De retour d’un voyage professionnel aux Etats-Unis dont l’objectif était de rencontrer des hommes et des femmes d’origines diverses oeuvrant pour la réduction des inégalités dans le monde, j’ai ressenti de l’amertume et de la frustration. Je mesure l’énorme fossé qui sépare nos deux univers, mais il n’empêche qu’il est curieux de constater combien certains pays accusés de tous les maux par des populations arabo-musulmanes, sont en réalité le berceau et le référentiel de la liberté et de la capacité de tout un peuple à se renouveler et à évoluer en s’enrichissant de ses différences ! Et alors qu’une fois de plus, j’étais happée par le pessimisme, quel a été mon bonheur de découvrir dans les kiosques, en couverture de Telquel, le visage de Marocains différents, courageux, qui racontaient un cheminement personnel, une révolution intime souvent bouleversante de vérité. “Ces Marocains qui disent non”, voilà ce que titrait le magazine. “Non” à l’hypocrisie, au conformisme, à l’obscurantisme, à la torpeur et l’inertie généralisées. D’aucuns diront forcément que ces personnes, par leur action, ne font que provoquer gratuitement ; beaucoup exprimeront que ce genre d’attitudes expose une frange de la société à la violence des intégristes ; combien affirmeront que les vrais enjeux pour la société sont d’ordre socio- économique ? Certes, la priorité est de répondre aux besoins socio-économiques de la population, et on ne peut, ceci dit en passant, que déplorer le peu d’énergie accordée à cette question par ceux qui nous gouvernent. Cependant, je reste convaincue que dans un environnement mondialiste, le développement socio-économique et la question des libertés individuelles sont liés. Voir la nouvelle génération s’exprimer et assumer ses différences m’a rappelé que le mouvement de libération que connaît le monde arabe depuis 18 mois maintenant, a été déclenché par une vague de jeunes épris d’un idéal, assoiffés de dignité, de liberté et d’égalité. La révolte de ces derniers a donné à chacun d’entre nous la possibilité d’exprimer ses positions et ses choix. Le plus souvent, les majorités qui se sont exprimées ont donné naissance à des mouvements conservateurs et islamistes, car dans nos pays, les valeurs ne sont associées qu’à un référentiel religieux. A croire que ceux qui n’expriment pas une croyance et une pratique de manière explicite n’en portent aucune en eux… Or, ces jeunes qui affichent paisiblement leurs positions personnelles en désaccord avec le discours religieux ambiant et la masse, ont eux aussi des valeurs à défendre, profondes, nécessaires à toute société qui se veut constructive et sur le chemin du développement : le respect de la vie privée et de la différence. Et après être descendus dans les rues, nous voyons qu’ils sont toujours là, à jouer un rôle politique considérable puisque, par leur persévérance, par leur courage, ils sont en fait les garants de la démocratie.