Mon entretien d’évaluation de fin d’année aura lieu bientôt, et mon supérieur ne manquera sûrement pas de me détailler en quartiers, tout en charcutant ma prime de fin d’année par la même occasion. Car, au lieu de plan-cher dur sur la réalisation de mes objectifs, j’ai passé beaucoup trop de temps à cogiter, pour attirer le regard de braise du nouveau directeur financier. Je le bombardais de mails bidon en interne, guettant toute la journée les notifications sur ma boîte de réception. Ben quoi ? Il s’agit d’un projet comme un autre, non ? Même si je doute que le patron ait embauché le zouave pour faire précisément du chiffre sur le plan de ses conquêtes au bureau…Et puisque j’en suis à faire mon mea culpa, j’ai aussi quelques broutilles à me reprocher : pour me faire pardonner mes petits retards et absences, j’ai accablé mon pauvre Gibrilou de toutes les maladies infectieuses de l’enfance, et ai tué, au passage, deux grand-tantes et mes deux grand-mères. Bref, ce n’est pas du joli joli ! En attendant, il fallait que je maquille mon bilan un peu limite : il me restait exacte-ment un mois, vingt-cinq jours et trois heures pour justifier de ma valeur ajoutée.Stratégie numéro un : se faire bien voir ! Moi, Fniouna, paresseuse et auto-centrée, j’ai alors vaincu la force de gravitation, rete-nant mes fesses plantureuses sur la chaise. J’ai collé des insomnies tenaces à mon chef en allant lui préparer dix cafés par jour. La photocopieuse était en panne ? Je me dé-vouais, stoïque et en talons aiguilles, pour gravir l’escalier jusqu’au cinquième (oui, car l’ascenseur aussi était hors service !). Et pour parfaire mon nouveau rôle de Flifla super motivée, j’appelais mon supérieur du bureau à vingt-deux heures passées pour complément d’information sur un dossier alors qu’en réalité, je “followais” toute la soirée le directeur financier sur Twitter. Le souci, c’est qu’un jour, une voix féminine m’a sèchement rabrouée au téléphone. J’ai géné-ré une scène conjugale qui n’allait sûrement pas arranger mon augmentation !Stratégie numéro 2 : trouver des excuses énormes à mes performances médiocres. Voyons voir… Les budgets RP et événemen-tiel impactés par la crise mondiale, ça pour-rait avoir des allures de “shutdown” à Sidi Maârouf. Yes ! La formation tardive du gou-vernement Benkirane II qui aurait entraîné une dépression saisonnière chez mes clients, why not? Et puis, je vais surtout soutenir mor-dicus que le maintien de l’heure d’été a per-turbé mes biorythmes.Stratégie numéro 3 : racler les fonds de tiroirs de budget chez quelques res-ponsables com’ parmi mes potes, et les convaincre que je suis prête à lancer n’im-porte quel produit, même un khliâpour végétariens ! Bon, maintenant que j’ai semé les graines de mon futur plan de sauvetage, je vois les escarpins Louboutin se rappro-cher à grandes enjambées. Et oui, prime veut dire semelles rouges et piquantes et sortie magique pour le réveillon, en robe noire, descendant gracieusement d’un coupé Mercedes au bras du direc-teur financier. Ma béatitude a soudaine-ment été interrompue : mille milliards de mille Fniouna, mais qui est le saligaud qui klaxonne depuis tout à l’heure ? Dans mon rétroviseur, j’ai alors découvert, ahurie, la mignonette tête de l’objet de mes fantasmes, sortant d’une guimbarde toute pourrie. Une bizarre réflexion m’est venue spontanément à l’esprit : en voilà un qui a dû se faire souffler quantité de primes annuelles ! â—†