Mina Bouchkioua Prof de philo rebelle

Elle est professeur de philo, coordinatrice d’une troupe de théâtre scolaire, militante politique et des droits humains, écrivain en herbe, mais avant tout femme...

FDM : Qu’est-ce qu’on vous reproche exactement ?

Mina Bouchkioua : On me reproche le fait d’être une femme libre et de le vivre pleinement. De ne pas avoir de problèmes avec mon corps et d’aimer m’exprimer sur le sujet. Enfin, une partie de mes écrits sur Facebook y fait référence. Mais cela concerne ma vie privée. Sur un plan professionnel, mon seul tort, c’est d’être une prof qui aime ses élèves. Je les encourage à discuter, à avoir l’esprit libre en dehors de toute censure. Nous nous adonnons à diverses activités culturelles parascolaires et ce, avec l’accord et la bénédiction de leurs parents. Mais cela ne semble pas plaire à tout le monde…

Racontez-nous ce qui a motivé votre affectation dans une école primaire alors que vous enseignez la philo depuis huit ans…
Concrètement, il y a eu un débat houleux avec le directeur du lycée dans lequel je bosse depuis le début de cette année, en rapport avec mes publications sur Facebook. Il m’a interpellée il y a un moment pour me dire qu’il lisait ce que j’écrivais, qu’il trouvait très rigolo tout ce que je rédigeais sur la vie quotidienne et tout ce que je partageais de personnel, mais qu’il était fort incommodé par mes anecdotes concernant l’école et la vie scolaire. Il m’a donc demandé d’arrêter immédiatement de parler de l’école. De plus, il a critiqué le fait que mon profil soit public et donc, accessible aux élèves qui, selon lui, téléchargeraient mes photos personnelles. Il va sans dire que cela ne me pose aucun problème puisque je ne partage rien que je n’assume pleinement. Le soir même, j’ai rapporté cette affaire sur un statut. Je pense que c’est ce qui a déclenché la guerre. Quelques jours après, une commission est venue au lycée, sans écrit préalable, et a commencé à m’interroger sur mon Facebook : “Pourquoi vous écrivez ceci ? Pourquoi vous portez atteinte à la pudeur ? Pourquoi vous parlez du corps, d’alcool et de désir ? Vous ne devez pas rédiger ce genre de choses en tant que professeur !” L’un d’eux m’a même manqué de respect et a qualifié mes écrits de pornographiques.

Y a-t-il un référentiel légal qui gère la relation “virtuelle” des enseignants avec leurs élèves ?

Dans les textes de loi, il n’y a absolument rien qui interdit quoi que ce soit. Rien ne codifie la relation entre le prof et ses élèves en dehors du lycée, et encore moins sur un espace virtuel tel qu’un réseau social. Les élèves peuvent ajouter leur enseignant, tout comme n’importe quel inconnu.

Ce qui est drôle, c’est que lors de la dernière réunion avec l’inspecteur de la matière à Rabat, il nous a lui-même proposé le compte Facebook d’un membre du corps professoral à Salé, qui travaille sur la mythologie, et nous a suggéré de le proposer aux élèves. Personne ne demandera aux autres enseignants de couper tout rapport avec leurs étudiants, pour peu qu’ils ne gênent pas la tutelle sur la morale et sur l’esprit.

À la suite de cette malheureuse affaire, vous avez été agressée par votre sœur et son mari, très à cheval sur les traditions.

Merci qui ? Oui, en effet, ma famille a très mal réagi. Normal, ils ne sont pas dans la même démarche que moi pour ce qui est de la liberté de penser, d’agir et de vivre. La sœur en question, professeur universitaire et membre du groupe Al Adl Wal Ihsane, a d’abord commencé par m’agresser verbalement. Elle qui a toujours abhorré ma liberté de ton, a trouvé dans la décision du ministère la justification de sa violence à mon égard. Le 7 janvier dernier, alors que je rentrais à la maison pour récupérer des affaires, elle et son mari gendarme ont débarqué pour me battre, me mordre et me menacer avec un couteau à la gorge. J’aurais pu y laisser la vie si je n’y avais pas échappé grâce à une amie qui avait insisté auprès des gendarmes pour me sortir de la maison, étant donné que ma sœur avait prétendu qu’il s’agissait là d’un vague problème de famille. Actuellement, l’affaire est en justice parce que j’ai porté plainte. Je ne compte pas renoncer, car je la sais capable du pire à cause de son référentiel très radical. Mais j’insiste sur le fait que c’est de la faute du ministère qui m’a fragilisée socialement, en me mettant à la merci du radicalisme.

Comment expliquez-vous la flagrante divergence d’opinions entre vous deux ?

Je ne sais pas. Peut-être les rencontres et les influences que chacune a eues dans sa vie. Car nous avons toutes les deux grandi dans la même famille conservatrice. Pourtant, il sera curieux pour vous d’apprendre que de nous deux, c’est moi qui étais la plus docile. Mon frère aîné m’a forcée à porter le voile à 15 ans. Je ne l’ai enlevé qu’à l’année du bac, entre autres grâce à mon prof de philosophie qui m’avait initiée à la discussion et à l’esprit critique. Par la suite, j’ai choisi de me marier très jeune pour fuir la censure, l’oppression familiale, pour découvrir le monde, pour faire l’amour… Ma sœur, par contre, ne s’est jamais laissée faire. Elle portait des minijupes et des petites coupes alors que c’était interdit à la maison. C’était une rebelle jusqu’à l’année de la licence où elle a intégré un groupe idéologique qui semble avoir répondu à ses besoins de contrôle et de tutelle sur autrui.

Vous craignez très fortement la récupération de votre affaire par certains à des fins politiques. Expliquez-nous.

Je pense que mon affaire est déjà entre les mauvaises mains. Et j’assume complètement ce que je dis, car j’ai des sources sûres. J’ai appris que le syndicat du Parti de la Justice et du Développement a fait pression sur le ministre de l’Éducation au nom de la morale et de la religion pour maintenir la sanction afin de donner l’exemple. Nous sommes plusieurs à y voir une sorte de campagne électorale anticipée. Juste après, il a même été question de conseil disciplinaire, carrément !  Et tout ça pour quoi ? Tout le monde me dit de faire profil bas et de demander des excuses. Mais alors après, pourrais-je seulement me respecter ou aspirer à la liberté si je faisais l’autruche ? Pour ma dignité, je continuerai le combat au risque de perdre mon boulot.

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