Les rappeuses, ces amazones féministes

Elles s’appellent Manal ou Krtas’nsa. Elles ont le verbe qui pique, et leurs mots sont une arme au service de revendications légitimes. Bien loin des stéréotypes made in USA, des tenues légères et des corps décomplexés, les icônes du rap marocain participent aussi au combat féministe. Explications.

Par essence, le rap est un milieu machiste et le Maroc n’y échappe pas. Quelques rappeuses ont pourtant décidé de défier cette misogynie ambiante pour s’imposer dans le milieu viril du hip-hop. Manal Benchlikha, dite Manal BK ou tout simplement Manal fait partie de ces super women. À l’origine Manal ne rappe pas, elle chante,  exit la guitare et son petit air innocent. Depuis un an, l’artiste marrakchie qui a signé pour le label Sony s’est convertie au hip-hop. “J’ai toujours aimé le rap. Je me suis essayé à ce style en studio, et le résultat a été plutôt concluant”, nous confie, modeste, la rappeuse qui n’en est pas à son premier succès. Avec “Taj”, Manal avait défrayé la chronique. Un hit qui a tout de même cartonné, plus de 22 millions de vues sur Youtube et presque autant d’avis. “Taj est une chanson faite par une femme pour les femmes”, nous dit fièrement Manal. Celle qui a pour modèle la rappeuse Cardi B n’a pas froid aux yeux. Pour elle, il ne s’agit pas de s’imposer en tant que femme dans un milieu réservé aux hommes. “En réalité il faut juste avoir confiance en soi et croire très fort en son projet”, confie-t-elle, sereine. Pas question d’avoir l’approbation d’un quelconque rappeur, seul le public est juge. Après “Taj”, la désormais rappeuse a sorti “Slay” un morceau qui dénonce la dangerosité des réseaux sociaux. Pour ce clip, Manal a convié des influenceuses marocaines dont elle est proche. “Le but dans ce clip était de montrer des femmes qui s’assument pour dénoncer ce qui se passe sur les réseaux sociaux”, explique-t-elle. Une manière pour elle encore une fois de mettre en avant la femme.

Le rap, une passion, un exutoire

Les idées et les projets fusent pour Manal. Pour elle comme pour beaucoup d’autres, le rap est un exutoire, une manière de dire les choses sans tabous. “Il n’ y a pas d’autres moyens pour moi de parler de sujets comme l’agression sexuelle, de stéréotypes relatifs aux femmes…qu’en rappant.” Le rap sonne comme une évidence pour elle comme pour d’autres.

À l’instar de Manal, la rappeuse Krtas’nsa se bat pour faire passer des messages dans ses chansons. Grande gagnante dans la catégorie “meilleure artiste féminine” durant l’événement “La Cage Urban Music Awards” qui récompense la scène montante du rap marocain, Krtas’nsa a commencé à rapper à l’âge de 13 ans. “C’est ma mère qui m’a toujours poussée à participer à des festivals, à faire des compétitions de rap”, nous raconte fièrement la rappeuse. Encouragée par ses parents, la jeune rappeuse a fait du rap plus qu’une passion, sa raison de vivre. Des textes profonds, des “picholines” qui vous prennent dans les tripes et des rimes qui raisonnent comme des balles, Krtas’nsa alias Sanae fait partie de ces rappeuses qui ne mâchent pas leurs mots. Ses chansons racontent le vécu d’une jeune femme qui se bat pour se faire une place dans un monde qui n’a jamais été tendre envers elle. De “1er janvier” à “Da end” en passant par “#31#”, la rappeuse qui poursuit actuellement des études de tourisme à Bruxelles, parle de la condition des femmes, de la misogynie des hommes, de l’injustice et de la trahison dont sont victimes les femmes. Une prise de conscience pour ses fans qui sont des millions à voir ses clips sur sa chaîne Youtube. Grâce à ses textes incisifs, Sanae traite du rôle des femmes dans le développement culturel et social du Maroc. Et si elle a pris le parti de faire un break dans sa carrière pendant un an, la chanteuse est bien décidée à revenir et à s’imposer sur le devant de la scène. “Aller au bout de ses rêves, croire en soi et en ses projets”. Voilà le leitmotiv de cette rappeuse qui se décrit comme une guerrière des temps modernes.

Elles aussi ont dit non au machisme…

Le rap féminin à ses figures emblématiques. Tendresse, alias Hanane, l’une des premières rappeuses au Maroc en fait partie. Cette figure incontestée du rap marocain chante l’espoir en la jeunesse, en la femme qu’elle défend dans ses textes, tout en s’offrant le plaisir de parler d’amour. Son titre “Houwa” sorti en 2011, parle d’ailleurs de l’homme de ses rêves. Tendresse est à la fois féminine et un brin provocatrice, n’hésitant pas à clasher les rappeurs pour se faire entendre. Même si elle se fait de plus en plus discrète, Tendresse a marqué toute une génération de filles qui voient en elle une source d’inspiration. Pendant cette même période, la formation Tigresse Flow, composée de 5 filles au verbe incisif, a conquis le public grâce à son fameux titre “Maghribiya” (Marocaine). Ce groupe a disparu depuis des radars, mais certaines de ses membres continuent des carrières en solo, comme c’est le cas de Yousra, alias Soultana Rap.

Autre style, autre nom de scène. Psychoqueen (Kawtar de son vrai nom) est le nouveau prodige du rap.  Son dernier clip, “Inta Habibi” caracole dans les hits. Éternelle rivale d’Ily Bent Stati, la rappeuse n’hésite pas à dénoncer la misogynie des hommes et les déceptions amoureuses sur des morceaux de Trap.  Ily Bent Stati dite Ilham n’est autre que la fille de l’artiste Abdelaziz Stati. En septembre dernier, la rappeuse s’était fait huer à coup de jets de bouteille par son public lors du festival L’Boulevard. Une humiliation, pour l’interprète d’“Iluminati”, qui n’a pas pour autant baissé les bras. Ilham est revenue plus forte, et elle vient de sortir un nouveau hit. “Loca” qui parle d’une rupture amoureuse. Un morceau qui a dépassé les 18 millions de vues sur Youtube. Autrefois conspuée, Ily a su remonter la pente. La rappeuse a reçu un message de l’idole de toutes les rappeuses, Cardi B qui lui aurait proposé un featuring. Une belle revanche pour Ilham qui ne veut pas vivre dans l’ombre de son père.

Bousculer les mentalités

La scène marocaine du rap est en pleine expansion, elle s’émancipe et gagne du terrain. Les rappeuses sont les porte-paroles d’une jeunesse qui a soif de liberté, d’égalité et d’ouverture d’esprit. Ce sont ces idéaux que les rappeuses scandent dans leurs textes à coup de “punchlines” et de rimes. Cette poignée de rappeuses œuvre au changement en bousculant les mentalités.

Il y a quelques temps le féminisme ne se revendiquait pas, il se murmurait à peine. Aujourd’hui il s’écrit, se chante, se rappe. Ses identités, ses visions et ses ambassadrices sont multiples. Chacune exprimant à sa manière son droit. Les rappeuses marocaines ont su brandir une sorte de féminisme qui, sans elles, n’aurait pu exister. 

Les Chikhates, ces femmes libres

Chikha Dona, Fatna Bent El Houcine, Kharboucha, et bien d’autres encore. Femmes revendiquant leur liberté dans l’espace public, les Chikhates sont pratiquement à l’origine des revendications féministes dans la chanson marocaine. À la fois aimées et marginalisées, elles se veulent libres par le ton de leur prose, libre de danser et de chanter l’injustice et le sort des femmes. Trouver une relève à qui passer le flambeau du répertoire des Chikhates, paraît presque impossible tant le statut de “Chikha” est devenu lourd à porter. Même si elles ne perpétuent pas l’art de l’Aïta, les rappeuses sont représentatives de ces femmes qui défendent leur place dans la société et réclament, à coups de textes engagés, leurs droits. Néanmoins la différence réside dans le contexte, qui est urbain, pour les rappeuses et rural pour les Chikhates.

Par Sarrae Tazi

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