Une multitude de facteurs influencent les rapports parents/enfants: la place des rejetons dans la fratrie, la situation affective et professionnelle des parents au moment de la naissance des enfants. Et, surtout le sexe de ces derniers. Le psychiatre français Boris Cyrulink a initié, il y a de cela des années, une expérience qui en dit long sur le sujet et qui est devenue un classique du genre. Il avait présenté à ses étudiants le même bébé, mais la première fois habillé en rose, et la seconde fois habillé en bleu. Les réactions des étudiants ont été pour le moins frappantes, selon qu’ils croyaient être en présence d’une fille ou d’un garçon. Le bébé rose était manié avec précaution, on lui parlait doucement – que les étudiants soient fichés XX ou XY. Tous ont répété au bout d’chou rose qu’ils la trouvaient mignonne. Le bébé bleu a été tenu, certes, avec précaution, mais une précaution teintée de vigueur. Il était qualifié de costaud. On lui prédit un avenir d’entrepreneur plein de ressources. L’histoire ne relate pas la réaction des étudiants une fois dévoilée la vérité ( le bébé bleu et/ou rose n’en faisant qu’un !) Sommes-nous tous formatés quant à la façon dont il serait bon d’accueillir le féminin ou le masculin ? Les spécialistes expliquent, à qui veut bien les entendre, qu’il s’agit là d’attitudes inconscientes. Nadia, la trentaine épanouie, ne partage pas cet avis. D’après elle, la manière dont les adultes accueillent et traitent les enfants dépend du sexe et ce de manière parfaitement délibérée. Elle se souvient : “Je suis arrivée après 3 garçons exauçant ainsi le souhait paternel. J’ai été quasiment interdite de pantalon et inscrite de force à des cours de danse. A l’adolescence, lasse de devoir ressembler à l’héroïne rose et bouclée de Sissi impératrice, je me suis rebellée. Cheveux courts, arts martiaux, j’arrivais même à battre mes frangins sur leur propre terrain ! Au grand désarroi de mon papa” Etait-ce un moyen pour Nadia de se dégager ostensiblement de l’emprise paternelle ? On l’a voulue gracieuse et discrète. Elle est devenue battante et énergique. Par réaction ou simple façon de devenir ellemême, hors des desiderata paternels ?? Existe-il un tempérament de fille et un tempérament de garçon ? Une façon d’être fille et une autre d’être garçon ? Les parents, de par leur éducation, mettentils leurs chérubins dans des cases bien étiquetées ? Certes, les professionnels de la petite enfance sont quasi catégoriques: en gros, les garçons jouent à des jeux de garçon – train, camion, ballon, etc. – et les filles à des jeux de fille – poupée, peluche, déguisements, – et cela, très précocement ; les différences apparaissant dès 18 mois. Mais quand on creuse un tantinet, ces mêmes professionnels reconnaissent que les interférences des deux groupes sont importantes jusqu’à la fin de la maternelle. Certaines assistantes de maternelle vont avancer que très fréquemment, elles ont affaire à des exceptions : certains garçons se révèlent tendres et rêveurs, certaines filles turbulentes, entreprenantes, voire bagarreuses. S’agit-il seulement d’exceptions ? Chacun de nous possède dans sa nature une part de féminin et de masculin, assurent les psy. Et les parents devraient aider leur enfant à développer une source de richesse complémentaire. N’est-ce pas curieux qu’ils s’inquiètent pour leur petit garçon “efféminé” et bien moins pour leur fille “garçon manqué” ? Un indice de la prédominance des valeurs masculines dans notre société… Adil, un papa très féministe, témoigne : “Je ne crois pas aux marqueurs types, féminin, masculin, régissant la façon d’être, de vivre au quotidien. Dans ma pratique professionnelle, j’ai rencontré des femmes fonceuses, battantes et des hommes mous, hésitants. La réussite ne se décline plus en fonction du taux de testostérone. L’agressivité des petits garçons (innée en partie, acquise en partie) doit être apprivoisée, comme celle de tous les humains, par la médiation : la discussion est plus efficace que les coups.” Karim abonde dans le même sens, même s’il se demande comment pondérer la question “marqueurs” : “Quand mon fils est né, je n’avais aucune envie qu’il devienne un rouleur de mécaniques. J’ai été aussi tendre avec lui qu’avec sa soeur (mon père n’a jamais été tendre avec moi). Et il a eu tous les jeux d’emboîtage, de construction, de transformers qu’avait sa soeur, son aînée de 3 ans, mais pas de revolver, pas d’Action Man. Mon épouse et moi lui inculquions, comme à sa soeur, des notions de non-violence, nous leur apprenions à régler les conflits par la parole. Qu’elle a été ma surprise, lorsqu’un jour, il a pris un bâton et l’a dirigé vers moi. “Pan ! T’es mort” Cela m’a ébranlé, je dois l’avouer. Et depuis, il est devenu le garçon type. Il s’intéresse aux voitures, aux circuits, il aime la bagarre via les jeux vidéo ou avec les copains. Quant à sa soeur, force est de constater qu’elle a toujours été la petite fille romantique type, rêvant d’être une princesse, se déguisant en fée et elle a toujours adoré jouer avec sa Barbie, introduite à la maison contre notre gré ! En somme, malgré nos efforts, nos enfants ont très tôt montré à travers leurs jeux et leurs jouets les côtés les plus caricaturaux de leur sexe, ces fameux marqueurs ! Maintenant, ce que nous voudrions, c’est que cela ne soit pas un handicap, que cela ne les dirige pas plus tard vers des choix de vie stéréotypés…”
Les coqs et les coquettes
Nezha, jeune maman, raconte : “A 3 ans et demi, lorsque nous partions chez des amis, ma fille aînée me demandait toujours de la “faire jolie”, et si j’oubliais de la recoiffer, elle allait chercher la brosse pour me rappeler à mes devoirs ! Sans doute était-elle d’une nature très coquette au départ. Je devais l’influencer par mon comportement étant moi-même toujours impeccablement maquillée, habillée et coiffée”. “Mohja, six ans, a tendance à vouloir être comme ses frères, à jouer un peu le garçon manqué en s’habillant comme eux, raconte sa maman. Il faut reconnaître que je ne suis pas du genre à passer trois quarts d’heure devant ma glace chaque matin, mais comme elle est ma seule fille, j’aimerais, en quelque sorte, qu’elle soit coquette à ma place. Plus elle grandit, plus elle impose ses goûts… et en fin de compte, si elle se sent mieux en caleçon et en baskets, ce n’est pas un drame! Son attitude est pourtant différente de celle de ses frères. Elle s’amuse de temps en temps à se mettre du fard à joues, du rouge à lèvres et choisit ses fringues avec soin, alors que ses frères enfilent ce qui leur tombe sous la main sans se préoccuper de savoir s’il y a une tache ou un trou et si le jogging est assorti au tee-shirt !” La coquetterie reste l’apanage des filles, affirment les mamans. Touria, maman de deux filles et d’un garçon, argumente : “Très jeune, la petite fille a des gestes que le petit garçon n’a pas : elle passe la main dans ses cheveux, croise les jambes lorsqu’elle s’assoit, tire sur sa jupe !” Pas moyen de démêler ce qui, dans ce comportement, relève de l’inné ou de l’acquis !? Dès le plus jeune âge, par imitation de sa mère et des femmes de l’entourage, la petite fille arpente les allées de la coquetterie. Les garçons, coquets, sont plutôt dissuadés de donner libre cours à ce penchant. Ils sont encouragés à jouer les coqs ; à gouverner la basse-cour en donnant de la voix, et pourquoi pas du muscle parfois, les adultes sauront se montrer indulgents! Difficile de résister à pareille attitude et, le plus souvent, les parents, père et mère, fondent. Faut-il pour autant encourager ces comportements ? Selon son histoire personnelle, chaque parent peut avoir une réaction différente. Telle mère qui a souffert dans sa jeunesse d’avoir été élevée comme un garçon manqué aura peut-être le désir inconscient de rattraper ce qu’elle n’a pas eu et poussera sa fille dans la voie inverse. Telle autre, peu coquette, peut se montrer irritée par trop de “minauderies” tandis que les pères sont le plus souvent émus et fiers de cette petite femme qu’ils ont faite, même si, à l’adolescence, ils savent parfaitement mettre des limites à ce jeu de séduction par lequel la fille cherche à tester sa féminité. Avec les garçons, la question de la coquetterie ne se pose pas. On n’entendra jamais une mère se désoler parce que son fils n’est pas assez coquet. Au contraire ! Tout au plus l’invitera-t-elle à faire davantage attention à la propreté de ses vêtements et à daigner se coiffer. Tandis qu’il n’est pas rare d’entendre la même mère se lamenter : “Ma fille n’est pas assez coquette, je la voudrais plus féminine.”
Sois belle ma fille, mais assume-toi !
Qu’en est-il de la séduction, parente proche de la coquetterie ? Tout se passe comme si, malgré l’évolution des moeurs et des mentalités, la séduction était encore un atout – et une arme ! – typiquement féminin. La croyance populaire voudrait que le garçon parvienne toujours à se débrouiller, en jouant de ses compétences et d’un charme qu’on n’arrive pas toujours à bien définir. Scories du fameux “rajel ma kayt3iib” ?? La fille, de son côté, aura plus de chance si elle est jolie et soignée que si elle est mal fagotée et négligée. On sait bien – des études le montrent – qu’au moment de l’embauche, les belles tirent mieux leur épingle du jeu que les moins jolies. Il est également légitime de rappeler que ce sont encore, le plus souvent, des hommes qui tiennent les rênes du pouvoir et qu’ils sont plutôt sensibles à un minois bénit par la déesse de la beauté et plutôt rebutés par une candidate au physique ingrat. Cette discrimination de faciès est une réalité contre laquelle on a bien du mal à lutter, et même inconsciemment, nous, parents, sommes influencés par ces schémas tenaces. Il n’est plus question de dire aux filles : “Sois belle et tais-toi”, mais nombre de parents optent pour : “Quoi qu’il arrive, quoi que tu fasses, sois aussi belle et féminine que possible.” On hésite à renoncer à cette arme. Viendra-t-il un jour où les femmes – comme les hommes – ne seront plus reconnues que pour leurs seules compétences sans qu’on ne prête plus attention à leur physique ? Certaines mamans s’empressent de rajouter : est-ce souhaitable ? Aujourd’hui, les femmes travaillent presque toutes et les études de nos filles sont donc, à nos yeux de parents, aussi importantes que celles de nos fils. Et elles y réussissent du reste plutôt mieux qu’eux, surtout dans le primaire. Nous, les mères, leur demandons moins de nous aider dans les tâches ménagères, et nous demandons un peu plus à nos fils, soucieuses de réparer les injustices dont nous avons peut-être souffert. Pourtant, les parcours professionnels des filles restent souvent moins prestigieux que ceux des garçons. Pas mal de secteurs professionnels demeurent encore quasiment masculins… En ces périodes de difficultés d’insertion, faut-il que nos filles se cantonnent aux secteurs qui leur sont traditionnellement réservés ? Auraient-elles plus de chances en s’aventurant bien armées sur des terrains plus “masculins” ? Et faisons-nous tout ce qu’il faut pour aider nos enfants à choisir l’orientation qui leur convient, qu’ils soient garçons ou filles ?
Tu seras sage-femme mon fils !
Nous aurions des progrès à faire. Aujourd’hui encore, la discrimination est flagrante. D’un côté, les métiers du corps et du coeur pour les filles, de l’autre les métiers de transformation, des innovations technologiques pour les garçons. Le nombre de femmes ingénieurs augmente certes, mais les clichés subsistent, et plus les orientations sont précoces, plus les clichés sont forts. “En vingt ans de métier, raconte cette psychologue, conseillère en orientation, je n’ai jamais rencontré une fille qui veuille s’orienter vers la métallurgie ou un garçon qui souhaite s’occuper des bébés. Garçons comme filles procèdent beaucoup par identification, à travers ce qu’ils perçoivent des métiers, à la télé principalement (d’où les demandes sur la carrière féminine de commissaire de police après tel feuilleton à succès !). Derrière ces représentations, la méconnaissance de la réalité des métiers est immense.” Les parents sont très anxieux de réussite scolaire, pour leurs garçons comme pour leurs filles : il faut réussir sa scolarité pour ne pas être au chômage. Mais pour aller où, pour faire quoi ? Au moment de l’orientation, ils disent souvent : fais ce que tu veux, ce qui t’intéresse. Et les jeunes se sentent largués ! Dès la petite enfance, conseillent psychologues scolaires et sociologues, les parents devraient faire partager à leurs enfants leur vie professionnelle, celle des proches, des amis. De façon pratique et systématique. “Les enfants ont besoin d’imprégner leur imaginaire de la réalité du monde professionnel, explique madame Emran, psychologue. Les parents devraient aussi lever le pied côté réussite scolaire, pour suivre leurs enfants plus concrètement, en les aidant à se repérer dans ce qu’ils sont, hors stéréotypes sexués : leurs qualités, leurs désirs, leurs points forts, leur tempérament, à partir de quoi l’avenir peut se discuter. Il ne s’agit pas d’imposer mais de s’autoriser à aider, de faire des propositions.” Les psychologues remarquent également que le poids du passé familial pèse parfois très insidieusement dans les choix professionnels des enfants. Ceux-ci tentent de réparer les échecs des parents : le fils fera mieux que son père, la fille travaillera parce que sa mère était au foyer et l’a regretté. Parfois aussi, ils légitiment les échecs de leurs parents en s’interdisant de réussir dans ce qui leur plairait. Puisque les parents, eux, n’ont pas réussi… “Combien de fois j’entends un père me dire, à propos des difficultés scolaires de son fils : “Mais moi aussi, de toute façon, j’étais nul en maths”, raconte madame Emran, qui ajoute : Si j’ai un conseil à donner aux parents, c’est celui-ci : parlez métier avec vos enfants, et d’abord du vôtre. Aidez-les à développer et inventorier leurs vraies capacités, leurs atouts, sans idées préconçues sur ce que doivent faire les filles et les garçons. Soyez prêts à les accompagner sur des parcours atypiques. Motivé et soutenu, un garçon peut aussi bien réussir en instituteur de maternelle, qu’une fille en chauffeur de camion.” Aujourd’hui, accordons-nous autant de prix à l’autonomie de nos garçons et de nos filles ? Leur laissonsnous la même liberté ? Cela dépend beaucoup des familles, naturellement, de notre souci de justice, de nos désirs de revanche (ou de conformité) par rapport à notre propre adolescence. Nos réactions, pourtant, ne sont pas les mêmes à l’égard de nos enfants. D’après les spécialistes, pères et mères auraient tendance à penser que l’enfant qui n’est pas de leur sexe est plus fragile, plus imprévisible. Selon les théories freudiennes (contestées par un nombre grandissant de chercheurs aujourd’hui) la mère vivrait à travers son fils la virilité qui lui manque et craindrait davantage pour lui les accidents. Toujours selon l’école freudienne, sur l’enfant de notre sexe, nous projetterions ce que nous sommes, nous aurions des attentes plus claires, des désirs de prolongement à travers lui plus marqués. Ce qui est certain, c’est que nous sommes, pères et mères, influencés par des idées toutes faites sur ce qui est “bien” ou “mal” pour une fille et pour un garçon. Un exemple qui illustre ce double aspect? L’achat d’une mobylette. Pour le garçon, la mère pensera d’abord : accident. Elle fera plus confiance à sa fille, qu’elle imagine moins vulnérable, davantage comme elle-même. Le père, lui, sera souvent plus favorable pour le garçon (il a besoin de liberté, comme moi), réticent pour la fille (je ne serai pas là pour la protéger). Pour les deux, le spectre de la sexualité sera à l’arrière- plan pour la fille, celui de la délinquance pour le garçon. Caricature ? Pas complètement. Les vieux stéréotypes résistent surtout sur un point : le lien avec l’extérieur, les sorties. Amina témoigne : “Quand mon frère avait 16 ans, et qu’une bande de copains passait le chercher à la maison, il n’avait aucun mal à les accompagner armé de la double bénédiction paternelle et maternelle. Moi, à 18 ans, je commence juste à pouvoir sortir, et encore… seulement pendant les vacances et à des heures données. Pour eux, ce n’est pas pareil, parce que moi, je peux être enceinte, moi, je peux être attaquée…” Le frangin en question confirme : “Pour tout le reste, orientation scolaire, activités, mes parents ne font pas de différence entre ma soeur et moi. Mais pour les sorties, c’est une sorte de phobie : il ne faut pas qu’une fille sorte seule”. Un garçon aujourd’hui a-t-il davantage les moyens de se défendre ? Est-il moins exposé qu’une fille ? La réponse est peut-être celle de Réda, 15 ans et une belle maturité : “Moi, j’obligerai mes filles à apprendre un art martial. Si je suis sûr qu’elles savent se défendre, je serai aussi relax avec elles qu’avec leurs frangins !” Garçons et filles sont vulnérables. A nous de les armer et de leur donner l’occasion d’expérimenter leur liberté, non en fonction de leur sexe, mais de leur personnalité. ■