Interview : Kamal Hachkar explore l’amour chez les Amazighs

Dans "Tassanou Tayrinou", Kamal Hachkar explore le sentiment amoureux chez les Amazighs du Haut Atlas. En partant sur les traces d’une poétesse oubliée, Mririda N’Aït Attik, il signe un road movie musical et poétique qui rencontre un joli succès public, à voir sur Youtube.

Vous êtes parti sur les traces de Mririda N’Aït Attik. Qui est-elle ?
Elle est une sorte de Frida Kahlo amazighe, une poétesse qui vécut dans les années 1920 dans la région de Megdalz. C’est un instituteur français berbérisant, René Euloge, qui l’a découverte alors qu’elle chantait dans un souk d’Azilal. Il fut frappé par la liberté incroyable des vers qu’elle déclamait. Cette femme analphabète parlait du désir, de l’amour impossible, de la sexualité mais aussi de l’amour qu’elle portait à ses montagnes. Il consigna ses poèmes dans un recueil, « Les Chants De La Tassaout ». Il perdit sa trace après la deuxième guerre mondiale.

Comment l’avez-vous découverte ?
J’étais en pleine réflexion sur ce film que 2M m’avait commandé sur l’amour chez les Amazighs. Des amis m’avaient parlé d’elle. Puis je suis tombé par hasard sur l‘ouvrage de René Euloge. Ses textes ont réveillé en moi des souvenirs des « ahidous », ces joutes oratoires auxquelles j’assistais dans les mariages quand je venais en vacances à Tinghir. Quand on me les traduisait, j’étais frappé par la façon dont l’amour, le désir, la drague se disaient sans honte. C’est très paradoxal dans une société conservatrice où tout est « hchouma » de trouver cet espace ritualisé où l’indicible s’exprime. À partir de Mririda, j’ai construit un road movie musical et poétique autour du répertoire chanté traditionnel sur l’amour en terre amazighe.

Sont-ils des chants de femmes ?
Dans le film, mes fils conducteurs sont deux femmes, Mririda N’Aït Attik et la chanteuse Hadda Ouakki. Je voulais aussi mettre à l’honneur des femmes qui chantent l’amour pour montrer que le désir n’est pas l’apanage des hommes. Il faut le rappeler à une certaine frange de la population qui veut contrôler le corps des femmes. Mririda parlait de tous ces thèmes. Elle avait même des amants. Tout comme les hommes chantent l’amour blessé de façon très romantique ou comme ce jeune d’Imlichil qui décrit cette passion qui l’habite pour sa Adda. L’amour est devenu tabou parce qu’on en fait une utilisation politique. Face aux courants obscurantistes, notre culture est notre meilleure arme.

Les jeunes connaissent-ils cette poétesse et ce genre musical ?
Les femmes âgées que l’on voit à la fin du film connaissent certains de ses poèmes. Mais les jeunes ne la connaissent pas. De toute façon, la jeune génération est devenue inculte. Elle ne connaît pas son histoire. Qui aujourd’hui connaît Mohamed Choukri, Edmond Amran El Maleh, Driss Chraïbi ?

Certaines métaphores désignent très clairement l’amour physique. Ces chants choquent-ils les plus jeunes aujourd’hui ou sont-ils “désacralisés” parce que chantés ?
Ils ne choquent pas parce qu’ils font partie du patrimoine oral et immatériel amazigh. De plus, l’amour ou le désir sont décrits de façon imagée et métaphorique. Mais la teneur de ces poèmes pourrait choquer un jour si le conservatisme continue de coloniser les esprits. Les Marocains adorent chanter et faire la fête. Je m’étonne toujours quand les conservateurs nous accusent d’importer des valeurs occidentales au Maroc. Les Amazighs ont toujours clairement séparé le politique du religieux. Ils ont été laïcs bien avant la loi française de 1905. Ce sont eux, les conservateurs, qui importent des valeurs venues d’Orient qui nous sont étrangères. Nous devons rester vigilants et intraitables.

Le rapport des anciens à la verbalisation de l’amour est-il plus libre ?
Dans le film, les anciennes s’expriment après avoir chanté. C’est peut-être aussi parce qu’on ne leur a jamais donné la parole. L’islam a dénaturé les rapports entre hommes et femmes. On le voit quand cette jeune fille parle du « takerfi », ce rituel de séduction où femmes et hommes se donnaient rendez-vous pour se parler. Le rituel des « ahidous » est identique. Dans un espace temps déterminé, tu peux dire ce que tu as sur le cœur en te cachant derrière les chants et la poésie. Le chant devient le moyen d’exprimer des désirs inavouables dans la société traditionnelle. Mais aujourd’hui, si tu n’as pas pour objectif le mariage, tu ne peux plus fréquenter quelqu’un de l’autre sexe.

N’avons-nous pas tendance à enjoliver le passé ? Autrement dit, les anciens à leur époque n’étaient-ils pas tout aussi pudiques que les jeunes d’aujourd’hui ?
Peut-être. La société  des années 20 était conservatrice. D’ailleurs, Mririda a dû quitter son village en raison de son mode de vie trop libre. On a dit qu’elle était une prostituée. Mais disons qu’aujourd’hui, la chape de plomb qui pèse sur nous est plus lourde. On le voit au voilement des femmes dans ma région. Avant, à Tinghir, personne ne portait ce voile à l’orientale. C’est l’effet de la mondialisation, des chaînes satellitaires. Jadis, les conservateurs ne se mêlaient pas de tout alors qu’aujourd’hui, on juge systématiquement.

Comment sauver ce patrimoine ?
Par la culture et l’école, qui malheureusement ne joue pas son rôle. L’école est le rare espace où l’on peut se forger une culture commune et prendre conscience de la richesse de notre patrimoine. L’histoire du Maroc ne commence pas avec les Idrissides à Fès. Il y a eu un Maroc romain, wisigoth, des écrivains, des philosophes. Il faut entendre cette diversité. Cet apprentissage ne peut passer que par l’école. Les populations sont très demandeuses. Je le vois quand j’assiste à des projections dans les prisons ou dans les régions reculées. Je reste optimiste. Il y a des poches de résistance et des acteurs culturels dynamiques. Mais il y a urgence absolue.

Vous dîtes la voix off du film en amazigh. Est-ce un acte militant ?
Ce sont les producteurs et 2M qui m’ont demandé de lire le texte en amazigh, qui n’est pas ma langue maternelle.  Mes parents m’ont transmis cette langue et je l’ai pratiquée tous les étés en vacances à Tinghir. J’ai tellement souffert pour apprendre ce texte et le dire correctement ! Mais c’est une très belle expérience. Je suis heureux que l’amazigh, trop souvent cantonné aux chaînes communautaires, ait été entendu en prime time sur 2M.

Aujourd’hui, des mouvements militent pour faire reconnaître la culture amazighe. Vous vous sentez participer de cette lutte ?
Une partie de la jeunesse se bat pour essayer de maintenir et de faire reconnaître cette culture et cette langue. Dans le film, je donne la parole aux jeunes de l’association Anaruz de Demnate qui militent pour l’égalité et prônent des valeurs d’ouverture, d’altérité, de progrès. De nos jours, dans les universités marocaines, ce sont les mouvements amazighs qui luttent le plus activement contre les islamistes. À mon niveau, j’essaie également de “défolkloriser” l’amazighité qui ne se résume pas à des danses pour touristes. D’autres le font aussi très bien comme le directeur artistique du festival Timitar. La musique amazighe moderne est également très vivante mais elle n’a pas la place qu’elle mérite dans les festivals. Un groupe comme Tawarguit (nos rêves) fait de la poésie et raconte le quotidien des jeunes des régions reculées. Comme eux, je vais à la rencontre des gens à qui on ne donne pas la parole.

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