Lettre ouverte à Eric Laurent
Monsieur ….
Je viens de lire votre défense, publiée sous forme d’un long entretien accordé au quotidien le Monde. J’avoue avoir oscillé entre l’agacement, le rire et l’effarement. En vous lisant les bras m’en tombent. Je conçois que pour sortir du mauvais pas dans lequel vous vous êtes mis ( après tout personne ne vous a forcé ni demandé d’accepter de l’argent d’un homme que vous détestez ) il vous a fallut improviser une défense. Mais que de confusions et que de maladresses !
Vous apparaissez plus comme un un imbécile (excusez moi je ne trouve pas d’autres mots) que comme un maître chanteur. Vous dites : “Notre intention était de faire un livre. Sauf qu’il y a eu ces conversations avec ce personnage qui propose un accord, qui dit qu’il faudrait s’engager à ne plus publier sur le Maroc. Je me dis pourquoi pas. Mais il ne s’agit pas de chantage.”
N’étant pas juge peu m’importe de savoir s’il y a eu du chantage ou si vous avez inventé une nouvelle forme de chantage, le chantage passif. Vous ne demandez pas c’est l’autre qui propose. Il n’y a plus de maître chanteur juste une “tentation”. La tentation de l’argent. Vous reconnaissez avoir cédé à la tentation et accepté de renoncer à écrire contre une somme d’argent. Si ce n’est pas du chantage, cela pourrait s’apparenter à de la corruption.
N’exerçant pas de fonction publique, vous et votre consoeur n’êtes donc pas passibles des tribunaux pour corruption. Cela ne vous exonère pas de vos responsablités.
Vous dites que vous ne pensez pas avoir fait de tort à toute une profession. Là on tombe de sa chaise. Vous donnez l’impression qu’il est tout à fait naturel de ne pas écrire de livre en échange d’une somme d’argent. Vous banalisez la corruption.
Vous en faites une pratique normale au sein des journalistes d’investigation. Il est peut-être banal de proposer de l’argent contre du silence ( on m’en a offert mais pas si souvent que cela) , je veux croire que tous mes collègues ne cèdent pas à ce que appellez un peu cyniquement “ une tentation.” Perso j’ai refusé. Et je ne suis pas le seul. Pourquoi ai-je refusé ? Toutes considérations déontologiques mises à part , pour une simple et bonne raison. J’aurais été oblige de renoncer à un métier que j’adore. A compter de ce jour j’aurais été la propriété de celui qui m’aurait acheté. Finalement un million d’euros pour renoncer à mon métier ce n’est pas assez. Cent millions non plus.
Vous êtes-vous interrogé sur l'origine de l'argent qui aurait du acheter votre silence ? N'étiez-vous pas gêné d'accepter deux millions d'euros d'un homme que vous accusez d'être un pillard, un corrupteur et un corrompu ? Ne pensez vous pas qu'en étant payé par lui vous vous deveniez son complice ? Pour une fois l'argent n'aurait-il pas d'odeur ? Je dois avouer que parfois on a du mal à vous suivre.
Il est particulièrement stupide ou naïf d’avoir pensé qu’après avoir dézingué M VI dans un précédent ouvrage, le Roi du Maroc allait vous offrir trois millions d’ euros comme ça, juste pour votre silence. Vous n’avez rien vu venir et pourtant comme vous le dites “Au fond, le Maroc passe son temps à utiliser le territoire français pour ses coups tordus. “ Vous n’avez jamais pensé que votre interlocuteur pouvait avoir enregistré vos conversations ? Même quand vous avez vu qu’il posait son smart phone devant lui ?
Vous n’êtes pas sans savoir que l’on prête à Lenine l’expression ”idiots utiles” pour designer ceux qui aidaient les communistes contre leurs propres intérêts. Vous venez d’élargir le concept. Par votre geste vous venez de jeter le discrédit sur toute votre oeuvre passée (et future) principalement celle concernant MVI. Après tout le roi du Maroc aura beau jeu d’arguer que les accusations que vous portez à son encontre sont le fruit d’un chantage visant un incorruptible. En cela vous lui avait été utile.
Au fond je ne sais pas ce qui est pire : un Maître chanteur ou un idiot utile.
Tristement
Fabrizio Calvi
Ps: je viens de vous voir sur I-Télé déclarer n’avoir de leçon de déontologie à recevoir de personne. Et bien si !