Joumana Haddad L’amazone du monde arabe

Après avoir "tué Shéhérazade" dans son dernier livre, Joumana Haddad, poétesse libanaise des temps modernes, revient en force avec un nouveau roman : Superman is an arab". En exclusivité pour FDM, elle revient sur les temps forts de sa vie, son actualité, et partage sa vision des femmes et de la féminité.

FDM : Vous êtes à l’origine du magazine « Jasad», premier support érotique arabe. Comment cette idée vous est-elle venue ?
Joumana Haddad : J’ai commencé à envisager de monter ma propre entreprise d’édition en 2008. En tant  qu’écrivain et journaliste, il m’est vite apparu que j’aimerais commencer par la publication d’un magazine culturel. L’axe du corps n’a pas mis longtemps à s’imposer, pour deux raisons principales. D’abord, il est  l’univers au sein duquel mon langage poétique a choisi de s’exprimer. C’est à la fois ma passion et mon  outil. Ensuite, je sentais une frustration croissante de ce que notre superbe langue arabe avait été injustement privée de tout un pan de ses potentiels, de son lexique et de son imaginaire. La plupart des  thèmes relatifs au corps étaient devenustabous au cours de l’histoire récente, alors que notre héritage littéraire antique regorge d’oeuvres à faire rougir le plus obscène des auteurs occidentaux. Situation
pour le moins absurde…

Malgré les critiques et les menaces de mort, vous persistez dans votre combat pour la défense de vos idéaux. Quel est votre moteur ?

Certaines réactions ont été assez virulentes, il est vrai, mais le chantage et les menaces ne m’intimident pas. Ce n’est pas une affaire de courage, mais de conviction et d’obstination. Mon moteur, c’est la passion.

Etes-vous fatiguée de nager à contre-courant ? Vous sentez-vous seule ?

Je me sens isolée parfois, mais pas seule. L’isolement a toujours voulu dire m’écouter, entendre mes voix intérieures, celles que je veux ou ne veux pas entendre à la fois, découvrir toute cette multitude qui  m’habite. Je dirais même que je suis surpeuplée, et j’en ai assez par moments. La création est donc pour moi un processus de découverte du “moi”. De(s) moi(s). Découverte qui n’aboutit pas, qui n’aboutira  jamais car je suis en constante transformation. Arriveraije un jour à me “capturer” ? Car l’univers est à l’intérieur, c’est lui qui m’habite, pas le contraire. Ce n’est pas du narcissisme, bien que je sois narcissique  et que je n’aie pas peur du mot. Ce n’est pas non plus de l’égoïsme, bien que je sois égoïste et que jen’aie pas peur du mot.

Vous êtes journaliste, poétesse, écrivain, enseignante, traductrice… Quel est le moyen d’expression qui vous convient le mieux ?

Je suis surtout poète. C’est la seule épithète qui me définit. Mais j’explore mon expression, mes voix dans d’autres genres comme l’essai, le journalisme ou la traduction. Cela fait partie de mon voyage intérieur.

Recevez-vous un quelconque soutien de la part des femmes arabes qui puisse vous faire penser que la plupart partage vos idées ?

Continuellement. Je reçois chaque jour des mails encourageants qui me font parfois monter les larmes aux yeux. C’est là où je puise ma force, en sentant que ma voix venge ceux ou celles qui n’ont que le silence. Je suis fermement convaincue que les femmes de tous les pays arabes peuvent accéder à une forme de liberté, même minuscule. La liberté commence dans la tête, dans la perspective qu’on a de soi. Croire en nous nous confère une force capable de transformer plein de choses. Ce n’est pas une affirmation idéaliste ni rhétorique. Il est grand temps de prendre notre destin en main. Pas besoin d’un “big bang” pour ceci :    le monde change aussi (et mieux) à petit feu.

Si vous deviez renaître et qu’on vous donnait la possibilité de choisir votre sexe, votre culture, votre religion… Qui seriez-vous ?

Je renaîtrais femme. Le reste ne m’intéresse pas. Je sais que j’aurais à nouveau la force de me libérer des catégories culturelles, linguistiques, religieuses…

On parle beaucoup du rôle joué par la femme dans le printemps arabe… Vous y croyez ?

Pour ce que j’en vois, c’est un autre hiver, ou plutôt un printemps “cosmétique”. Il faut dire que je ne suis pas particulièrement optimiste. Franchement, je ne sais pas comment une femme peut être une femme dans notre partie du monde sans être révoltée par les insultes et les sévices dont elle est victime ; que ceux-ci visent à l’éliminer ou à l’exploiter. Je ne peux m’empêcher de me demander : “Quand la “bombe” des femmes arabes éclatera-t-elle ?”. Je veux parler de la bombe de leurs capacités, de leurs ambitions,
de leur liberté, de leur force et de leur confiance en elles ; la bombe de leur colère contre la condition qu’on leur inflige, qu’elles acceptent souvent sans murmurer. Quand admettront-elles que leurs droits ne
sont pas un luxe mais d’une importance majeure ? Quand, surtout, cesseront-elles de contribuer à renforcer le système patriarcal et ses valeurs d’un autre temps ?

C’est quoi le problème avec les hommes arabes ? L’homme est-il l’ennemi ?

Pas du tout. Mon oeuvre est un défi du système patriarcal, certes. Mais pas visant à une abolition de  l’homme, plutôt à l’acceptation et la reconnaissance du masculin comme élément intrinsèque de ma féminité. Pour moi, l’égalité avec l’homme est un point de départ, un acquis et non un objet de lutte. Et  surtout pas une conquête qu’il faut réclamer et atteindre. Mais l’homme n’est pas pour autant un rival, un adversaire. Il peut même parfois se révéler meilleur complice de la femme que la femme elle-même, qui  est malheureusement sa propre pire ennemie dans beaucoup de cas.

Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance en pleine guerre civile ?

Beaucoup sont ceux qui adorent leur enfance et la chérissent. La mienne me répugne, hormis les lectures  inspirantes qui l’ont rendue supportable et enrichie. Mais il faut dire que des conflits que j’ai connus,   directement ou comme témoin, aucun n’a réussi à me détruire. Au contraire : nous devons aux guerres de
changer beaucoup d’entre nous, les survivants, en féroces combattants, farouchement résolus à vivre,  s’épanouir, se réjouir, apprendre et progresser.

Vous dites que la littérature a sauvé votre vie. Vous croyez encore à cette idée ?

Sans doute. Lire me faisait respirer, vivre, voyager, échapper à une réalité brutale. Lire me permettait  d’étouffer les explosions de la guerre du Liban, d’ignorer les cris de mes parents, leur quotidien de querelles et de souffrances. Je lisais pour assouvir ma faim, conquérir ma liberté, gagner des forces,caresser mon âme, la gifler. Je lisais pour apprendre, pour oublier, me rappeler, comprendre, espérer, planifier, croire, aimer.

Qu’est-ce qui vous irrite le plus aujourd’hui en matière de droits des femmes ?

Les méfaits de toutes les religions monothéistes, sans exception. Le christianisme est aussi condescendant et patriarcal à l’égard de la femme que l’islam, bien que de façon différente, moins “visible”. Et j’attends impatiemment le moment où la femme arabe, quelle que soit sa religion, s’indignerades humiliations insupportables qu’on lui impose. Le Liban, par exemple, al’un des taux les  plus faibles de participation des femmes à la vie politique, et un des plus élevés concernant l’avilissement de l’image des femmes. Il n’y a pas de publicité pour un réfrigérateur sans une femme à moitié nue  couchée dessus, censée vous faire succomber à la tentation. Inutile de dire que vous ne verrez jamais un  homme dénudé vous inciter à acheter une nouvelle banquette ! Le pire de l’histoire, c’est que des femmes  prétendent avoir “choisi” d’être traitées avec cette condescendance. Mais ce qu’elles appellent   “choix” n’est qu’un déni ou un lavage de cerveau. Je ne trouve aucune différence entre une femme qui  porte la burqa, et une autre qui accepte d’être traitée comme un morceau de viande derrière une vitrine. Il s’agit des deux facettes de la même oppression. La dignité de la femme est ailleurs.

Certains jugent votre écriture comme une pure provocation. Pourquoi ?

Créer, ça a toujours été pour moi synonyme de défier : me défier, soyons clairs. Je suis mon premier  adversaire. Défier les autres ne m’intéresse pas. Et si je provoque les autres par moments, ce n’est qu’un “dégât collatéral”. Un effet secondaire. Jamais un but en lui-même.

Pourquoi avez-vous décidé de “tuer Shéhérazade” dans votre livre précédent ?

Je l’ai tuée pour que survive une autre femme : celle qui dit “non” quand il le faut, et “oui” quand elle en est convaincue ; une femme qui ne courbe pas l’échine ; qui n’a pas besoin, pour “réussir dans la vie”, de satisfaire l’homme avec une belle histoire, un bon plat, une paire de seins siliconés ou une partie de  jambes en l’air. Une femme qui a tout simplement besoin de se satisfaire elle-même et ses propres rêves, avant tout et surtout.

Parlez-nous de votre dernier livre en date, “Superman is an arab”…

Il vient de sortir en anglais, et il sortira début 2013 en français et en italien. Il constitue en quelque sorte le deuxième volet de “J’ai tué Shéhérazade”, et j’y explore le machisme et le besoin de réinventer la  masculinité associée à tort à des valeurs négatives.

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