A 27 ans, Lina Ben Mhenni a incarné la voix de la révolution tunisienne lors des manifestations pour la chute du régime de Ben Ali. Cyberdissidente, bloggeuse, journaliste et professeur d’anglais à l’université de Tunis, celle que l’on surnomme “Tunisian girl”, du nom de son blog, a fait partie des lauréats au prix Nobel de la paix 2011.
FDM : Ennahda a remporté les élections du 23 octobre. Quel effet cela vous fait-il ?
Lina Ben Mhenni : Ainsi va la démocratie…
Quelle est la politique prônée par Ennahda ?
Ennahda est un mouvement politique à connotation religieuse. Pour le moment, il semble prôner une démarche d’entente et dit souhaiter la formation d’un gouvernement d’union nationale. Cependant, beaucoup de Tunisiens ne croient plus en leurs propos car par le passé, nous avons pu relever une dichotomie entre leur discours et leurs pratiques.
Vous attendiez-vous à un tel résultat lorsque vous manifestiez pour la chute du régime de Ben Ali ?
Quand on manifestait contre le régime de Ben Ali, on voulait s’en débarrasser pour des raisons connues : dictature, torture, chômage, corruption, répression à outrance, censure… On revendiquait nos droits à la liberté, au développement, à la justice, à l’équité et ce, au nom de notre peuple, toutes tendances idéologiques et politiques confondues. L’essentiel pour nous était de rassembler toutes nos forces contre la dictature implacable de l’ancien régime. Mais je pense qu’une grande partie d’entre nous savait aussi que le départ de Ben Ali n’était que le commencement d’un processus qui prendrait beaucoup de temps et qui demanderait encore beaucoup de sacrifices. J’espère que ceux qui ont remporté la majorité des voix aux élections n’oublieront pas que la révolution que nous avons menée est celle de tout le monde, et qu’ils tiendront compte de nos revendications, spécifiquement celles qui concernent les libertés individuelles et collectives. Je reste confiante dans le fait que notre peuple persévèrera et continuera son bout de chemin, malgré les embûches…
Quelle était la situation des femmes sous le régime de Ben Ali, les acquis que vous aviez ?
La femme tunisienne a acquis tout au long de l’histoire beaucoup de droits, comparativement aux femmes musulmanes et arabes en particulier. Mais ces acquis ne sont pas systématiquement appliqués et respectés.
Que risquez-vous de perdre avec Ennahda au pouvoir ?
Grâce à la mobilisation des Tunisiens de tous âges qui se rassemblent chaque jour pour manifester, pour organiser des sit in ou pour prendre position en écrivant, nous irons, j’en suis persuadée, vers davantage de libertés et vers une meilleure situation sociale et économique, quand bien même cela exigera de nous plus de sacrifices.
Le printemps arabe a-t-il répondu à vos attentes ?
Le printemps arabe reste à faire.
Qu’espérez-vous aujourd’hui ?
Avoir suffisamment de force pour continuer ma lutte, aux côtés de mon peuple et de toutes les forces positives du monde arabe en particulier, et du monde entier en général.
Peut-il encore y avoir un retournement de situation ?
La Tunisie ne sera jamais plus comme avant. Il y aura sûrement des petits moments de reflux, mais la marche vers la démocratie ne s’arrêtera pas.
Quel regard portez-vous sur les évènements qui se passent en Egypte et en Libye, pays où les islamistes regagnent du terrain ?
Je suis confiante. Nos peuples ont démontré qu’ils étaient prêts à se battre pour leur liberté et leurs droits. â–