Le couple, les disputes et les enfants

Dans toutes les familles, les parents se disputent. Les occasions de se quereller ne manquent pas : stress, argent, boulot, qui fait quoi à la maison, etc., etc. Il y a mille et une occasions pour que les cris fusent. Comment les enfants vivent-ils les disputes des parents ? Du reste, une famille sans chamailleries serait-ce vraiment mieux pour les enfants ? Début de réponse…

Les disputes traduisent à leur manière animée que le couple est bien en vie et qu’il n’a pas sombré dans l’indifférence. Les occasions de se disputer sont nombreuses : différence de caractère, boulot contraignant, transport exécrable, problèmes de sous, devoirs scolaires des gosses. Parfois, ce sont les enfants eux-mêmes qui déclenchent la dispute parentale. “Les enfants réussissent souvent à me faire sortir de mes gonds, raconte Latifa, maman de trois chérubins. D’abord, ils se chamaillent entre eux et ils ne sont vraiment pas doués pour choisir la bonne heure ! Ils ont une prédilection pour l’heure du départ à l’école le matin et le soir, après une journée harassante au bureau – j’ai un patron méchant et quand j’ai les nerfs en boule, je fais comme lui, j’aboie ! Mon mari intervient pour défendre les enfants contre mes cris et la dispute part !”

Une maman qui crie, des parents qui se disputent, ce n’est pas l’image de parents fermes, zen et compréhensifs qu’on voudrait donner à nos enfants. Mais comme les parents sont aussi des hommes et des femmes comme les autres, il arrive qu’ils manquent de patience et qu’ils craquent. Quel impact les disputes parentales ont-elles sur les gosses ?

Les parents crient, les enfants trinquent !

Les enfants sont sensibles aux éclats de voix. Les plus petits sont effrayés par les éclats qui les interpellent plus que le contenu du message. Un petit devine à l’intonation de la voix parentale si papa et maman sont détendus, de mauvaise humeur, anxieux ou en colère. Certains pédiatres pensent que les bébés perçoivent les cris comme une intrusion intolérable et effrayante du monde extérieur. Pour les moins de 7 ans, la violence contenue dans le cri écrase le sens de la parole. Les éclats de voix, les visages transfigurés par la colère de papa et maman rendent inquiet et malheureux l’enfant sans qu’il puisse comprendre les raisons du débordement parental…

Les disputes de ses parents affectent tout autant un tout-petit que les cris qui lui sont adressés. S’ils se répètent, ils peuvent amener les petits de moins de 3 ans à somatiser. Des troubles du sommeil, de l’alimentation peuvent apparaître. Au-delà de trois ans, l’enfant va se montrer anxieux. Certains vont développer une hyperémotivité. D’autres se mettent à surveiller les parents : même quand ils semblent absorbés dans leur jeu, dès que les cris fusent, ils s’arrêtent de jouer. Certains fuient loin des cris, d’autres vont aller vers les parents et leur demander d’arrêter. D’autres encore vont vers le parent vécu comme le plus fragile, tentent de le protéger, protégeant ainsi l’image idéalisée d’un père ou d’une mère en péril. 

Existe-t-il un âge où les enfants sont autrement plus réactifs et sensibles aux disputes des parents ? Les avis des spécialistes divergent. Plusieurs facteurs entrent en jeu : l’intensité, la fréquence, le ton, la violence verbale ou physique de la dispute. Lorsque le thème de la dispute est récurrent – l’argent, la jalousie maladive d’un des parents ou autre -, les enfants le perçoivent. Si le conflit n’est pas résolu, les disputes à répétition peuvent conduire à la rupture. Plus que l’âge, la gravité de l’impact des disputes parentales dépend de la maturité des enfants, de l’absence ou présence de dialogue entre enfants et parents. Batoul El Harti, psychiatre, nuance : “S’il faut absolument évoquer, à titre indicatif, une tranche d’âge, je désignerai les 3-7 ans en gros. C’est un âge où les enfants idéalisent amoureusement leurs parents. Il s’agit d’une période forte et marquante de l’enfance, où il n’est jamais bon d’encaisser une désillusion précoce surtout quand elle met en scène les piliers de notre existence : les parents.”

Les cris s’incrustent, la carapace pousse

Même quand les cris ne lui sont pas destinés, l’enfant peut s’imaginer responsable de la crise des parents. Il peut alors développer un sentiment de culpabilité écrasant pour ses frêles épaules. Néanmoins, dans une famille où l’on s’époumone régulièrement sans que l’un des protagonistes se fasse la malle, la sensibilité des enfants va finir par tiédir et disparaître. Les disputes des parents font désormais partie du décor familial, ça ne prête pas à conséquence, les parents sont toujours là. Les enfants développent une carapace qui les prémunit contre les impacts des disputes parentales. La carapace, est-ce une bonne chose ou un refouloir ? Cela dépend encore une fois de l’acuité, de l’intensité des disputes, de leur théâtralité, de l’atmosphère et de l’ambiance régnant avant et après la dispute. Madame El Harti explique : “Les enfants ne sont pas dupes. Ils savent que tous les couples se disputent. Ceux dont les parents se chamaillent pour tout ou rien et qui reviennent à de francs éclats de rire après, ont intériorisé le fait que c’est là le mode de fonctionnement du couple que forment leurs parents. Ceux-là se laissent pousser une carapace sympathique. Ils se blindent positivement contre les cris. Les autres, ceux qui perçoivent chaque dispute comme la dernière : après c’est la rupture, se blindent contre la souffrance à laquelle ils se savent condamnés si les parents divorcent.” Chantal Emran, psychologue, commente : “Il ne faut pas croire que le retentissement des disputes des parents est systématiquement négatif pour les enfants. En majorité, ils ne sont pas si fragiles que cela émotionnellement. Ils ont une vie psychique très riche. Ils ont un tel rayonnement intérieur que les disputes parentales – non violentes !- ne laissent pas de marques durables. Elles ne les handicapent donc pas pour l’avenir comme pourraient le penser certains parents trop anxieux ! Par ailleurs, les enfants préfèrent sûrement que les parents se disputent entre eux qu’être disputés !”

Vive les bonnes disputes !

Toutes les disputes ne sont pas forcément mauvaises. Un couple qui ne se dispute jamais, ça n’existe pas. Et si par malheur cela existait, ce serait lourd à porter pour les enfants ! Des parents qui ne se disputent pas, ne se sentent pas – ou ne se sentent plus – concernés l’un par l’autre. Et cela les enfants le perçoivent très bien et ne s’en réjouissent certainement pas. L’autre profil des parents ne se disputant jamais, c’est le couple parfait. Héritage trop lourd à porter par les enfants qui pourraient désespérément chercher, plus tard, la perle rare, celle qui ressemble à papa, à maman sans jamais la trouver.

D’autres ne se disputent jamais car ils vivent toujours dans le non-dit, se contiennent, refoulent sans cesse ou font semblant de vivre dans l’harmonie la plus totale. Rien de tout ça n’échappe aux enfants. Les familles trop policées sur les bords hébergent une violence contenue formidable qui est autrement plus dangereuse pour les enfants qu’une famille où on se chamaille dans la franchise la plus transparente ! Batoul El Harti met en garde contre ce type de fonctionnement qui a la vie dure dans notre société : le non-dit. “Nous vivons dans les bras d’une société qui confond trop souvent à mon goût, souab et hypocrisie. Et cela est toxique pour les enfants, n’ayons pas peur des mots. Un contrôle de soi excessif, une courtoisie excessive annulent les émotions, les vraies, briment notre monde psychique, brouillent les indicateurs émotifs, empêchent les émotions de s’exprimer. Et cela ouvre la porte chez les enfants à toutes les craintes imaginaires.” Hausser le ton lorsque les circonstances l’exigent, rentrer dans une grande colère (quand elle est justifiée) et se disputer entre époux ou disputer les enfants, rassure et sécurise, assurent les psys. Nous sommes tous des humains avec plein de fragilités, rien ne sert de toujours les cacher, de les minimiser ou de les ignorer. Grandir, c’est d’abord déceler ses limites, connaître ses faiblesses. Il est bon que les enfants s’en pénètrent. Et les bonnes disputes parentales sont un outil comme un autre pour y arriver. Ceci ne signifie pas qu’il faille tomber dans l’excès inverse ! Un adulte qui perd trop souvent le contrôle, tempête sans arrêt, se discrédite peu à peu. À la longue, il ne peut plus se présenter comme modèle valable pour sa progéniture. Or, les enfants ont besoin de modèles. Ils ont besoin que leurs parents soient des statues grandioses qu’ils vont pouvoir déboulonner quand sonne l’heure de voler de leurs propres ailes ! Les parents doivent garder une certaine autorité – à ne pas confondre avec autoritarisme !- pour garder le contact et mener le dialogue. 

L’avis du spécialiste

Rencontre avec Chantal Emran, psychologue, autour des disputes parentales.

Il n’existe pas de couple parental où les protagonistes ne se disputent pas. Les enfants ont-ils conscience de cette réalité ?

Absolument. Eux-mêmes se chamaillent avec les copains, avec les frères et sœurs. Ils savent très bien que la dispute fait partie de la vie. Le danger pour l’épanouissement des enfants réside dans l’excès ou dans l’absence totale de disputes.

Est-ce qu’on peut affirmer que les disputes affectent différemment les enfants selon leur âge ?

Oui, mais pas uniquement. L’âge joue un rôle, mais ce qui importe plus c’est leur autonomie, leur degré de dépendance vis-à-vis des parents. Ce qui compte aussi, c’est le modèle éducatif des parents. S’il est basé sur le dialogue, sur l’échange, les parents n’auront aucune  inhibition à expliquer aux enfants qu’ils ne sont pas responsables de la dispute, que c’est une affaire du couple, que papa et maman sont toujours là, unis pour les enfants. Maintenant, si les désaccords couvent, que le non-dit est le mode de fonctionnement que les parents ont imposé à toute la famille, toutes les tranches d’âge sont affectées. À tout âge, les enfants ont peur que les parents se séparent après une dispute.

On ne peut pas affirmer qu’à partir d’un certain âge les enfants ne sont plus affectés par les disputes des parents. Ils les appréhendent avec une pensée structurée, avec une structure affective établie, à partir, grosso modo, de l’âge de 7 ans, l’âge de raison. Par ailleurs, on ne peut pas affirmer que les disputes des parents sont à l’origine de la fragilité des enfants. Certains enfants, évoluant dans des milieux familiaux équilibrés, entourés de parents matures, aimants et responsables, se retrouvent parfois chez nous en consultation…

Dans certains couples, on se chamaille souvent à cause des enfants. L’un trouvant que l’autre n’est pas assez autoritaire, lui reprochant de ne pas s’impliquer assez, etc. 

Ce genre de disputes à propos des enfants cache un véritable conflit de pouvoir. Le père qui veut faire la loi et qui s’y prend de manière trop rigide. La mère qui veut faire tampon et adoucir le climat. Chacun se sent nié par l’autre dans sa fonction. À répéter trop souvent ce genre de disputes, les parents perdent en crédibilité auprès des enfants. Un couple qui fonctionne sur la rivalité va faire de l’éducation des enfants une source inépuisable pour amorcer la dispute. Mais il va également trouver d’autres sujets de dispute : l’argent, le travail ou la sexualité. Les enfants, leur éducation ne sont pas le véritable problème. Le désaccord se situe ailleurs, il est intrinsèque au couple, pas aux parents. Ce type de protagonistes fonctionne selon un mode destructeur puisqu’il vise à rabaisser l’autre pour se sentir plus fort. Pour que les choses puissent s’arranger, il faut que le plus conscient des deux provoque une discussion en dehors des enfants. Quand le conflit est chronique ou qu’il se durcit, mieux vaut demander une aide externe afin d’aider le couple et les enfants.

Il arrive aussi que des enfants enclenchent les disputes des parents…

Si l’enfant réussit à enclencher la dispute, c’est qu’il y a une faille chez les parents. Le propre de l’enfant, c’est de jouer. Il peut également se jouer de ses parents ! Par exemple, sans avoir vraiment obtenu l’accord de sa maman, celle-ci lui ayant simplement dit : “va voir ce qu’en pense ton papa”, l’enfant va affirmer au père : “maman est d’accord, je peux rester avec les copains après l’école ?” Des parents qui ont un projet éducatif harmonieux, qui se respectent et respectent la décision de l’autre, véhiculent auprès des enfants une image de parents soudés, un couple parental en béton. Dans ce cas, les enfants ne chercheront pas à manipuler : ils savent qu’il n’y en a pas et n’arriveront donc pas à enclencher des disputes.

Faut-il systématiquement se cacher pour se disputer ?

Autant que possible, mieux vaut que les griefs entre époux se règlent loin des enfants. Ceci étant dit, on ne peut pas programmer les disputes. Maintenant tout est dans la manière de gérer la dispute. Ce qui est le plus dommageable pour les enfants, ce n’est pas tant d’assister aux disputes parentales, mais d’être instrumentalisés par l’un ou l’autre, d’être impliqués dans des conflits de loyauté. Ceux-là les font réellement souffrir car ils aiment et leur papa et leur maman. 

 

L’exposition Vogue est le fruit d’une collaboration entre la Galerie 38 et la Fondation BMCI. Afin de mettre en lumière
Grohe présente ses innovations dans une impressionnante installation holistique au prestigieux Palazzo Reale, la résidence Royale historique Milanaise, au cœur
« Les Écoles Al Madina » dévoilent leur nouveau plan de développement stratégique : Madina Kids et Madina Schools, sous
L’Institut français du Maroc, en partenariat avec les éditions La Croisée des Chemins, accueillera en tournée au Maroc Gilbert Sinoué
31AA4644-E4CE-417B-B52E-B3424D3D8DF4