Au bout de la nuit, la lumière

Fatima a tout juste 26 ans et pourtant elle en a vu de toutes les couleurs. Violée en étant enfant, échangée contre de l’argent par son père, stigmatisée par la société, elle a pourtant décidé de se battre envers et contre tous pour s’en sortir. Aujourd’hui, elle aperçoit enfin une lueur d’espoir et s’y accroche de toutes ses forces. Voici son histoire.

On ne peut pas dire que j’ai eu une vie facile. Mon père est alcoolique, accro aux jeux et bat ma mère à chaque fois qu’il perd ou qu’il rentre à la maison complétement éméché. J’ai donc grandi dans la violence et cela a beaucoup affecté ma vie. Ma mère, pour fuir mon père, se réfugie de temps en temps chez ses sœurs, le temps de panser ses blessures, et me laisse seule à la maison. Aussi entre un père alcoolique et une mère absente, j’étais livrée à moi-même. Avant même d’atteindre le collège, on m’a mise à la porte de l’école car je passais mon temps à redoubler. C’est à ce moment-là que mon père, qui refuse de travailler, m’a obligé à trouver du travail car le maigre salaire de ma mère comme femme de ménage ne suffisait pas à subvenir à nos besoins, et surtout pas aux siens.

Étant fille unique, je n’avais pas d’autre choix que de lui obéir. Sauf que sans aucune formation et savoir-faire, il m’était difficile de trouver quelque chose de stable. J’ai quand même pu avoir un travail dans un salon de coiffure comme femme de ménage. Mais on me traitait trop mal et j’ai fini par abandonner. Je me suis alors tournée vers la mendicité. Avec quelques filles du quartier, on sortait le soir près des bars pour quémander quelques sous. Et c’est là où tout est parti en vrille. J’ai commencé par goûter à la cigarette, puis au haschich et enfin à l’alcool. J’avais à peine 17 ans. Et pour couronner le tout, un soir, en rentrant à la maison, mon père m’annonce qu’il m’avait trouvé un mari. En fait, il s’agissait d’un ami à lui, un ancien détenu récidiviste, qui venait juste d’hériter d’un petit pactole. Mon père, endetté jusqu’au cou, a vu en lui une opportunité à saisir : en m’échangeant contre une somme d’argent, il allait pouvoir éponger ce qu’il devait à son bookmaker et prendre un nouveau prêt, qu’il allait bien évidemment perdre au jeu ! Son ami avait 20 ans de plus que moi et était pire que mon père.

Souvent il lui arrivait de débarquer chez nous en pleine nuit et de m’emmener avec lui faire la tournée des bars, sous les yeux de mon père qui préférait détourner le regard et vider sa bouteille de vin. Pour lui c’était normal, tout ce qu’il voyait, c’étaient les billets de banque qu’il allait bientôt empocher. Un soir, alors que nous étions dans la voiture à l’arrêt avec mon “fiancé” sur la corniche de Casablanca, un jeune homme m’a abordé gentiment par la fenêtre pour me demander un renseignement. Avant même que je ne comprenne ce qui se passait, mon “futur mari” a sorti un couteau, m’a tailladé le visage puis m’a jeté hors de la voiture et a démarré en trombe en m’écrasant la jambe droite en passant. Quand mon père m’a rejoint à l’hôpital et que je lui ai dit ce qui s’était passé, il a refusé de m’écouter et m’a reproché d’avoir saboté tout son plan. Ce jour-là, j’ai compris que je ne pouvais plus rien attendre de cet homme. Mais le fait aussi de voir que pour lui je n’étais rien d’autre qu’un bout de viande que l’on vend au plus offrant m’a anéanti.

De cette soirée, j’ai hérité d’une énorme balafre sur la joue et d’une grande cicatrice sur toute la jambe. Des marques qui m’ont pourri la vie car à part me rappeler cet horrible épisode, elles m’ont valu le rejet de la société qui ne voit en moi qu’une “chemkara” balafrée qui traîne dans les rues, une moins que rien qui ne mérite ni compassion ni pitié. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de reprendre ma vie en main : j’ai commencé par me désintoxiquer, puis par chercher du travail. Au bout de quelques temps, j’ai pu trouvé un emploi dans une usine de confection. Mais très vite, ça a tourné au cauchemar. Mes collègues passaient leur temps à me mettre des bâtons dans les roues. Dès que quelque chose disparaissait de l’atelier, on m’accusait de l’avoir volé. En fait, les gens ne voient que les apparences. Pour eux une personne aussi amochée ne peut être qu’une voleuse. Et ce rejet a été très dur à supporter et j’ai fini par me convaincre moi-même que c’était vrai, que j’étais effectivement une mauvaise personne qui ne méritait pas d’être aimée et d’être traitée avec respect. Je suis donc retournée à la rue pour mendier, puis à fréquenter les mauvaises personnes, à fumer, à boire, à aller dans les bars, et à me prostituer !

Le plus dur n’était pas de coucher avec des inconnus. De toutes les façons, je n’étais pas vierge. Petite, mon oncle paternel abusait de moi et personne ne disait rien. Et puis mon propre père m’a offert sur un plateau d’argent en contrepartie de quelques sous. Donc me prostituer n’était pas insupportable, par contre le manque d’affection, d’amour et de respect me rongeait. Je me sentais souillée, humiliée, une moins que rien, sans aucune dignité. Et même quand j’essayais de me sortir de ce gouffre, la société était toujours là pour me rappeler mes erreurs. J’en suis arrivée au point de vouloir me suicider. Plus d’une fois j’ai avalé tout ce qui me tombait sous la main mais à chaque fois je me faisais vomir car je pensais à ma mère. Je savais qu’elle aussi en bavait, et je ne pouvais pas me résoudre à la laisser seule sans défense face à un père qui un jour ou l’autre allait la tuer.

Encore une fois, j’ai pris sur moi et j’ai tout arrêté : les sorties, l’alcool, la fume, le tabac… 

C’est là où j’ai rencontré une ancienne amie qui travaillait dans un café du quartier et qui m’a aidée à trouver un emploi comme femme de ménage. Puis un jour, elle m’a parlé d’une association qui formait les personnes en situation de précarité, en particulier les jeunes afin qu’ils puissent par la suite trouver un emploi. Le premier jour où j’ai rencontré les responsables de l’Association, j’ai dû tout leur raconter. Me rappeler mon passé a été difficile mais tellement libérateur. J’ai eu peur au départ qu’ils ne me rejettent mais c’est tout le contraire qui s’est passé. Au lieu de me jeter des regards inquisiteurs, ils m’ont souri et ont promis de m’aider à m’en sortir. Pour la première fois de ma vie, je me suis sentie acceptée telle que j’étais et sans être jugée. J’ai décidé alors de me donner corps et âme dans cette formation. Cela fait maintenant sept mois que j’y suis. J’ai énormément appris sur le plan technique mais aussi sur le plan humain.

Aujourd’hui, mon seul rêve est d’être comme tout le monde. J’aspire juste à avoir un travail correct, un salaire qui me permettra de subvenir à mes besoins et à ceux de ma mère, et avoir enfin une vie digne. J’ai finalement compris que même si j’ai perdu 26 ans de ma vie, j’ai encore tout l’avenir devant moi. J’espère que ma mère pourra un jour être fière de moi.

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