Rachid Benzine : Confinement, jour 1 – 17 mars 2020

Nous partageons à partir d'aujourd'hui et en exclusivité avec nos lecteurs cette fiction de Rachid Benzine, écrite sous forme d'un journal depuis le début du confinement en France le 17 mars. Voici le premier épisode de "Je suis quand même pas parano".

Peu importe où j’habite. Ça ne vous dirait rien de toute façon. Une ville sans âme. Un immeuble grisâtre. Au milieu de tant d’autres. Sans balcon. Depuis ce matin je dors. Pour éviter de penser. Et je dormirais encore si la sonnette de mon modeste deux-pièces n’avait pas sonné. En ces temps de confinement, on est appelé à se méfier de tout. J’ai d’abord cru que mes dernières analyses avaient révélé mon infection et qu’on venait me chercher pour me soigner. Ou m’abattre. Oh, ne vous précipitez pas sur le quolibet et l’anathème. Il n’y a pas de psychose là-dessous mais une réalité qui vous échappe encore. Mais pour combien de temps ?

Enfin, je vous le concède. Pour le coup de sonnette, c’était la gardienne de l’immeuble qui m’amenait un recommandé que je n’avais pas retiré depuis le matin. Difficile de savoir quelle attitude adopter en ces temps de contagion. Ouvrir la porte ou pas. Et si le virus avait muté et était désormais capable d’imiter les voix humaines. Celle caverneuse et enrouée de la concierge n’est certes pas la plus simple à singer mais sait-on jamais. Bref, armé de tout mon courage et d’une bombe insecticide, je me suis convaincu qu’il pouvait s’agir – hypothèse peu probable j’en conviens – de Mme Da Silva et pas d’un Covid-19 ombrageux.

J’ai ouvert brusquement la porte et aspergé l’intrus sans souci d’économie.

Le nuage se dissipant, j’ai reconnu Mme Da Silva. Mais peut-être était-ce encore une astuce du coronavirus. Après avoir à nouveau abondamment aspergé ce qui ressemblait à n’en pas douter à la gardienne, j’ai daigné considérer qu’il s’agissait bien d’elle. Je suis quand même pas parano…

De mon balai tendu vers elle pour qu’elle respecte la distance de survie d’un mètre, j’ai accepté qu’elle lance le courrier en question vers mon couloir d’entrée et ai fait mine de ne pas entendre la bordée d’injures et autres supposés noms d’oiseaux en portugais dont elle avait trouvé habile de m’inonder en cet instant de risque maximum de contagion.

A peine la porte refermée, j’ai considéré avec la plus grande circonspection la lettre qui semblait demeurer sans vie sur le carrelage du couloir. Un rapide examen du timbre et du document de recommandé semblait indiquer une provenance française. Mais le virus étant fourbe par nature autant que courtois par culture, je pris quand même le temps de rechercher à la loupe toute trace de postillon sur l’enveloppe.

Rassuré et armé de seyants gants Mappa en latex d’un joli bleu, j’entrepris d’ouvrir le courrier en question et découvris avec stupeur qu’il n’y avait pas de confinement pour les factures impayées. On vous les sert à toute heure, coronavirus ou pas. Factures et huissiers ne sont donc pas confinés. En tout cas pas comme nous autres. Les sans grades, les pousse-mégot, les damnés de la Terre. Les rapaces me rappelaient sans délicatesse que j’avais déjà trois mois de loyer de retard.

Avantage au moins, on ne risque pas de me confiner dehors. SDF ne rimant pas avec santé pétante, je gagne quelques mois de répit. A moins qu’un chômage partiel ait raison de mes dernières capacités à payer mon loyer. Faut dire que côté télétravail, dans le nettoyage industriel, on est mal positionné. Malgré tout, notre patron a décidé de suivre à la lettre les mesures préconisées. Comme il m’a à la bonne, et sachant que j’avais quelques lumières en informatique, il m’a chargé d’organiser le planning des femmes de ménage depuis chez moi. Bref, tant qu’elles triment je touche ma paye.

A propos d’informatique, heureusement qu’elle était là pour nous offrir la plus grande invention de tous les temps permettant d’accéder à la vérité vraie : Internet. C’est en effet grâce à ce dernier que j’ai pu tout comprendre avant tout le monde. Pas eu besoin d’attendre les déclarations et autres sommations gouvernementales. Seul le péquin moyen a été frappé de stupeur. Pauvres gens… Et pourtant tout était écrit. C’est l’avantage d’Internet. Et son inconvénient. On te dit les choses. On t’explique. Et puis c’est le raz-de-marée des infos officielles. Des journalistes aux ordres. Des escouades de décodeurs qui font passer la vérité pour des fake news.

Prenez le COVID-19, le bien nommé. 19, c’est un code qui dit tout bonnement l’âge moyen de ceux qui vont s’en sortir. Pour les autres, on a déjà agité le chiffon rouge : « va falloir trier ». Entre un brave grand-père à 3 000 euros par mois de retraite et un jeune blaireau aux muscles saillants et sans conscience politique, prêt à marner pour un sous-Smic, y’a pas photo. Pour moi qui suis entre deux âges, méfiance. Un virus c’est pas une science exacte à 100 %. Alors ?

Alors, en attendant, un autre souci se pointe à ma fenêtre. Je l’avais presque oublié celui-là. Le chat. Mon matou noir. Réconfort incontournable de mes rares moments d’incertitude et donc de détresse, mais figure nouvelle de l’inquiétude virale. C’est la seule fausse vérité officielle à laquelle je veux bien encore avoir la faiblesse de souscrire. Mon chat ne serait pas vecteur du coronavirus, pas plus qu’il ne l’était du sida, de la dengue et du chikungunya.

Après un moment de réflexion hésitante, je me laisse gagner par l’imprudence. Je lui ouvre, il se précipite sur mes genoux et plante ses griffes dans les cuisses en ronronnant. Pas confiné lui… Comment savoir s’il ne nous trimballe pas du coronavirus qu’il vient de m’injecter dans l’organisme sous prétexte de célébration féline ? La simple pensée fugace qu’il pourrait me donner le baiser de la mort me tétanise. Mais pas suffisamment pour que je lui refuse mon réconfort et lui ouvre une boîte de son plat favori : pâtée de poulet-sardine aromatisée à la souris grise.

Malgré une journée passée à somnoler et à gérer vaguement des emplois du temps de lumpenprolétariat, je me mets à retrouver un peu de foi en l’humanité. Les ronronnements de chat ont un effet apaisant sur le bougre confiné. C’est en me demandant si demain serait un autre jour que je me laisse aller à un sommeil réparateur, à peine hanté par des virus espiègles et festifs qui virevoltent joyeusement dans mon esprit comme on s’abandonne à des délices interdits.

Rendez-vous demain avec l’épisode 2 de « Je suis quand même pas parano ! »

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