La pédophilie et ses complices

La pédophilie passe actuellement pour le crime le plus abject à l’encontre de l’enfance. Mais, aussi insoutenable que cela puisse paraître, certains parents de victimes peuvent en partager une certaine responsabilité en faisant preuve de négligence, en se refusant au contrôle ou en profitant carrément d’un certain retour…

Il est 10 heures du matin, au tribunal de première instance de Marrakech. Du fond de la salle pleine, il est impossible d’entendre les échanges entre juges et avocats dans la dernière affaire de pédophilie en cours. Mais l’on discerne clairement la requête de la maman de la victime qui demande le report du procès à une date ultérieure aux examens de son fils. Le jeune de 14 ans au regard fuyant acquiesce en silence, en évitant de croiser celui de l’accusé. Une fois le procès reporté, la mère et ses deux enfants s’éclipsent rapidement. Retrouvée dans un bureau plus loin, elle s’oppose bruyamment à toute tentative d’interview et explose de rage lorsqu’on évoque l’intention d’une O.N.G. française de poursuivre les familles des victimes pour complicité d’exploitation sexuelle, voire de proxénétisme. Derrière elle, un homme se présente comme le père des deux gamins. Contre la volonté de sa femme, il explique qu’il n’avait plus aucun contact avec eux avant les faits et se montre assez dubitatif quant aux affirmations de son épouse. L’affaire est tout à fait digne d’intérêt et le devient davantage lorsque la mère des victimes serre fort contre elle la nièce de l’accusé…

Au jour du procès, nous ne savons rien encore de l’O.N.G. française en question, ni si l’implication de certains parents, dans cette affaire en particulier, est réelle. Mais inutile de se voiler la face, au vu de l’expansion du phénomène. Bien que cela porte atteinte à la sacralité des parents, ces derniers ne sont pas toujours les victimes ignorantes de ce qui advient de leur progéniture. De l’absentéisme à la négligence, voire même au proxénétisme, tous les cas de figure de la complicité existent, valant au Maroc une réputation honteuse et de stridents cris d’alarme de la part d’institutions internationales.

Vous avez dit négligence ?

Le dernier rapport de l’ONU sur l’exploitation sexuelle au Maroc est accablant. Il met en évidence non seulement l’ampleur du phénomène, mais exprime de graves inquiétudes quant à sa tendance croissante. L’étude est d’autant plus alarmante qu’elle est accompagnée d’un manque de statistiques. Les institutions publiques ne disposant pas de données exactes chiffrées pour évaluer l’ampleur du fléau, seules sont pris en compte celles de certaines O.N.G., sachant que “le poids du tabou, la peur et l’absence d’un climat de confiance s’opposent à la confidence des victimes. De ce fait, le phénomène est largement sous-évalué”, commente Najat Maalla M’jid, fondatrice de l’association “Bayti”, récemment nommée rapporteuse spéciale auprès des Nations unies sur la vente d’enfants, leur prostitution et la pornographie les impliquant. 

Les résultats de cette étude, comme de celles qui l’ont précédée, suscitent plusieurs interrogations. Car l’on est amené à croire que, grâce à la mobilisation de la société civile et aux multiples campagnes de sensibilisation menées sur tous les fronts médiatiques par des associations dédiées à la lutte contre la pédophilie, le phénomène tendrait à diminuer drastiquement ou du moins, à toucher ses limites. Mais non. La courbe haussière prouve qu’il n’est pas suffisant de mettre en garde les parents pour protéger l’enfant. C’est que “malheureusement, nous ne pouvons pas obliger les parents à veiller sur leurs enfants. Beaucoup de ceux qu’on rencontre sont complètement démissionnaires et ne se posent pas trop de questions sur la manière dont survit leur progéniture. Mais nous osons rarement les mettre devant leurs responsabilités de peur d’envenimer la situation du mineur ou de les faire fuir”, lâche amèrement Amina, une jeune associative habituée à la sensibilisation dans les quartiers périphériques de Marrakech, rencontrée au tribunal. La démission de la famille, ou du moins l’insuffisance de soins apportés aux mineurs sont en effet perçues comme l’un des principaux facteurs de développement du problème. Un grand nombre de cas fait état de dislocation familiale, de pauvreté, de promiscuité et de maltraitance parentale. 

Mais le phénomène de pédophilie ne se limite pas à une classe sociale. De plus, 90% des abus se passent dans le cadre de la famille par un parent ou un proche. “Là aussi, un certain laisser-aller fait qu’on permet l’accès aux enfants aux parents et amis plus ou moins proches. S’il ne s’agit pas à directement de négligence, on peut parler de laxisme culturel, ainsi que de manque de communication entre parents et enfants qui favorise l’intrusion d’un tiers”, continue Amina.

Mais est-ce suffisant pour accabler les parents ? Pour Najat Maalla M’jid, la responsabilité pénale est reconnue à partir du moment où l’abus est connu des parents ou commis par eux : “On peut parler de responsabilité pénale au premier degré, clairement établie, définie et donc, combattue par la loi lorsqu’il s’agit d’inceste. Ou alors quand les parents sont au courant et ne font rien pour protéger l’enfant, ce qui les rend en effet un peu complices”. Quant aux autres cas de figure, elle parle d’inaptitude à protéger les plus jeunes, sans aller jusqu’à les considérer comme complices.

De la complicité au proxénétisme

Dans les cas avérés de proxénétisme impliquant l’un ou les deux parents, l’action pénale engagée sanctionne l’incitation à la débauche et la corruption de la jeunesse. L’article 497 du Code pénal énonce : “Quiconque incite, favorise ou facilite la débauche ou la prostitution des mineurs de moins de dix-huit ans est puni de l’emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende de vingt mille à deux cent mille dirhams”. Et ce, sans distinction entre parents ou tout autre responsable. “Que ce soit dans mon exercice personnel ou au tribunal, je n’ai jamais croisé de mineur victime de prostitution dénonçant sa famille. Probablement par peur, mais surtout par amour. Aucun enfant ne voudrait nuire à ses parents”, commente maître Zahani, avocat de la défense dans le procès de pédophilie. 

Inutile, donc, de chercher des chiffres précis ou des témoignages francs, tant les tentatives se heurtent à une chape de plomb. Reste alors à se référer à l’une des rares études menées sur la question et qui, pour les spécialistes, s’avère très instructive. “L’exploitation sexuelle de l’enfant – Cas de Marrakech”, réalisée en 2003 par des chercheurs marocains pour l’UNICEF, a réussi à arracher à quelques victimes des aveux impliquant leurs parents et dévoilant, sinon l’incitation à la débauche, une indulgence encourageante. Tel est le cas de ce “garçon de 13 ans qui raconte que quand il dit à sa mère qu’un touriste lui a donné 200 dirhams, elle lui en laisse 10, le bénit puis l’envoie se laver et se coucher”. L’étude dévoile que “les familles des filles sont plus ouvertement au courant de leurs activités”

Autre contexte, plus connu et mieux toléré : le mariage des mineurs. Bien que des O.N.G., telles que la Fondation Ytto, se battent sans relâche pour faire cesser le drame, le phénomène ne s’amoindrit pas. Le dernier rapport des Nations unies parle de 35.152 cas de contrat de mariage de mineur en 2013, contre 18.341 en 2004, soit une augmentation de 92 % malgré les efforts de sensibilisation, l’acharnement médiatique et les volontés politiques. Une résistance qui puise ses racines dans la tradition patriarcale et qui trouve sa justification dans la pauvreté et le climat d’insécurité dans lequel vivent les jeunes filles. En réalité, nombre d’entre elles sont mariées plusieurs fois pour des courtes durées, moyennant une minable dot à chaque fois. Le mariage sans acte, grâce à la simple lecture de la Fatiha, fait que le phénomène échappe au contrôle de la loi, promettant de se répandre à souhait. Les autorités, elles, sont souvent démissionnaires, refusant d’intervenir dans ce qu’elles considèrent comme des traditions locales.

Sensibiliser, mais pas que… 

“Sensibiliser les familles à l’exploitation sexuelle des mineurs en mettant à leur disposition les informations nécessaires sur sa nature et ses effets dévastateurs. Leur faire prendre conscience du fait que l’exploitation sexuelle des enfants sous toutes ses formes constitue une infraction qui fait l’objet de poursuites pénales”, avance l’étude de l’UNICEF. 

Mais s’il ne faut jamais cesser de sensibiliser l’opinion publique quant aux dangers de prédation sexuelle encourus par les enfants, il convient également d’envisager de protéger ces derniers au cas où les parents ne se montrent pas à la hauteur. “L’état doit être en mesure de palier l’incapacité des parents à prendre soin convenablement de leurs enfants et à les protéger contre les violences sexuelles”, affirme Najat M’jid. En effet, l’article 34 de la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant énonce que “les États doivent s’engager à protéger l’enfant contre toutes les formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle. À cette fin, les États prennent en particulier toutes les mesures appropriées sur les plans national, bilatéral et multilatéral pour empêcher : que des enfants ne soient incités ou contraints à se livrer à une activité sexuelle illégale, que des enfants ne soient exploités à des fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles illégales, et que des enfants ne soient exploités aux fins de la production de spectacles ou de matériel de caractère pornographique”. Cependant, “au Maroc, se sont plutôt les associations qui font ce travail avec les moyens du bord, malheureusement”, ajoute la fondatrice de “Bayti”.

Mais l’État peut agir sur des institutions telles que les écoles, en mettant en place des mécanismes de contrôle des absences et une bonne communication avec les parents. Elles peuvent “intégrer des conseillers pédagogiques et des assistantes sociales dans la lutte contre l’exploitation sexuelle, plus particulièrement dans les établissements scolaires situés dans les zones défavorisées, et dynamiser et renforcer le rôle des associations de parents d’élèves dans les écoles, les collèges et les lycées pour lutter contre l’exploitation sexuelle des enfants”, recommande l’étude de l’UNICEF.

Et comme on n’arrête pas le progrès, de nouvelles formes de prédation sexuelle voient le jour en ligne, sur Internet ou par téléphone, ce qui mériterait de fournir davantage d’efforts d’information et d’éducation, ainsi que d’interpeler “la responsabilité sociétale des fournisseurs de telecom qui doivent mettre en place des dispositifs d’alerte des parents et des autorités en cas de danger pressenti”, ajoute Najat M’jid.

Qu’en est-il des sanctions ? “Une réelle application des lois, telles qu’énoncées dans le Code pénal et l’investigation minutieuse pour établir les responsabilités des parents pourraient limiter l’expansion de ce fléau. Il suffit qu’un exemple soit donné pour que cesse la banalisation de ce crime”, chuchote Amina à la sortie du tribunal.

Quant au tourisme sexuel, si le Maroc est désigné comme l’une de ses nombreuses destinations, ceci n’est pas une fatalité pour Najat M’jid. Il n’y a qu’à mieux ficeler l’arsenal juridique, car “les prédateurs sexuels changent de destination à partir du moment où un pays donné resserre ses lois”, ou les applique, cela s’entend.

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