Vous avez dévoilé l’avant-première de votre film “Fatéma Mernissi, la sultane inoubliable” le 8 mars dernier. Le choix de cette date précise est-il un hommage à cette grande féministe ?
Une avant-première intervient généralement juste avant la sortie d’un film dans les salles. Or, j’ai choisi deux choses : la date du 8 mars qui est celle de la journée internationale des droits des femmes pour rendre hommage à cette grande icône de notre pays qu’était Fatéma Mernissi qui, comme chacun le sait, était une combattante des droits de la femme. On ne pouvait pas choisir meilleure date pour faire la projection du film qui lui est dédiée.
Ensuite, j’ai fait le choix d’une salle non commerciale, à savoir celle du musée Mohammed VI à Rabat, et le film était destiné à un nombre limité de spectateurs. La salle ne dépasse pas les 200 places et il fallait aussi composer avec les restrictions et mesures sanitaires imposées par la Covid-19. J’ai aussi fait le choix d’inviter des intimes de Fatéma, des personnes qui ont un esprit critique et de jeunes étudiants. À l’issue de cette première projection, il y a eu des réactions magnifiques. Des personnes ont écrit des choses merveilleuses sur le film, et j’en suis très heureux.
Pour l’avant-première, nous n’allons pas déroger à la tradition, et elle aura lieu dans une grande salle à Casablanca.
Tourner un film sur Fatéma Mernissi a été une évidence pour vous ?
Il est important de connaître les personnalités phares de son pays. De grandes figures du théâtre, de la littérature et de la musique disparaissent, comme Tayeb Saddiki, Tayeb El Alj, Ahmed El Bidaoui, etc., mais personne ne pense à réaliser des productions culturelles pour les commémorer et les célébrer. Ces gens méritent des documents qui serviront pour notre mémoire collective. Le film sur Fatéma Mernissi a été une évidence pour moi. C’est ma façon de donner aux jeunes la possibilité de retrouver ne serait-ce qu’un fragment de l’histoire de leur pays. La gestation de ce film a duré cinq ans, entre l’écriture du scénario, la traversée du tunnel de la Covid, la recherche de la comédienne adéquate pour interpréter le rôle, etc. Bref, cela a été un vrai challenge…
Meryem Zaïmi dans la peau de Fatéma Mernissi. Avez-vous tout de suite pensé qu’elle pouvait incarner à la perfection cette personnalité ?
J’en étais convaincu, et c’est elle qui avait peur, mais j’ai réussi à la convaincre pour endosser ce rôle. Je suis bien évidemment passé par le parcours du casting, mais dès le début, j’ai pensé à elle, car je l’avais déjà vu jouer au théâtre… On sentait la grande comédienne qu’elle est, même lorsqu’elle campe des rôles dans des comédies ou dans des séries. C’est vrai qu’elle avait peur, d’autant plus qu’elle endossait le rôle de Fatéma Mernissi de l’âge de 35 ans à 75 ans, c’est-à-dire jusqu’à sa mort. Il y a les transformations physiques et beaucoup de travail pour retrouver ce personnage à différentes étapes de la vie de la sociologue disparue.
Votre personnage dans le film est interprété par Brice Baxter el Glaoui. Comment s’est fait le choix de cet acteur ?
Un autre acteur, résident en France, était pressenti pour ce rôle, mais il n’a pas pu venir au Maroc à cause de la covid et de la fermeture des frontières. Il fallait lui trouver au pied levé un remplaçant, et j’ai été agréablement surpris par la rencontre avec Brice Baxter El Glaoui. Nous avons travaillé ensemble chez moi pour qu’il s’imprègne de mon personnage… On m’avait suggéré d’interpréter mon propre rôle, surtout à la fin de la vie de Fatéma Mernissi, mais j’ai estimé que je ne pourrai pas être au four et au moulin… Je suis très content de l’interprétation de Brice, et je ne l’en remercierai jamais assez, car ce n’était pas évident pour lui de jouer le rôle d’un personnage qui était devant lui.
Avez-vous été fidèle à l’image et au vécu de Fatéma Mernissi ou avez-vous un peu enjolivé la réalité ?
Ce film est porté par mon affection pour cette femme-là, car elle est de ma famille, et nous avons vécu ensemble lorsque nous étions enfants. Le film raconte par fragments la vie de Fatéma Mernissi, depuis son enfance à Fès jusqu’à sa disparition, en passant par des moments forts de sa vie, ses engagements…. Fatéma Mernissi a été sa vie durant à l’écoute du Maroc qui bouge et dans l’observation permanente de ce qui se passe dans la société. Ses écrits sont respectés, ses textes sont cités, de même que ses conférences… J’étais présent lorsqu’elle a rencontré par exemple Chaïbia, et bien d’autres personnes, lors des voyages que nous avions effectués ensemble à l’intérieur du Maroc, en Espagne, aux Pays-Bas, etc. et j’ai tout filmé. J’ai reconstitué ces moments avec exactitude. La motivation de faire ce film réside dans la sincérité de retrouver ce personnage dans ses activités et mon regard singulier dans la mise en image d’un personnage. Dans ce film, il y a une sincérité et un réalisme prenant…
Vous dites que votre film n’est ni un biopic ni un documentaire. Comment le définir alors ?
C’est mon regard sur Fatéma Mernissi et c’est ce qui fait l’originalité de ce film. C’est une façon qui m’est propre de voir cette femme dans son parcours, et je suis tantôt témoin réel, tantôt observateur distant qui regarde ce qui se passe. C’est ce miroir qui donne au film sa profondeur, car à mon avis un cinéaste ne doit pas se répéter dans la forme ni dans le fond. Ce film, ce sont des bribes de ma mémoire pour restituer la personnalité d’une femme inoubliable, telle que je l’ai connue. Cette tentative est un essai, et j’espère avoir réussi à exprimer cela.
Comment avez-vous travaillé avec Farida Belyazid sur l’écriture du scénario ?
Avec Farida Belyazid, nous avons déjà travaillé ensemble, en particulier sur les films “Badis” et à “La recherche du mari de ma femme”, et il y a cinq ans, beaucoup de personnes nous réclamaient un travail en commun…Farida a été aussi l’amie de Fatéma Mernissi, et je lui ai raconté toutes les choses que j’ai eu l’occasion de faire avec Fatéma, la somme d’information que j’avais recueilli tout au long des évènements importants de sa vie, de ses rencontres, conférences, distinctions… Je pensais qu’il fallait rendre hommage à Fatéma à travers une fiction, et Farida a été très fidèle à cet esprit-là. Il y a eu une collaboration conforme à ce que j’imaginais.
Qu’aurait pu dire Fatéma Mernissi si elle a eu l’occasion de voir votre film ?
Il y a une séquence dans le film où elle me dit : “ce n’est pas moi qui suis importante, mais ce sont mes livres”, et je crois qu’elle m’aurait dit “Oueld hbibi (comme elle m’appelait), tu as bien fait”. J’ai été fidèle à son héritage et à ce qu’elle voulait transmettre.
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Inoubliable Fatéma Mernissi
Le premier tour de manivelle devait être donné le 17 mars 2020. Le film sera tourné finalement entre mai et juin de l’année dernière. Retraçant la vie et le parcours de la militante féministe Fatéma Mernissi disparue en novembre 2015, “Fatéma Mernissi, la sultane inoubliable” révèle, à travers des souvenirs, des écrits et des bribes de mémoires de son cousin (le réalisateur Mohamed Abderrahman Tazi) la trajectoire d’une icône des droits des femmes. Le film n’est pas une biographie à proprement parler, et encore moins un documentaire, mais un regard bienveillant, tendre et réaliste sur la sociologue disparue.
Meryem Zaïmi, la comédienne choisie pour incarner la militante féministe, est époustouflante dans ses gestes et mimiques. On raconte même qu’elle aurait songé à recourir à la chirurgie esthétique pour ressembler plus encore à Fatéma Mernissi. Mais le maquillage artistique, les perruques et les accoutrements ont été suffisants pour que l’actrice soit bluffante dans ce rôle.
Connue et reconnue pour son combat pour la défense des droits des femmes au Maroc et dans le monde arabe, féministe pionnière, Fatéma Mernissi a brisé de nombreux tabous avec des écrits documentés. Elle fut aussi la première femme marocaine à oser analyser le Coran, les hadiths et le fiqh pour remettre en question, preuve à l’appui, des interprétations erronées à l’origine des inégalités et des discriminations dont sont victimes les femmes musulmanes. Curieuse de tout, Fatéma Mernissi prêtait une oreille attentive aux soubassements de la rue marocaine et des rues du monde arabe. Elle discutait avec les plus humbles et possédait cette curiosité unique de s’étonner de tout, et de faire les interprétations les plus justes et les plus avisées de tout ce qui peut paraître “normal”. Elle inscrivait sa démarche dans le partage total, sa demeure ne désemplissait pas, et ses ateliers bruissaient d’échanges féconds entre auteurs connus et inconnus, entre jeunes et moins jeunes. Le film restitue le formidable destin de cette icône du féminisme.
La sortie de “Fatéma Mernissi, la sultane inoubliable” est prévue en mai 2022.
Interview parue dans le magazine FDM numéro 293, avril 2022.