1 Circulez… comme vous pouvez !
La première, et ô combien pénible épreuve à laquelle sera confronté tout jeûneur qui doit se rendre à son travail est bien celle des embouteillages monstres aux heures de pointe. Dans les centres-villes, le trafic est encore plus dense que d’habitude, et donc infernal. Les incivilités, accrochages, querelles et insultes, le tout sur fond de klaxons interminables, deviennent alors légion. Ça fait presque partie du décor. De bon matin, les files de véhicules s’allongent à l’infini et l’irritabilité des conducteurs devient palpable. Et puis en fin d’après-midi, tout le monde a bien entendu envie de rentrer avant le ftour. Le ton monte souvent, et le risque est d’ailleurs grand d’en venir aux mains. Certains automobilistes se croient tout permis sous prétexte qu’ils sont “mramdnine”. Arriver à son travail en forme et de bonne humeur relèverait presque de l’ordre de l’impossible.
2 En train, ce n’est guère mieux
Ceux et celles qui font la navette par train pour arriver à leur lieu de travail voient généralement venir le mois de Ramadan avec beaucoup d’appréhension. Car en plus des retards habituels des trains, ils auront aussi droit à tout l’inconfort possible et imaginable. D’abord, il devient presque impossible de se trouver une place assise. Et quand bien même c’est le cas, la mauvaise haleine de certains voyageurs se chargera de vous incommoder davantage. Et même avec ça, vous n’êtes pas au bout de vos peines. Car certains voyageurs ne peuvent s’empêcher de jouer le rôle de moralisateurs en s’attaquant aux femmes de préférence ; celles qui se sont maquillées, même discrètement, constituent la cible préférée de ces gardiens de la morale. Idem pour celles qui ont osé se parfumer. “J’ai l’habitude de me maquiller et je le fais donc plus discrètement durant le mois de Ramadan. Et je peux vous dire qu’on ne m’épargne pas quand je prends le train. On me lance des regards insistants, accompagnés parfois de remarques à peine voilées. Je trouve qu’il est inutile de répondre à de telles provocations. C’est personnel et l’hostilité des autres ne me perturbe plus”, nous confie Kenza, responsable marketing dans une multinationale.
3 Léthargie quand tu nous tiens
Vous l’aurez remarqué, dès que Ramadan débute, la roue du travail commence à tourner au ralenti. Et cela risque d’être encore pire cette année, grosses chaleurs obligent ! En fait, nombreux sont ceux qui considèrent Ramadan comme un mois de léthargie générale dans les bureaux. On ne compte plus les employés qui arrivent en retard le matin et repartent tôt chez eux l’après-midi. Pour certains, le travail est tout simplement relégué au second plan. Fatigue liée au jeûne ou simple paresse ?
Certainement les deux. Vu la profusion des activités nocturnes (prières, shour, veillées familiales, soirées ramadanesques…), démarrer du bon pied le matin s’avère difficile. Et puis, au-delà de 14h, les problèmes de concentration pointent généralement le bout du nez. Et bonjour l’inactivité, les mines d’enterrement et la mauvaise humeur. “Il est vrai qu’on remarque une baisse d’activité et de rendement durant le mois de Ramadan. D’ailleurs, moi qui suis journaliste dans la presse quotidienne, je préfère de loin travailler le soir. Je ne suis pas très productif dans la journée”, explique Mohamed.
4 Attention, collègue “mramden”
Nombreuses sont les personnes qui prennent le mois de Ramadan comme excuse pour expliquer leur mauvaise humeur ou leurs grosses colères. Chez certains, c’est pratiquement une seconde nature qui s’installe tout au long de ce mois. Chez ceux-là, le scénario est toujours le même : ils arrivent au boulot un peu en retard, cela va de soi, et vont directement dans leur bureau sans dire bonjour. L’air grave, ils ne bougent pratiquement plus de toute la journée et parlent très rarement à leurs collègues. C’est à croire qu’ils préservent leur précieuse salive ! Et bien entendu, si on a le malheur de les solliciter pour un dossier en cours par exemple, ils voient alors rouge, sont tout de suite sur le qui-vive et se mettent en colère pour un oui ou pour un non. Une agressivité souvent gratuite qu’on impose aux autres sous prétexte que c’est Ramadan et que c’est soi-disant “normal”.
5 SOS, je suis en manque !
Là, les accros au café ou encore à la cigarette se reconnaîtront. Car pour ceux-là en particulier, il n’est pas du tout facile de rompre avec ses petites habitudes au boulot : “D’habitude, je ne me passe jamais de ma tasse de café que je prends religieusement au réveil, nous confie Hind, vétérinaire.Vous pouvez donc aisément imaginer dans quel état je me retrouve durant ce mois. Avec le manque de café, je n’arrive tout simplement pas à émerger. La migraine pointe dès le matin et c’est une souffrance tout au long de la journée. J’essaie de m’habituer en initiant un sevrage un peu avant Ramadan. Mais j’ai l’impression que ça ne sert à rien”, Pour les grands fumeurs, c’est aussi la même appréhension. “Ce n’est pas tant la faim que j’appréhende mais surtout le manque de nicotine. J’ai l’impression que je tourne en rond. Je cherche automatiquement mon paquet de cigarettes des yeux. Je suis aussi très irritable, bien plus que d’habitude. C’est vers la mi-journée que le manque se fait le plus ressentir”, raconte Mohammed, journaliste.
6 Quand manger est un péché
Ceux qui ne font pas le Ramadan, par choix ou encore par nécessité, sont obligés de se cacher. Car dans une société comme la nôtre, on n’est pas clément avec ceux qui n’observent pas le jeûne. D’ailleurs, quand on ne fait pas le Ramadan, on n’a pas intérêt à le crier sur les toits, au risque d’être victime de représailles. Braver l’interdit en public est en fait passible d’une peine de prison. Et s’il est vrai que dans certains milieux, c’est plus ou moins toléré de “dé-jeûner”, il ne s’agit que de rares exceptions. “Mes collègues qui ont choisi de ne pas jeûner sont obligés de manger en cachette dans leurs bureaux. Une fois dehors, ils font de leur mieux pour masquer l’odeur de la cigarette et doivent faire semblant pour ne pas susciter de commentaires désobligeants”, regrette ce jeune journaliste qui ne comprend pas “pourquoi on s’acharne autant contre les non-jeûneurs alors qu’il s’agit d’une question qui devrait relever de leur vie privée”.
7 Tenues “halal”
En matière vestimentaire, entreprises et administrations enregistrent presque toutes un avant et un après Ramadan. Durant ce mois, pas de maquillage et pas de tenues “provocantes” pour les dames. Autrement dit, les femmes (la plupart en tout cas) se sentent obligées de répondre à l’appel de la religiosité en adoptant des tenues “correctes” qui ne “choquent” pas leurs collègues mâles. Au placard les décolletés ou encore les petites robes aériennes ! “Chaque matin, c’est le même casse-tête. Je mets mon placard sens dessus dessous à la recherche de la tenue idéale. Avec Ramadan qui coïncide en plus avec l’été, je ne sais plus quoi mettre. J’hésite mille fois avant de porter un tee-shirt ou encore une jupe”, raconte cette jeune télé-conseillère.
8 Religiosité à fleur de peau
Certains de vos collègues de travail se sentent obligés d’enfiler une religiosité de circonstance. Ils deviennent musulmans pratiquants et ne ratent plus aucune prière. On peut même en voir quelques-uns déserter leurs postes de travail pour faire leurs ablutions ou pour carrément aller faire la prière à la mosquée. D’autres poussent le zèle jusqu’à mettre les 99 noms d’Allah en fonds d’écran sur leur ordinateur. On en voit aussi qui passent la journée à lire le coran (si, si, en plein travail). Par ailleurs, les donneurs de leçon au nom de l’Islam deviennent légion.
On se permet de tout critiquer, de s’immiscer dans la vie privée de ses collègues de travail et même de leur “montrer la bonne voie”. “Dans le département ministériel où je travaille, tout le monde se sent obligé d’afficher une mine sérieuse. Il n’est même plus permis de rigoler entre collègues et de piquer un fou rire. Les bises aussi sont claquées en toute hâte pour ne pas susciter de crises”, raconte Ilham, jeune cadre.
9 Forum cuisine
Une autre particularité de ce mois sacré, c’est la place que prend la cuisine dans la vie de tous les jours. Jusqu’à votre espace de travail qui n’est pas épargné par les discussions ferventes autour des ch’hiwates. C’est à croire que tous vos collègues ne ratent plus un seul épisode de l’émission de Choumicha. Toutes les conversations, ou presque, tournent autour du ftour, du dîner ou encore du shour et des plats plus succulents et plus inventifs les uns que les autres qui garniront la table. Et même s’ils sont bel et bien au travail physiquement, vous avez l’impression que vos collègues (aussi bien les femmes que les hommes) ont pratiquement tous la tête à ce qu’il y aura à manger le soir.
On s’improvise critique télé
Du menu de la table, on s’attaque ensuite à celui de la télé ramadanienne. Et hop, tout le monde s’improvise critique des navets quotidiens qu’on nous sert sur les deux chaînes de télévision marocaines. Sitcoms, séries “comiques”, caméras cachées et autres programmes TV sont passés au crible. Ils font ainsi le bonheur de tous, aussi bien vos collègues que vos supérieurs qui, à défaut de pauses cafés, se délectent de descendre la production marocaine (qui le mérite soit dit en passant).