Seuls au monde sur un motu à Bora Bora
De mon petit hublot, j’aperçois l’île sous le vent se profiler au loin, toisée par un volcan et entourée de la plus belle couronne corallienne. Les vagues, le vent et les apports de toutes sortes ont créé autour de Bora Bora une ceinture portant plusieurs îlots plats appelés des “motus”. Les grosses chaînes hôtelières se les sont appropriés afin de les transformer en résidences privées cinq étoiles, où le luxe ostentatoire est réservé aux riches et célèbres. J’ai préféré l’intimité d’un petit écolodge familial où la richesse de l’expérience humaine importe plus que l’épaisseur du portemonnaie.
Chaque matin en ouvrant les yeux, je suis surprise par la beauté presque irréelle du paysage qui se profile en face de mon bungalow, comme si je le découvrais tous les jours pour la première fois. Impossible de se lasser de la blancheur étincelante des rivages de sable, de cette lumière incroyablement brute qui fait resplendir le vert indécent des palmes de cocotiers ou de ces milles teintes de bleu sur le lagon. Sur ce minuscule motu privé, mon cerveau est en grève. Les décisions à prendre sont primitives : lézarder au soleil ou s’étendre sous l’ombre d’un cocotier ? Faire du paddle ou du canoë ? Jouer à la pelote avec Wilson le chat ou nourrir les curieux bébés requins qui s’approchent du rivage ? Lire ou écrire ? La vie est dure sur un motu.
Les nuits sont d’une tranquillité monacale. Il n’y a absolument rien à faire. Pas de télé, pas d’internet, pas de machines, pas de voitures, pas de gens. La tranquillité et le silence absolu, l’obscurité totale, juste le bruit enivrant des vagues, le son chansonnant du vent qui berce les arbres et la lumière étincelante des étoiles. Les petits motus comme celui-ci sont si bas sur l’eau qu’ils sont condamnés à disparaître à jamais si le niveau de l’eau monte de deux mètres seulement. Alors, en espérant que quelques siècles encore me séparent du moment où irrésistiblement, la vitesse de croissance des polypes coralliens ne pourra suivre la vitesse de montée des eaux, je savoure aussi longtemps que possible la beauté vierge de mon mini atoll à moi.
À LA RENCONTRE DES CRÉATURES DU LAGON DE BORA BORA
C’est parti pour une excursion en bateau à la rencontre des étranges créatures qui prolifèrent dans le lagon de Bora à l’abri des prédateurs. Ouba, notre guide, est une étonnante créature en soi, avec un corps de dieu orné de tatouages tribaux et un sourire éclatant. À l’image de ses ancêtres, il vit simplement, au jour le jour, en harmonie avec la nature qui, selon lui, assouvit tous ses besoins. “Moi, je n’ai besoin de rien. Lorsque j’ai faim, je pêche. Lorsque j’ai soif, j’ouvre une noix de coco. Il y a toujours des poissons dans le lagon et des fruits dans les arbres”, dit-il fièrement dans un grand sourire. Un vrai bol d’air frais ce Ouba.
Nous naviguons ainsi à bord de notre bateau pirogue vers les eaux peu profondes du lagon, l’habitat naturel des fameuses raies grises de Bora, qui se laissent docilement caresser par les humains. Mes camarades se jettent immédiatement à l’eau. Moi, je suis un peu plus hésitante à la vue de ces énormes créatures visqueuses qui attaquent Ouba et son seau de sardines. Je finis par me jeter à l’eau à mon tour en couinant. Des requins de récifs à pointes noires, totalement inoffensifs, se joignent au festin. C’est l’hystérie totale mais les raies et les requins restent imperturbables. La navigation se poursuit en direction d’un jardin de corail pour une séance de snorkeling. Les polypes, acropora et “chou-fleur” coralliens abritent dans leurs tentacules un étonnant écosystème de crustacés et de poissons exotiques. L’eau tempérée est tellement transparente et lumineuse qu’on peut observer clairement le fond marin multicolore grouillant de vie. “Qu’ils se les gardent leurs piscines bourrées de chlore !”, s’exclame Ouba.
Un barbecue polynésien nous attend sur un motu. Le four polynésien est une coutume ancestrale où tous les mets sont cuits en même temps, emballés dans des feuilles de bananiers et posés sur des pierres chauffées à blanc, disposées au fond d’un trou dans la terre. L’ensemble est recouvert hermétiquement de végétaux et de sable de corail et cuit ainsi à l’étouffée durant trois ou quatre heures. En attendant la préparation de ce festin, Ouba nous initie à la chasse au poulpe et à la technique de tissage de feuilles de cocotiers et de récupération du lait de coco. On mange les pieds dans l’eau entourés de poissons tropicaux qui récupèrent nos miettes, et bercés par les chants mélodieux de nos hôtes qui, munis de leurs ukulélés, improvisent des paroles hilarantes sur leurs propres versions de chansons françaises populaires. Un traitement de rois.
EXPLORATION DE L’ÎLE DE MOOREA, LE JARDIN D’EDEN
Difficile d’imaginer plus splendide que Bora Bora, et pourtant… Moorea, une île montagneuse en forme de cœur entourée d’une ceinture corallienne, à seulement 30 minutes de ferry de Tahiti, n’a rien à envier à sa grande sœur. 62 km de routes côtières encerclent l’île, longeant des plages paradisiaques et une jungle luxuriante. Les chemins de traverse y mènent vers des trésors cachés, des cascades, des piscines naturelles et des lieux de pique-nique inusités. À défaut d’avoir une route des vins, Moorea possède “la route du Monoï” et “la route de l’Ananas”, ainsi qu’une usine de fruits Rotui dans laquelle ils organisent des visites et des dégustations de jus de fruits frais et de liqueurs à base de fruits tropicaux. Un délice. L’intérieur de l’île est un véritable jardin d’Eden fleuri et parsemé de plantations d’ananas, de bananiers ou de vanille cernées par des flancs de montagnes verticales. Même les complexes hôteliers se fondent dans ce décor idyllique. Bien que la saison haute batte son plein, on dirait que l’île de Moorea absorbe avec beaucoup de grâce les hordes de touristes tout en gardant son charme authentique et son atmosphère sereine.
Mon exploration de Moorea se termine par la visite d’une ferme de culture de perles de Tahiti, plus connues sous le nom de “Perles Noires”, les joyaux des lagons des îles et atolls de la Polynésie française. Autrefois si rares qu’elles étaient consacrées exclusivement à l’apanage des pachas et des rois, elles sont devenues accessibles au commun des mortels, moyennant un menu compte en banque ou une jolie carte de crédit. Les explications du perliculteur sont fascinantes et je peux mieux apprécier les prix exorbitants affichés à la bijouterie après avoir compris le long processus de fabrication. Ces joyaux naturels de nacre sont confectionnés par les milliers d’huîtres perlières du lagon, qui s’expriment à travers des tailles, des formes et une palette infinie de couleurs naturelles, allant des tons pastel au noir anthracite.
L’EFFERVESCENCE DE TAHITI ET LE FESTIVAL HEIVA
De retour à Papeete, le cœur battant de l’île de Tahiti, je découvre une ville trépidante avec un plan d’urbanisation anarchique et des embouteillages surprenants pour une si petite agglomération. Je m’attarde au marché de Papeete, un espace vivant avec ses échoppes d’artisanat local, ses étalages de poissons et crustacés du lagon, ses stands de production locale de fruits et légumes, mais surtout, ses palettes extraordinaires de fleurs tropicales aux couleurs et senteurs différentes méticuleusement arrangées dans des couronnes, des colliers et autres compositions éclatantes. Je fais le plein d’huile de Monoï de Tahiti, un produit sacré vestige de la tradition maohie, vendue ici à toutes les sauces. Le marché de Papeete est, selon moi, une halte incontournable pour faire des emplettes, mais surtout pour échanger avec les Tahitiens, d’une amabilité et d’une douceur débordantes.
Mon séjour à Tahiti coïncide avec le Heiva, une célébration annuelle de la culture polynésienne, avec des démonstrations de sports traditionnels, des expositions artisanales et des spectacles et compétitions de danse, de musique et de chant. La soirée de clôture est un affrontement entre les groupes de danse finalistes de la compétition. On reste bouche-bée face aux déhanchements étourdissants, diaboliques et sensuels des vahinés (les femmes) et les mouvements virils et tout aussi hypnotisants des tannés (les hommes), sur les rythmes effrénés d’instruments de percussions en tout genre. Les danses sont méticuleusement chorégraphiées pour raconter une histoire ou une légende ancestrale qui illustre au mieux la culture de chaque petite île de l’archipel polynésien. Les costumes exotiques mélangeant tissus et matières végétales sont dignes des plus prestigieux défilés de mode. υ
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Par Nadia Stoti