ses jolies boucles noires et ses yeux en amande, elle me ressemblait beaucoup. Ses parents adoptifs lui avaient parlé de ses origines et de l’histoire de son adoption. Elle savait qu’elle était une enfant de l’amour, que sa maman n’avait pas pu la garder, et qu’elle avait été accueillie par de nouveaux parents prêts à la chérir. À notre premier rendez-vous, il y a eu beaucoup d’émotion et de tendresse. Je garde enfoui dans ma mémoire pour toujours ses petites mains me serrant très fort…  J’étais contente que ma petite fille se soit retrouvée entre de si bons mains, et que ses parents adoptifs semblent comprendre ma situation. Ils ont même accepté que je la vois régulièrement pendant une heure. Je ne vivais plus que pour ces rendez-vous hebdomadaires. Entre temps, ma relation avec Samir est allée de mal en pis, jusqu’à l’issue fatale : le divorce.

Mon monde tournait désormais autour de ma fille. Mais ce bonheur allait être de courte durée. Le père adoptif de mon petit ange avait remarqué son attachement à mon égard, et inexplicablement, il en était devenu jaloux, espaçant les visites, jusqu’à les supprimer totalement. À cette époque, j’avais appris que ma fille portait officiellement le patronyme de son père adoptif. Cela a également contribué à la décision de la famille d’accueil de l’éloigner de moi. Je sais que c’est illégal de donner son nom à un kafil, mais que pouvais-je y changer…

Je n’avais plus le droit de voir ma fille, et un beau jour, j’ai appris que les parents de mon enfant ont décidé de quitter le Maroc pour l’Europe, probablement l’Italie. Ce fut le choc de ma vie. Et en dépit de toutes les démarches entreprises auprès du consulat du Maroc en Italie, et d’autres organismes, ma quête a été vaine. Aujourd’hui, cela fait trois ans que je n’ai plus revu ma fille. Je continue à taper aux portes, à espérer avoir un droit de visite. Je sais que j’ai pris une mauvaise décision un jour, mais je ne voudrais pas en payer le prix à vie. 

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