À ce jour, je suis toujours persuadée que Mounir est l’homme de ma vie et qu’il finira par me revenir. Je continuerai de l’attendre inlassablement. Certes, notre histoire d’amour m’a causée beaucoup de tort : mes études sont réduites à néant, j’ai perdu l’estime et la confiance de mes proches, je me suis coupée de mes amis. En dépit de tout, je ne peux m’empêcher de le chérir.
Cela fait maintenant près d’un mois que je suis confinée dans ma chambre, au calme, selon l’expression consacrée de mes parents. Ces derniers ne cessent de me rappeler que j’ai échappé de justesse à la prison, au vu de la gravité de mes actes. J’ai interdiction de sortir seule et je suis privée de téléphone et d’internet. J’ai juste droit à la télévision que je n’allume jamais. Même si je suis physiquement présente, en réalité, je vogue dans ma bulle et mes pensées, occupée à ressasser pendant des heures et des heures le film des évènements.
Avec Mounir, notre flirt a commencé le plus banalement du monde, dans une soirée entre amis en plein été. Très vite avec le beau ténébreux, on ne s’est plus lâchés du regard ni de la main. Le démarrage de notre histoire a été passionnel. En tandem fusionnel, on faisait tout ensemble : balades à moto, plages, après-midi entières à se déclarer notre flamme… Comme sa famille possédait un cabanon dans une petite ville balnéaire proche, on en profitait souvent pour aller glaner un peu d’intimité.
À la rentrée, tous deux fraîchement bacheliers, nous avons décidé de nous inscrire dans le même établissement supérieur. On aurait pu y enseigner le chinois que ça m’aurait été bien égal. Dans notre groupe d’amis, on nous appelait les “amoureux twin” tant nous étions inséparables. Néanmoins, passé le premier semestre, quelques nuages ont obscurci notre belle idylle. Je ne supportais pas que Mounir soit en binôme de TP avec une petite peste au look de Barbie. S’en est suivie une scène de ménage mémorable où nous nous sommes quasiment étripés en public. On s’est vite rabibochés mais cet épisode a laissé une brûlure tenace dans mon cœur. La jalousie, vorace et cruelle, s’est installée en moi et ne m’a plus offert de répit. Même pour des activités a priori purement masculines, je l’accompagnais et me coltinais des matchs de foot interminables. Et plus il manifestait de signes de lassitude en me disant de le lâcher un peu, plus je redoublais d’agressivité. N’étions-nous pas les deux facettes d’une même pièce ?
Mes copines me mettaient en garde devant le tour que prenait la relation : “Tu lui mets trop la pression, il va se lasser de toi.” Peine perdue. Pour moi, elles ne comprenaient rien au côté spécial et unique de cette relation. Je les ai zappées de mon horizon.
Évidemment, comme j’avais beaucoup délaissé mes études (incapable comme lui de me concentrer sur la dernière ligne droite), j’ai raté mon année. En été, la magie a repris et nous avons retrouvé nos habitudes intimes. J’étais aux anges et je mentais en permanence à ma mère pour le retrouver le plus souvent possible dans notre antre. La vie était belle et j’étais à fond dans mon projet de vie avec lui, incluant mariage et ribambelle de bébés. L’air amusé, il se prêtait de bonne grâce au jeu des prénoms pour nos futurs enfants.
En septembre, nous avons réintégré les bancs de notre école et les choses se sont à nouveau gâtées. Comme on n’avait plus le même emploi du temps, il me dribblait discrètement, me racontant parfois des salades, brouillant les pistes. Soupçonneuse, je surveillais discrètement son téléphone duquel il semblait effacer certains textos et échanges WhatsApp. Quand il ne me contactait pas de la journée, je l’accablais de reproches puis j’éclatais en larmes. En général, il venait me cueillir en bas de chez moi pour me consoler. Le soir, je faisais le mur pour le rejoindre. Nos violentes scènes se soldaient par d’infinis câlins…
J’étais dans un yoyo émotionnel permanent. Résultat : je me suis minée et j’ai perdu énormément de poids. Or, un jour qu’il avait décommandé à la dernière minute une sortie au cinéma, je l’ai rappelé à minuit pour le prévenir : « Si tu ne viens pas tout de suite, je vais avaler la boîte de somnifères et tu auras ma mort sur la conscience ». Je pense qu’il a eu très peur parce qu’il est arrivé dare dare.
Je l’ai souvent poussé à bout mais je pense aussi que son ego était regonflé à bloc par l’amour incroyable que je lui portais. Il me regardait complètement effaré et presque admiratif : “Tu es vraiment capable de tout pour moi !”. Et encore, il ignorait jusqu’à quel point… Un jour, ses cousines de Belgique ont débarqué chez lui à la maison et il nous a montré fièrement les photos de la belle ambiance familiale. Peu à peu, la rage est montée en moi quand il s’est dérobé à mes questions incessantes et inquisitrices à leur propos : “Tu m’agaces avec ta jalousie. Oui, elles sont jolies et sympas, pas comme toi d’ailleurs !” Dans un accès de fureur, j’ai envoyé valser son ordinateur contre le mur du café, brisant sa machine en plusieurs morceaux. Le soir même, il m’envoyait un sms en me disant que tout était fini entre nous. Je l’ai supplié, j’ai demandé pardon, je lui ai écrit des mails “fleuve”. Rien n’y a fait. J’étais complètement dévastée, pleurant toutes les larmes de mon corps et j’ai tout raconté à ma mère. Au bout de cinq jours de silence, je me suis résolue à avaler des anxiolytiques. Ça s’est terminé à l’hôpital avec un lavage d’estomac en urgence. Prévenu, Mounir est quand même venu me rendre visite. Mais quelque chose avait changé, ce n’était plus le même homme. Il me regardait bizarrement, avec détachement, comme s’il découvrait une Mrs Hyde tapie en moi. Une folle qu’il fallait épargner… Ce regard m’a fait mal. Mais au moins, je l’avais récupéré et c’est ce qui comptait pour moi.
On s’est remis ensemble et je m’efforçais d’être la plus douce possible pour ne pas le contrarier. Mais lui réduisait nos rencontres au strict minimum en recherchant la compagnie des autres pour noyer le poisson. Je souffrais le martyre et devinais que son but était de me ménager pour clore la relation en douceur. Lorsqu’une fille de la promotion m’a informée qu’elle l’avait croisé un samedi, en moto, direction la plage, une fille à califourchon derrière lui, j’ai décidé de me venger. Le week-end suivant, prétextant une course à faire, j’ai emprunté la voiture de ma mère et je me suis planquée derrière un arbre, à proximité du cabanon de la plage.
À seize heures trente tapantes, j’étais fixée sur mon destin. La demoiselle qui m’avait faite cocue riait aux éclats, secouant ses longs cheveux, le bras de Mounir autour de la taille. Sans réfléchir, j’ai pris le bidon d’essence dans le coffre et je me suis engouffrée par la porte de derrière. Occupés à se faire des bisous, ils ne m’ont pas vue asperger le plancher et allumer la flamme du briquet. Soudain, Mounir a hurlé : “Espèce de tarée!”, avant d’essayer d’étouffer le feu naissant à l’aide d’un drap puis du tuyau d’arrosage. Entre temps, le gardien des voisins, ameuté, avait prévenu la famille de Mounir qui a débarqué. Ma mère, complètement affolée, s’est pointée à son tour, se prenant des invectives de toutes parts. Le feu maîtrisé, un grand désordre régnait dans la pièce, tandis que je restais complètement hébétée et immobile. Plus tard, Mounir a conjuré ses parents de ne pas porter plainte. Mais peu m’importait : j’avais tout perdu…