Rachid Benzine : Confinement, jour 5 – 21 mars 2020

Voici l'épisode 5 de "Je suis quand même pas parano !", la fiction écrite par Rachid Benzine, sous forme d'un journal depuis le début du confinement démarré en France le 17 mars. On savoure.

 

Cruel réveil. Mon patron m’appelle ce matin à 6 h 45 pour me signifier que je suis au chômage technique. C’est un coup dur pour mes finances déjà à la ramasse. Mais pourquoi m’appeler si tôt un samedi matin ? C’est vrai que dans le nettoyage industriel, on travaille souvent quand les autres ne sont plus à leur poste… J’avais de plus senti le coup venir. Je ne vous en parlais pas pour pas vous saper le moral. Comme il y a beaucoup moins de gens au boulot, forcément ils salopent moins les moquettes et le reste. Comme en plus Mme Firmin tousse chez nous depuis trois jours, ça a effrayé les clients et les collègues. Résultat, tout le monde dehors. Moi encore, tout seul, je peux m’en sortir. Mais beaucoup des femmes de ménage élèvent seules leurs gamins. Donc pour elle, plus d’emploi et les gosses à la maison H24 à nourrir et occuper. Y’a de la dépression ou du pétage de plombs dans l’air.

Pour me remonter le moral, je décide de m’organiser une journée de vacances. Je devais partir ce week-end à Villers-sur-Mer. Il y fait pas chaud en cette saison mais la mère d’un copain nous prêtait son studio à deux pas de la plage. Confinement et chômage obligent, ce sera tout seul à la maison. Mais se mettre en mode « congés » dans sa tête c’est déjà partir un peu. Alors je fous le chauffage à fond, je me fais couler un bain bien chaud et je m’organise. Je prends ma plus grande serviette. Je me fous à poil en-dessous comme si je cherchais à me protéger des regards d’estivants agglutinés. Je me mets en maillot de bain. Je gonfle la bouée-canard à m’en éclater les poumons. Je déplie le parasol et direction la baignoire.

Félix s’est installé sur la machine à laver et me regarde dépité. Pas besoin qu’il ait la parole pour que je l’entende dire « eh ben, la journée va être longue ». Ça se voit à sa gueule. Son museau noiraud en dit plus sur l’état de ma personne que tous les diagnostics médicaux. Cerise sur le gâteau, je retrouve in extremis mes palmes et mon tuba de plongée. Je me couche dans le bain, les pattes de palmipède en éventail. Le panard.

Plus de coronavirus, plus de voisins encombrants, plus de confinement ni d’attestation de déplacement obligatoire. Juste moi, la plage, le ciel bleu et… et merde ! Le soleil… Je savais bien qu’il manquait un truc. Je sors de ma piscine en aspergeant tout l’appart. Rien à foutre… Je fouille dans le tiroir du bas de la commode. Je le savais bien. J’avais acheté cette connerie sur un coup de tête. Lampe à bronzer. Euh… c’est pas le modèle le plus cher de chez Lidl mais ça devrait le faire. Je la mets sur position « maximum ». Les mains pleines de flotte, je la branche avec une rallonge à ras de la baignoire. Je prends aussitôt un coup de bourre. Je chancèle et finis le cul au fond la baignoire. Je suis sonné mais le rayon lumineux que je prends en pleine poire fait son effet. Je suis à Villers-sur-Mer, la plage, le cri des mouettes, le murmure des juilletistes… Jouissance totale.

En quelques instants j’ai tout oublié. Et pour faire bonne mesure je pousse la chansonnette dans mon tuba. Ne voyez pas en moi un anar indécrottable ou un subversif incurable, mais tous les airs qui me viennent en bouche semblent frappés d’une malséance au regard de l’air du temps : Aznavour, « Emmenez-moi au bout de la Terre » et « Dansons joue contre joue », Carlos, « Big bisou », Sheila, « Donne-moi ta main et prends la mienne », Brassens, « Les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics »… et bien d’autres encore. Ah, la belle époque où tout cela nous était permis… Je m’assoupis.

Je suis réveillé par des coups répétés à ma porte. Je me lève de la baignoire et me rends compte aussitôt que toute la partie droite de ma figure me brûle. Un rapide coup d’œil dans le miroir et je découvre la moitié de mon visage cramée par la lampe à bronzer. J’attrape la serviette et je vais ouvrir.

La voisine aux deux monstres à patinettes me les tend sans s’offusquer de ma dégaine à tuba et maillot de bain, et de l’eau qui coule abondamment sur mes palmes et le parquet de mon entrée. J’ai à peine le temps de comprendre qu’elle a une course urgente à faire et revient très vite. Pas le temps de dire « non », je me retrouve avec les deux bestiaux au bout des bras. Ils sont gantés et portent le même masque de Dark Vador sur la tronche. Je n’ai aucune idée de leur nom ni de celui de leur mère. Ils ne m’ont jamais salué quand je les ai croisés dans l’ascenseur et leur calme apparent m’inquiète. Je me retrouve assis au milieu d’eux sur le canapé. J’y connais rien en moutards mais je me dis que la télé ça doit les intéresser. Rien dans les programmes des chaînes ne semble captiver leur attention. J’irais bien me sécher mais l’idée de les laisser seuls ne me tente pas plus que ça. Je finis par m’y risquer. Faudrait pas que je tombe en plus pour pédophilie. Je me sèche et m’habille en quatrième vitesse dans la salle de bain. Pas suffisamment vite pour Félix. Je l’avais oublié celui-là. A ses miaulements, je comprends immédiatement qu’il est en mauvaise posture aux mains des deux diaboliques. Le temps de sortir en hurlant, il git déjà à terre tandis que les deux acolytes se bidonnent. Je le prends dans mes bras. Il respire. Mais il sent mon meilleur Bourbon à plein nez. Les deux ne sont pas en reste. Ils se sont tapés plusieurs de mes bouteilles en en foutant partout. Ils pètent, rotent et finissent par dégueuler sur le canapé. Et, miracle, s’assoupissent tandis que Félix revient à lui.

20 h : Ça fait six heures que les deux Dark Vador ronflent sur mon canapé. J’ai vaguement nettoyé leurs vêtements et les ai aspergés d’après-rasage pour faire passer l’odeur de vomi et d’alcool. Félix a bien récupéré. Je m’apprête à aller applaudir à la fenêtre et échanger un regard avec la voisine d’en face quand ça sonne à la porte. C’est la mère des gamins. Elle se confond en excuses, me raconte des salades impossibles à croire. Elle ne s’offusque pas que sa progéniture dorme profondément. Elle la réveille à coup de baffes dans la gueule et de coups de pieds dans le fion. Elle tire comme elle peut les deux endormis qui avancent en titubant. Elle me remercie et me sourit en multipliant les courbettes. Je me précipite à la fenêtre. Le rituel est fini. La fenêtre d’en face a les rideaux tirés. Je tombe sur le canapé. Je me rends compte que j’ai toujours mes palmes aux pieds.

Rendez-vous demain avec l’épisode 6 de « Je suis quand même pas parano ! »

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