Comment est née l’idée de ce concept innovant qui se décline sous forme de conversations WhatsApp ?
Ce projet est porté par les Hauts-Parleurs, un réseau de reporters francophones dont je fais partie qui s’intéresse aux problématiques liées à la jeunesse. Quand la production m’a proposé de participer à la web-série “Des filles et des règles”, je dois vous avouer que j’étais au départ un peu réticente car j’avais encore en tête les commentaires et railleries suscités par les Internautes suite à la diffusion de la série “First Blood” de Jawjab, tentant, eux aussi, de lever le tabou des règles dans la société marocaine. J’ai ainsi hésité puis j’en ai discuté avec une amie, Yasmine Lahlou, qui a lancé avec Sarah Benmoussa, le mouvement #7achak dénonçant également la précarité menstruelle dans le pays. Au fil de nos échanges, j’ai compris l’impact positif et la prise de conscience provoqués en abordant cette thématique. De plus, le format proposé, à savoir sous forme de conversations WhatsApp, est assez sympathique et en parfaite adéquation avec l’esprit de la jeunesse, de quoi parler en toute décontraction d’un sujet sensible.
Vous êtes quatre filles de quatre pays différents mais quelle similitude avez-vous découvert autour des règles ?
La précarité. Les règles restent synonymes de précarité menstruelle, que ce soit au Sénégal, en France, au Canada ou ici, bien sûr à des échelles différentes. Car au Sénégal et au Maroc, le sujet rime avec restriction voire censure. À mon sens, beaucoup trop de femmes s’autocensurent, engendrant tout simplement de la désinformation.
Quel cliché marocain sur le sujet a le plus choqué les autres filles ?
À l’occasion de la web-série, j’ai interrogé deux hommes dans mon quartier : un chauffeur et son ami. Pendant un long moment durant notre conversation, ils n’ont pas cessé de me faire plaisir en m’affirmant que c’était normal de parler des règles, que les femmes ne devaient pas avoir honte, etc. Puis, au fil des questions, je me suis arrêtée sur l’attitude de l’épicier qui cache les serviettes hygiéniques achetées dans un sac noir ou les emballe dans du papier journal. Et là, ni une, ni deux, leur masque est tombé. Mes interlocuteurs m’ont ainsi répondu en toute spontanéité que le comportement de l’épicier est tout à fait compréhensible parce que les gens ne devaient pas savoir qu’une fille a ses règles, règles qui, soi-dit en passant les dégoûtent…
“Des filles et des règles” s’adresse aussi aux hommes. Le tabou ne peut être levé qu’avec eux. Aussi, quelle est leur réticence et quel est le meilleur argument ?
Il y a deux types d’hommes : ceux qui sont dans l’ignorance mais ouverts, et ceux qui sont désintéressés et écœurés en entendant à peine prononcé le mot “règle”. À mon avis, il est crucial de leur faire comprendre que derrière cette problématique, il y a tout un enjeu social. Encore aujourd’hui, des filles, issues souvent du milieu rural, se voient dans l’obligation d’arrêter leurs études en raison de leur menstruation ! Et pour quel avenir ? Car qui dit abandon scolaire, dit souvent mariages précoces. Aussi, une compréhension enclencherait une série de mesures efficaces permettant une meilleure information bénéfique pour l’avenir d’un pan considérable de notre société. On ne peut exclure les hommes de cette question. Car on le voit aujourd’hui, le contraire renforce l’ignorance et la honte. Il est temps de nous libérer de ce sujet vital pour faire enfin bouger les lignes, incitant ainsi les décideurs politiques à enlever, notamment, les taxes sur les serviettes hygiéniques et/ou installer des distributeurs gratuits dans toutes les toilettes publiques.