Rachid Benzine : Confinement, jour 15 – 31 mars 2020

"Je me mets soudain à tousser violemment, sans parvenir à me contrôler. Je postillonne abondamment sur mes deux invités. Je porte ma main à ma poitrine. Je suffoque. Je me précipite à la salle de bain en graillonnant de plus belle". La 15ème journée de confinement du héros de Rachid Benzine sort encore de l'ordinaire.

J’ai fini dans la soirée le rafistolage grossier de mon salon. La table basse a encore la tremblote mais elle assure sa fonction. Je me suis assoupi sur le fauteuil avec Félix blotti comme un enfant sur mes genoux. Albert et Thérèse ont eu le bon goût de dormir cette nuit. Leur ardeur est davantage diurne que nocturne. Heureusement. Ça m’évitera des ennuis supplémentaires avec les voisins. Albert émerge le premier. Visiblement, il n’a pas l’habitude de s’occuper de lui. Encore dans le gaz, il me fait comprendre en pseudo-langue des signes qu’il me saurait gré de lui faire un café et le petit-déjeuner copieux qui va avec. Sans pain frais, je lui tartine des biscottes et lui sers mon meilleur Arabica. Je le laisse entamer largement ses agapes avant de l’entreprendre.

  • Dites-moi, Albert, vous avez dû remarquer que c’était un peu petit chez moi.
  • Oh, vous inquiétez pas, à la guerre comme à la guerre, je continuerai de me contenter de votre chambre et de votre canapé.

C’est le moment que choisit Mme Tandier pour apparaître à son tour dans un déshabillé tout dentelle, couleur chair, soulignant l’élégance de ses formes.

  • Dites, Machin, on a rendez-vous avec quelques amis cet après-midi.
  • Chez moi ?
  • Ben évidemment. La candeur de cet être est presque touchante…
  • Mais pour quoi faire ?
  • Votre candeur confine cette fois à l’ingénuité.

J’explique avec retenue mais fermeté qu’il est hors de question de transformer mon deux-pièces. J’interroge mes hôtes sur leur vie ordinaire d’avant le confinement. Thérèse ne pourrait pas rentrer chez elle ? Non, son mari bien sûr. Albert ne pourrait pas la prendre chez lui ? Non, il a sa femme. Et s’installer ensemble chez sa fille ? Trop casse-couilles la fille évidemment. Et s’installer seuls dans leur propre appartement ? Ils tomberaient vite dans la routine. Ça tue la passion selon elle. Alors que chez moi, le sentiment de transgression, l’excitation de savoir que les voisins entendent tout… Un autre monde pour eux. C’est bien connu, on s’encanaille en banlieue… J’essaye alors d’attirer leur attention sur mon modeste sort, coincé entre un fauteuil pour toute alcôve et la cuisine. Ils s’offusquent en me reprochant mon égocentrisme et mon manque de solidarité avec des personnes âgées en ces temps de coronavirus.

Je me mets soudain à tousser violemment, sans parvenir à me contrôler. Je postillonne abondamment sur mes deux invités. Je porte ma main à ma poitrine. Je suffoque. Je me précipite à la salle de bain en graillonnant de plus belle. Je m’y enferme. J’attrape mon thermomètre thermique. Je hurle « 40 ! J’en étais sûr ! 40 de fièvre ! Putain, j’ai attrapé cette saloperie ! ». Je tousse de plus en plus fort. Je respire avec difficulté. J’implore qu’on appelle un prêtre. Qu’on me donne l’extrême-onction. Je fais référence en m’égosillant à cette forme rare de coronavirus surnommé « le Covid foudroyant », « le Corona des cités », « l’éventreur de petits vieux » ! Je m’effondre lourdement au sol en agonisant dans d’atroces et sonores gémissements. Je laisse passer quelques minutes. J’ouvre délicatement la porte de la salle de bain. Le spectacle que j’ai sous les yeux m’arrache une profonde et orgasmique expiration. Albert et Mme Tandier sont partis sans demander leur reste. Ils n’ont même pas pris le temps de récupérer leurs affaires que je fous en vrac à l’extérieur de l’appartement. J’évite le regard réprobateur de Félix qui ne goûte guère mes accès de comédie. Il me fourre sous le nez une citation de Machiavel tirée d’un recueil de maximes qu’il a dû lire un soir de spleen félin : « Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes ». J’acquiesce et rends hommage à l’immense culture et à l’esprit d’à-propos de mon chat. Je mets toute la literie à tourner en machine et je m’affale sur mon lit enfin libéré.

Mon repos est de courte durée. J’avais parié sur l’égoïsme libertin de mes hôtes. Il n’en était rien. Ils ont certes pris leurs jambes à leur cou sans demander leur reste mais, profondément inquiets pour moi, ils ont tout de même appelé le Samu. Je n’avais dans un premier temps pas fait la relation entre la sirène américaine qui hurlait au bas de mon immeuble et ma modeste personne. Deux minutes plus tard, j’ouvre à une escouade de RoboCops en transe, sortis tout droit d’un film d’horreur-pandémie-fiction, juste avant qu’elle n’achève de défoncer ma porte. La horde casquée, masquée et cadenassée m’exhorte de lui indiquer où se trouve la victime. Pour toute réaction, sans doute dictée par mon cerveau reptilien, je les menace avec un crucifix et une gousse d’ail. Je ne sais plus si c’est eux ou moi qui ai le premier décrété le cessez-le-feu mais on convient mutuellement qu’il y a maldonne et que l’appel anonyme devait provenir d’un plaisantin, inconscient du coût humain et financier de sa facétie.

Non sans avoir pris le temps de finir mon meilleur whisky, l’équipe du Samu remballe son matériel et désinfecte sans conviction mon appartement, histoire de dire qu’elle ne s’est pas déplacée pour rien, tandis qu’une partie de la troupe achève également de vider mon frigo. Je me dis que ce sera ma contribution à « ceux qui sont en première ligne ». A peine cinq minutes plus tard, on frappe doucement à ma porte. Profitant que son imam de compagnon est sorti faire des courses, ma cousine Sophie vient prendre de mes nouvelles. Elle a aussi une anxiété. Pour les Martens, dont l’appartement se trouve exactement entre celui de l’imam et le mien.

C’est vrai que je ne les entends plus depuis plusieurs jours, ni en démolition de vaisselle ni en réconciliations appuyées. Je tambourine chez eux. J’entends un vague frémissement derrière la porte. Elle s’ouvre. M. Martens a la mine totalement défaite. Gisant dans des débris de vaisselle en robe de nuit derrière lui, sa femme n’a pas l’air en meilleur état. Je leur demande s’ils vont bien. Monsieur fond en larmes. Madame me murmure « Non, ça va pas du tout ». Je comprends que le confinement a conduit ce couple volcanique à une soudaine et grave dépression. Je me précipite à la fenêtre de mon appartement. Je hèle l’équipe du Samu qui s’apprête à repartir en bas de chez moi. Elle remonte et booste aussitôt les Martens à un mélange concentré d’oxygène et d’hélium. Puis repart vers d’autres urgences. Les Martens, Sophie et moi rentrons dans nos appartements respectifs. Moins d’une dizaine de minutes plus tard, la potion a fait son effet. Les assiettes explosent contre mon mur et les noms d’oiseaux virevoltent à nouveau gaiement dans tout l’appartement des Martens. Sur le mur opposé, les Ben Daoud ont renoué eux aussi avec leur entrain habituel. Collé contre mes étagères encore bringuebalantes pour qu’elles ne cèdent pas aux retrouvailles de mes confondants voisins, je m’offre une profonde et apaisante respiration. J’ai retrouvé le bonheur de mon ordinaire. Félix aussi, qui trouve en ces instants un peu de réconfort en ronronnant sur mon épaule et en fourrant son museau dans mon oreille.

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