Quand il avait trois ans, Rayan préférait jouer à la poupée et “emprunter’’ les robes de sa sœur. Ce déguisement, toléré par sa mère, restait cantonné à la sphère privée. En effet, il était hors de question de s’exhiber en habits de fille à la crèche, par peur du quand-dira-t-on et du regard de la société. La mère de Rayan était certaine que cette “lubie’’ allait passer et elle avait raison. Trois ans plus tard, quand il a fait son entrée à l’école primaire, Rayan, tout naturellement, a choisi de s’habiller en garçon. Ses séances de déguisement en princesse sont devenues sporadiques pour disparaître complètement vers sept ans, âge auquel l’enfant s’identifie aux membres de son groupe.
L’approche privilégiée par la mère de Rayan est d’ailleurs celle que les psychologues préconisent. “Le choix du costume étant symbolique, il est préférable de le laisser libre de choisir son propre déguisement. Évitez de le brimer, montrez-vous tolérante et à l’écoute, évitez de lui en vouloir ou de l’humilier. Ceci peut altérer son estime de lui, lui faire développer des sentiments de honte et de culpabilité voire l’amener au repli sur soi”, conseille Faiza El Rhandouri, psychologue clinicienne. Autrement dit, jouer à la poupée ou se déguiser en fille n’est pas répréhensible en soi puisqu’au même âge, les petites filles aiment s’adonner à des activités propres aux garçons, comme jouer aux voitures. Et personne n’y trouve à redire. “Se déguiser est courant chez les enfants. Nombre d’enfants en bas âge s’amusent à porter les accessoires de leur maman. Cette dernière est la personne dont l’enfant est le plus proche. Elle représente un modèle et un idéal qu’ils cherchent à imiter inconsciemment. Se déguiser de la sorte est une expérience à laquelle participent aussi bien les garçons que les filles”, assure la psychologue.
La valeur du déguisement
À cet égard, la psychologue souligne le rôle déterminant du jeu du déguisement dans la construction de la personnalité de l’enfant. “Le déguisement est un jeu de “faire semblant” à travers lequel l’enfant s’attribue ce qu’il désire. Il l’aide à apprivoiser sa peur, à maîtriser son environnement et à mettre à distance le réel. Aussi, l’angoisse se décharge et se transforme en plaisir. Il est important de laisser à l’enfant la liberté d’exploiter et de développer sa créativité et son imagination. Ceci lui appartient et peut revêtir une dimension libératrice”, insiste-t-elle.
Il existe toutefois des cas où le petit n’arrive pas à se défaire de ce déguisement et où le fait d’en être privé est source de tristesse, d’angoisse et de colère. Le désir de se vêtir en fille peut aussi s’accompagner d’anxiété, de perte d’appétit et de trouble du sommeil. Aux parents de décrypter ce comportement : “Lorsqu’il a du mal à quitter son costume et ses accessoires, essayez de comprendre pourquoi. Vit-il une réalité pénible ? Observez si c’est un comportement passager, transitoire ou récurrent. Qu’en est-il de l’environnement familial, traverse-t-il des moments douloureux ?”, sont quelques-unes des pistes à explorer. “Au cours de ma pratique, j’ai eu l’occasion de rencontrer un petit garçon de cinq ans dont la maman était enceinte et verbalisait le désir d’avoir une fille. Les parents s’inquiétaient de voir leur garçon réclamer de façon régulière des habits de fille. Au cours de l’analyse, on s’est rendu compte que l’enfant était collé au désir de la mère et que son angoisse avait pour cause sa peur de perdre l’amour parental. Le travail a consisté à rationaliser cette angoisse auprès de l’enfant et du parent, permettant ainsi de la surmonter. Ce faisant, le besoin de s’habiller en fille a disparu”, témoigne Faiza El Rhandouri.
Généralement, les enfants se conforment aux convenances et représentations sociales qui leur confèrent une identité sexuée dès la fin de la petite enfance. “Si, arrivé à l’âge de sept ans, il souhaite continuer à s’habiller en fille, il est important d’essayer de comprendre pourquoi. Lorsque l’enfant est en souffrance, privilégiez la communication sans le brusquer et apportez-lui la sécurité et l’aide d’un professionnel si nécessaire”, précise la psychologue.
L’identité sexuelle de l’enfant
Mais si, comme ne cessent de le répéter les spécialistes, l’identité sexuée chez les filles et les garçons est fortement influencée par l’environnement socio-culturel, il n’en demeure pas moins que le sentiment d’appartenance à un sexe déterminé démarre dès la naissance, voire au moment de la conception. “La construction psychique de la sexualité chez l’enfant repose à la fois sur les processus d’identification aux parents et sur la découverte des différences anatomiques des sexes”, rappelle encore Faiza El Rhandouri.
Le complexe d’Œdipe, cette période au cours de laquelle le petit garçon cultive des sentiments extrêmement forts à l’égard de sa mère, en demeure l’une des plus éclatantes manifestations. Ce passage obligé dans le développement de l’enfant se solde plus tard par un désintérêt, du moins jusqu’à l’adolescence, pour les questions d’ordre sexuel. En somme, un cours normal des choses qui peut, toutefois, se trouver perturbé pour diverses raisons, sans lien avec l’environnement de l’enfant. “L’identité sexuelle s’élabore au cours du développement psychosexuel de l’enfant de manière progressive. Elle évolue à travers les différentes étapes de sa maturation physique et psychique. La construction de l’orientation sexuelle est complexe et se poursuit au cours de l’adolescence, pour s’affirmer à l’âge adulte”, rappelle la psychologue.
Pourtant, les attentes parentales, familiales et environnementales participent généralement au conditionnement de l’enfant, qui se reconnaît dans les qualités intrinsèques à son sexe. Les différentiations sexuées, qui existent bel et bien, quoique l’on dise, aussi bien à l’école qu’au sein du foyer, confortent l’acquisition stéréotypée du rôle des sexes par l’enfant. Aussi, quand l’enfant sort de ce moule préétabli, la crainte des parents qu’il ne soit pas “normal” peut les plonger dans le désarroi. “Si votre garçon se déguise en fille ou joue à la poupée, cela ne signifie pas qu’il deviendra homosexuel. Ceci ne définit pas sa sexualité future. De la même manière, ce n’est pas en lui interdisant de jouer à la dînette qu’il deviendra hétérosexuel. Mieux vaut éviter de raisonner de manière binaire”, conclut la psychologue.
Pour les pédopsychiatres, il n’y a nul péril en la demeure : se déguiser en fille n’est guère un symptôme de trouble de l’identité sexuelle ou d’une future orientation sexuelle prohibée par la société, sauf si cela persiste au-delà de l’adolescence, causant un mal-être incommensurable. La réaction des parents face à ce comportement diffère. Ce qui est certain, c’est que le déguisement au cours de la petite enfance est un jeu innocent qui aide l’enfant à explorer le monde de l’imaginaire et à grandir.
Par khadija Alaoui