La voix de l’Egypte brave les religieux.
Après avoir terminé ses études supérieuresà l’université du Caire, la jeune femme que les médias attirent se lance dans une carrière à la radio. De 1992 à1998, elle anime un show baptisé “Confessions nocturnes”. Bothaina sait y faire pour mettre les auditeurs à l’aise.Dans son émission, elle donne surtout la parole à ceux qui n’ont pas souvent l’occasion de s’exprimer et avec elle, on peut parler de ses problèmes de couple,de sexe, d’abus sexuel, de relations sexuelles avant le mariage, d’homosexualité ou de viol conjugal… Mais si Bothaina Kamel fait l’un animité auprès du public qui l’adore et la surnomme d’ailleurs “la femme qui vaut une centaine d’hommes”, sa liberté de ton dérange. Les autorités religieuses se plaignentde plus en plus et un comité consultatif créé au sein du gouvernement dénonce cette émission, qui dressele portrait d’Egyptiens dépravés et vivantdans le péché. Bien que ce show soit l’un des plus populaires en Egypte,il est retiré des ondes.
La guerre des propagandes
Après son éviction de la radio, Bothaina Kamelfait l’impasse sur les médias égyptiens en signe de protestation contre la propagande qui accompagne les élections de2005. Elle fonde avec trois amis le mouvement“Shayfeen” (“vous êtes sous surveillance”),et riposte à la propagande par une campagne féroce contre le Parti nationaldémocratique de Hosni Moubarak. Maisson combat est vain car pour la quatrièmefois consécutive, le PND l’emporte haut lamain. Elle passe alors derrière le petit écran,mais cette fois-ci grâce à une chaîne saoudienne,qui lui confie les commandes del’émission “Please Understand Me”. L’aventuredure jusqu’en 2011, lorsque les producteurssaoudiens sentent que leurs intérêtspourraient être menacés par la révolutionégyptienne qui prend chaque jour plusd’ampleur sur la place Tahrir. Encore unefois, le militantisme de Bothaina dérange…
Révolutionnaires de mères en filles
La contestation, c’est une histoire de famille chez les Kamel. En 1919, la grandmèrematernelle de Bothaina manifestait déjà sur la place Tahrir pour réclamer l’indépendancedu pays. Alors qu’elle n’a que9 ans, Bothaina se joint en 1971 aux étudiantspour manifester une nouvelle fois.“J’en avais plein les yeux, c’était comme dansun rêve”, se remémore-t-elle. Quelquesdécennies plus tard, alors âgée de 49 ans,elle se joint cette fois-ci au mouvement dela place Tahrir, accompagnée de sa fille,pour réclamer la fin du régime Moubarak.Le 11 février 2011, le raïs quitte lepouvoir et un nouveau parlement voit le jour. La victoire longtemps espérée revientalors aux frères musulmans… Les femmes qui portaient cette révolution à bout de bras sont bien vite écartées de lascène politique. L’armée qui remplace Hosni Moubarak au pouvoir fait le grand ménage. Sur la place Tahrir, on force les femmes qui manifestent à passer des tests de virginité afin, dit-on, de vérifier sileur moralité est intacte. Au parlement,les femmes, qui comptaient jusqu’alors 64 sièges sur 518, ne sont plus que huit.Pour Bothaina Kamel, c’en est trop ! Elle passe alors à la vitesse supérieure…
Mon pays, ma bataille
“L’Egypte est mon seul agenda”, c’est désormaisle mot d’ordre de Bothaina Kamel,qui décide de se lancer dans la course auxprésidentielles en tant que candidate enjuin 2011. Pour elle, “le CSFA et les Frèresont très vite montré qu’ils volaient la révolutionau peuple”, et face à ce rapt, Bothainaréagit. “Nous vivons dans un monde moderne,il fallait qu’une femme se présente à cescrutin historique”, explique la candidate.Quitte à être la seule femme dans cettecourse folle aux présidentielles, la militantesillonne le pays et part à la rencontrede ses concitoyens. Mais sa réputation d’activiste opposante au régime la précèdeet bien vite, la télévision d’Etat la boycotte.Elle subit des pressions, on la menace,on l’invective, on la passe à tabac, on la traduit en justice pour insultes… Qu’à cela ne tienne, Bothaina ne baisse pas les bras et continue sa campagne.
Un rêve se brise, mais l’espoirreste intact.
La nouvelle tombe comme un coupereten janvier 2012 : pour être officiellement reconnu comme candidat aux présidentielles,il faut avoir fait son service militaireet recueillir les signatures de 30 députés,à moins d’obtenir celles de 30.000électeurs. Les militaires ont mis la barre très haut et Bothaina est contrainte de seretirer de la course, à un millier de signaturesprès. “J’ai tout de suite su que ce seraitdifficile, mais j’étais déterminée à défendre ledroit des femmes à aspirer aux plus hautesfonctions de l’Etat”, déclare-t-elle suite à sadéfaite. “Tout au long de l’histoire, les femmes égyptiennes se sont révélées, malgré l’obscurantisme, l’intolérance et l’ignorance.(…) Je porte en moi une petite partie de cethéritage”. Mais ce n’est pas pour autant que cette figure de proue du féminisme,de la démocratie et de l’anti-sectarismecapitule. Aujourd’hui, Bothaina Kamel assure qu’elle continuera son militantisme politique dans le but de développer le niveau de conscience politique des Egyptiens.Un projet cristallise tous ses espoirs,elle l’a baptisé “Le parlement desfemmes”. Affaire à suivre…