Rachid Benzine : Confinement, jour 3 – 18 mars 2020

Voici l'épisode 3 de "Je suis quand même pas parano !", la fiction écrite par Rachid Benzine, sous forme d'un journal depuis le début du confinement démarré en France le 17 mars.

Pas de sonnette pour mon réveil ce matin mais un tambourinage à la porte. Alors que je m’apprête à ouvrir, ma mésaventure de la veille me revient à l’esprit. Un coup d’œil dans le judas s’impose. Mais j’hésite. J’ai en tête ces images de films où le pauvre gars met sa tronche devant l’œilleton et se la fait exploser par le flingue placé judicieusement de l’autre côté de la porte. Entre les deux menaces mon cœur balance. Je finis par ouvrir. Derrière un masque en tissu qu’elle s’est probablement confectionné elle-même, Mme Da Silva fait des bonds devant la porte. Ses propos sont confus mais je comprends que tout est oublié. Elle ne m’en veut plus pour le coup de la bombe insecticide. Et si elle est surexcitée, c’est parce qu’elle a appris que le footballeur Cristiano Ronaldo consacrait une partie de sa fortune pour ouvrir des hôpitaux dédiés aux victimes du coronavirus au Portugal. J’essaye de contenir son enthousiasme à un mètre de ma personne et j’acquiesce en lui disant que ce Ronaldo est vraiment une belle personne. Surtout, je me garde bien de lui dire que l’on sait déjà depuis deux jours qu’il s’agit d’une fake news.

La porte à peine refermée, je me rends compte que Félix n’a pas touché à sa pâtée bio. Il a le toupet de miauler pour réclamer la bouse que je lui sers d’ordinaire. Au prix où ça m’a coûté… Enfoiré de chat ! Ça retambourine aussitôt à la porte. J’ouvre en hurlant à Mme Da Silva qu’elle ferait bien d’actualiser ses infos sur Ronaldo. Les deux policiers d’hier me toisent d’un regard de chèvre crevée. Ils n’ont toujours pas de masque. Je leur fais remarquer. Le gros moustachu tousse sans retenue et me tends une nouvelle amende. Il s’est trompé la veille dit-il, c’est 135 euros et pas 38. Il se sent aussi obligé de me dire qu’au commissariat ils réclament sans succès des masques depuis des semaines à leur hiérarchie et déplore que les flics soient si mal aimés. J’acquiesce en signe hypocrite de solidarité et referme la porte. Ça sonne aussitôt. J’ouvre aux poulets dépressifs. Mauvaise pioche. C’est la voisine d’en face. Il lui faut des œufs pour gaver ses quatre marmots qu’elle est contrainte de garder confinés à la maison. Je lui confie une boîte de six que je gardais sans trop savoir pourquoi. Les deux pandores qui attendaient l’ascenseur lui tombent dessus. Elle n’a pas pensé à prendre une attestation de déplacement dérogatoire pour faire les huit mètres qui séparent son appartement du mien. Ses six œufs lui coûteront 135 euros.

Je referme la porte en méditant sur l’envol des prix en période de crise. La contemplation spéculative n’est à l’évidence pas l’apanage de mes voisins directs. A droite de mon canapé, derrière le mur, les Martens s’envoient piles d’assiettes sur piles d’assiettes à la figure. La promiscuité forcée n’a pas amélioré leurs relations déjà difficiles en temps normal. Je note sur un carnet les injures les plus originales et les reproches les plus baroques. On ne sait jamais… si je me mets en couple un jour.

A gauche du canapé, l’ambiance est toute autre. Les Ben Daoud sont des tendres. Leur romantisme fait beau à voir. Moins à entendre. Toute pudique qu’elle soit, coincée entre l’extérieur de l’immeuble et mon appartement invariablement silencieux, Madame n’a jamais pensé que les murs étaient en carton-pâte. Le repeuplement de la nation par les Ben Daoud n’a, depuis longtemps, aucun secret pour mes oreilles. Le confinement possède, à n’en pas douter, un effet multiplicateur sur leur libido. Et sans doute sur leur descendance. Si j’en juge par mes voisins, la mesure gouvernementale tiendra certainement son rang dans les statistiques des divorces et des naissances.

Entre les injures des Martens et les glapissements des Ben Daoud, c’est un autre son qui attire mon attention. Je me risque à une œillade au judas. C’est la voisine de deux portes plus loin qui est prostrée dans le couloir. Entre deux gémissements, je saisis la nature de sa plainte. Elle n’en peut plus de ses gosses. Elle s’accorde du répit en les laissant s’entredéchirer seuls dans l’appartement transformé en champ de bataille apocalyptique.

Je me rends compte que la voisine d’en face a trouvé une autre solution. Ses deux monstres se tirent la bourre en trottinette dans le couloir. Faute d’avoir défini les règles de leur compétition et surtout leur ligne d’arrivée, ils s’explosent la gueule contre le mur et vont pleurer misère en donnant des coups de pieds dans la porte de leur appartement. Leur génitrice a la sagesse de ne pas leur ouvrir. Sans détester les gosses, je la comprends et compatis à sa détresse.

Pour tenter de m’isoler un peu de mon entourage, je décide de regarder les actus à la télé. Re-mauvaise pioche. Déjà anxiogènes d’ordinaire, les chaînes d’info rivalisent de chiffres terrifiants. Le bilan de l’Italie rejoint celui de la Chine. En France, les décès explosent et 7 % d’entre eux touchent désormais les moins de 65 ans. Le vent du boulet… Je me tourne vers Internet dans l’espoir de trouver plus réjouissant. Les fake news me submergent aussitôt. A Mulhouse, une patinoire transformée en morgue pour faire face au nombre de victimes. On brûle les cadavres à peine passés de vie à trépas pour freiner la contagion. Les chefs d’Etats ont tous le mot guerre en bouche. Une lueur d’espoir cependant. La région de Wuhan vient de connaître son premier jour sans nouveau cas déclaré. Et une initiative : à 20 h, applaudir à sa fenêtre pour remercier les personnels soignants. Je n’oserai pas, c’est sûr. Et de toute façon je trouve ça con.

Le soir venu, je regarde néanmoins à travers la vitre. Je découvre l’existence de mes voisins de la tour d’en face. Je n’y avais jamais prêté attention. A 20 h pétantes, les rideaux de la fenêtre juste à ma hauteur sont tirés. Une jolie fille dont je n’avais jamais aperçu le minois applaudit sans hésitation. J’ouvre ma fenêtre et je fais de même. Elle me voit et me sourit. Je lui rends son sourire. Et je me dis que le confinement ne manque pas de vertus.

Rendez-vous demain avec l’épisode 4 de « Je suis quand même pas parano ! »

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