Rachid Benzine : Confinement, jour 13 – 29 mars 2020

Des amants octogénaires, un mari jaloux, un pugilat et un chat qui reçoit ses amoureuses... On se régale avec la treizième journée du journal "Je suis quand même pas parano ! un récit signé Rachid Benzine.

Mon réveil est comme trop souvent déclenché par la sonnerie à l’entrée. Je regarde dans le judas. Pas de curé ni d’imam en célébration ce dimanche. Mais Mme Da Silva, gantée et masquée. J’ouvre. Je lui fais remarquer qu’il n’est que huit heures. « Neuf » me précise-t-elle, parce qu’il y a eu le changement d’heure cette nuit. Elle me présente le courrier en m’expliquant qu’elle ne le distribuait plus qu’une fois par semaine pour limiter les risques. Et me demande si je sais où sont la mère et la fille du 40 car elles ne répondent pas. Je lui confie sans détour que moi aussi j’aimerais bien savoir où se trouve la fille parce que sa mère me pèse depuis le premier instant où je l’ai vue. Je me retrouve avec le courrier des deux femmes.

J’épluche délicatement mes quatre factures de la semaine. Pour faire durer le plaisir et l’illusion de communiquer avec des gens qu’on connaît. En face de moi, Mamie Tandier jette à la corbeille tout ce qui est pour sa fille sans l’ouvrir. Elle commence à parcourir les deux revues d’art contemporain qu’elle vient de recevoir.

  • Vous ne vous intéressez pas à l’art, j’imagine, vous… Machin ?
  • Non. Pas vraiment.
  • Ça m’aurait étonné.
  • Félix peut-être ?…
  • Il ne jure que par Thoma Vuille.
  • Thomas Vuille ?
  • Oui, « M. Chat ». Ça vire à l’obsession chez votre Félix.

Je remarque soudain que la fenêtre est ouverte.

  • Mais… Félix !!!
  • J’ai ouvert pour aérer. On étouffe chez vous.

Je me précipite à l’ouverture. Je regarde frénétiquement en tous sens à l’extérieur. Je cherche partout dans l’appartement. Félix est introuvable. Paresseusement, Mamie Tandier va à son tour à la fenêtre. Elle minaude vaguement en regardant en bas quand soudain elle s’écrie :

  • Ciel, mon mari !!!
  • Quoi, votre mari… Vous vivez bien seule habituellement. Et avec votre fille depuis deux semaines ?
  • Cachez-moi, je vous en supplie.
  • Vous cacher où ? Vous êtes déjà chez moi.

Ça sonne hystériquement à l’entrée. Le type s’appelle Albert, il appelle « Thérèse ! » et réclame qu’on lui ouvre. Contre toute attente, Mme Nantier fonce à la porte et fait rentrer un Albert d’un certain âge, masqué mais très bien conservé. Ils tombent le masque et s’embrassent fougueusement un court instant. Elle claque ma porte. Je balbutie :

  • Mais je croyais que votre mari…
  • C’est pas mon mari, c’est mon amant.
  • Quoi ?!

Ça re-sonne aussitôt à la porte. On entend « Thérèse, ouvre, je sais que tu es là ! ». Cette fois, elle m’explique qu’il s’agit de Maurice, son mari, et que je dois absolument la cacher avec Albert. Elle se contrefout de transformer mon appart en pièce de Feydeau. Sans illusion, j’enferme à clé le couple dans mon armoire et j’ouvre. Un Maurice masqué entre en trombe sans dire bonjour. Il fouine partout sans ménagement. Il renifle les vêtements féminins qui traînent dans ma chambre. Il me regarde d’un œil noir et se plante devant l’armoire en me lançant :

  • Vous êtes son amant, c’est ça ?!
  • Mais non. C’est un énorme malentendu.
  • Vous fatiguez pas, ma fille m’a tout raconté. L’emprise que vous avez sur elle. L’argent que vous lui soutirez. Vos copulations lubriques…
  • Mais je vous promets…

Oh et puis merde ! Qu’ils se débrouillent entre eux. J’ouvre la porte de l’armoire. Maurice crie « Albert ! Toi ?! », Albert dit « Maurice, je vais tout t’expliquer… », Thérèse file dans le couloir. Pas le temps de la rattraper, les deux octogénaires sont déjà en train de s’égorger dans le salon. Ma table basse est la première à rendre l’âme. Devant le tremblement, je décide que l’urgence c’est Thérèse. Je la rattrape en haut de l’escalier. Elle se débat. Des voisins croient à l’agression de petite vieille. Je prends coup de boule et coups de poings. On m’achève en me balançant dans l’escalier. Je ne sais pas ce que Thérèse a baratiné mais pour l’heure on me laisse en l’état et elle arrive à se faire admettre chez les voisins. La porte se referme.

Maurice et Albert sortent ensanglantés dans le couloir. Ils sont exténués mais ont quand même la force de me demander où est passée Thérèse. Je désigne de la tête l’escalier. Ils s’y précipitent à la vitesse d’octogénaires groggys et disparaissent en s‘injuriant. Je remonte à quatre pattes l’escalier jusqu’à mon appartement. Je réussis à me relever pour refermer la porte derrière moi. Le salon n’est plus qu’un immense champ de ruines. J’entre dans ma chambre. Je m’apprête à m’allonger sur mon lit enfin retrouvé. Félix est en train de s’y faire la chatte de la voisine. Deux autres, allongées langoureusement sur la couette, semblent attendre leur tour. Encore des emmerdes en perspective.

Je retourne dans le salon. Seul le fauteuil est encore accessible. Je passe le restant de la journée à regarder, apathique, des programmes télé plus insipides les uns que les autres. Mon attention est juste troublée par l’entrée et la sortie de chattes par la fenêtre. Félix a visiblement beaucoup manqué au voisinage. On sonne et on tambourine aussi plusieurs fois à ma porte jusqu’au soir. Je ne demande pas qui c’est. Je ne me lève pas. Je ne manipule pas mon judas. Je n’ouvre pas la porte. Et j’ai déjà oublié qui me sollicitait… Vers 19 h, les allers et venues de chattes ont cessé. Félix a sauté sur mes genoux. On s’est mangé une heure d’actualité coronavirus jusqu’à 20 h. Je ne manque pas d’aller applaudir à la fenêtre. La voisine d’en face est réapparue. Elle ne me regarde pas. Félix s’est endormi.

Rendez-vous demain avec l’épisode 14 de « Je suis quand même pas parano ! » Par Rachid Benzine

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