Mères célibataires : Au-delà du calvaire, l’espoir

Les femmes qui donnent naissance à des enfants hors mariage sont confrontées à l'ostracisme social. Rejetées et marginalisées, elles voient souvent leur vie suspendue dans un monde d'incompréhension et de jugement. À Casablanca, l'Association de solidarité féminine (ASF) leur tend la main depuis 39 ans, leur offrant un refuge, des soins et une formation professionnelle. Reportage.

Au cœur du quartier Palmier, et plus précisément à la rue Beit Lahm se niche la petite villa aux couleurs vives de l’Association Solidarité féminine (ASF), également connue sous le nom de “l’association de Aïcha Chenna”, en référence à sa fondatrice. Ce lieu accueille chaque jour des jeunes mères célibataires en quête de soutien. Il est 10 heures du matin quand nous franchissons la porte de l’association. À l’intérieur, loin de l’agitation de la ville, règne une atmosphère à la fois paisible et dynamique. On y croise le ballet des bénéficiaires, vaquant à leurs tâches avec détermination. Ménage, balayage soigneux pour préserver la propreté immaculée des lieux, tout est orchestré avec un souci du détail admirable. “C’est notre routine, telles de vraies femmes vaillantes”, lance une des bénéficiaires au milieu de ce va-et-vient, tout en poursuivant son travail. 

À l’étage, dans le hall converti en restaurant pour le déjeuner, l’ambiance devient sérieuse et affairée. Les femmes, investies dans les activités de l’association, se préparent à accueillir les clients avec professionnalisme et dévouement. Parmi elles, Sanae, une jeune femme dans la trentaine, s’active à dresser les tables avec minutie. La récente naissance de sa fille a profondément bouleversé sa vie, laissant des traces de douleur dans son regard. C’est ici, dans “ce cocon chaleureux”, qu’elle a trouvé refuge après avoir été abandonnée par le père de son enfant. “Ma famille ne connaît rien de ma situation. J’attends avec impatience et appréhension la réconciliation avec ma famille. Cela me soulagerait énormément, mais j’ai peur que mon père et mes frères ne l’acceptent pas”, confie-t-elle, les yeux emplis d’émotion. 

Un programme sur trois ans

Ce refuge offre bien plus qu’un simple toit et de repas. En effet, il s’agit d’un véritable lieu de formation et de réinsertion sociale, ici  chaque mère célibataire est engagée dans un programme complet s’étalant sur trois ans. Axé sur une approche pratique, ce programme vise à soutenir les participantes dans leur reconstruction personnelle et professionnelle, en leur offrant une formation diversifiée. “Les mères célibataires sont initiées à divers domaines tels que la cuisine traditionnelle marocaine, la pâtisserie, la coiffure, l’esthétique et le massage”, explique Hania Bounouar, assistante sociale, responsable du pôle social. En parallèle, des cours d’alphabétisation sont dispensés chaque matin, suivis d’ateliers de sensibilisation l’après-midi, couvrant des sujets essentiels tels que la santé, le droit, le bien-être social, le soutien psychologique et la valorisation de soi.

Pendant que nous échangeons, Soukaina, la vingtaine, arrive. “Mon fils a eu des maux de ventre ce matin, c’est pour cela que je suis en retard”, explique-t-elle à l’assistante sociale. Les bénéficiaires, logées dans des chambres à l’extérieur, sont encouragées à ne pas être entièrement dépendantes de l’association, mais à jouer un rôle actif dans la société en étant responsables, autonomes et indépendantes. “Conformément à cette vision, l’ASF ne fournit pas d’hébergement sur place mais encourage plutôt l’autonomie et la responsabilité des mères en les aidant à trouver un logement externe dès leur arrivée”, ajoute Hania Bounouar. Selon elle, cette approche est soutenue par une allocation hebdomadaire de 400 dirhams pour le loyer et d’autres dépenses, ainsi que par la prise en charge des besoins des enfants, notamment en matière d’alimentation et de fournitures. “L’ASF a progressivement évolué en une structure organisée gérant diverses activités génératrices de revenus, comprenant deux restaurants et un hammam, qui jouent un rôle crucial dans l’intégration sociale des bénéficiaires en leur offrant des opportunités d’emploi”, souligne Loubna Chichaoui, responsable du Pôle administratif et des activités génératrices de revenus.

La réconciliation familiale joue également un rôle crucial dans ce programme. L’association accompagne les jeunes mamans dans leur processus de réconciliation avec leur famille, favorisant ainsi un retour à l’harmonie familiale. Selon Hania Bounouar, cette réconciliation soulage considérablement les mères en allégeant le poids de la culpabilité et de la honte. Elle leur permet de retrouver leur humanité et de se libérer du fardeau émotionnel, favorisant ainsi leur épanouissement personnel et une relation plus positive avec leur enfant. En ce qui concerne l’établissement de la paternité de l’enfant, l’ASF intervient pour faciliter le dialogue entre les parents de l’enfant. “Cette approche, initialement non conflictuelle et sans recours à la justice, s’avère souvent fructueuse. Cependant, si le père persiste dans son refus malgré des preuves de fiançailles ou de mariage coutumier, l’association soutient les mères dans l’engagement de poursuites judiciaires pour obtenir une reconnaissance paternelle”, précise l’assistante sociale. 

Suivi 

“Les critères de sélection pour participer à ce programme sont rigoureux, dans le but de s’assurer que seules les femmes les plus éligibles et motivées y accèdent”, explique Hania Bounouar. Les postulantes doivent être majeures, n’ayant pas connu par le passé ce genre de “difficultés” pour éviter les rechutes, et ne pas être impliquées dans des activités telles que la prostitution ou la consommation de substances illicites. Celles qui ne répondent pas à tous les critères sont orientées vers d’autres associations où elles pourront trouver le soutien nécessaire à leurs besoins spécifiques. “Étant donné que l’association ne dispose pas des ressources nécessaires pour les accompagner”, précise l’assistante sociale.

Avant de rejoindre l’association pour remplir les fonctions qui leur ont été assignées, les bénéficiaires doivent d’abord déposer leurs enfants à la crèche de l’ASF, où ils sont pris en charge. Les mamans ont pour obligation de respecter certaines règles, notamment arriver à l’heure, nourrir leur enfant avant de le déposer à la crèche, fournir une tenue de rechange et veiller à son bien-être. Cette étape fait également partie de l’évaluation des bénéficiaires dans le cadre du programme de réintégration sociale. “Cet encadrement est très important pour les enfants nés dans des conditions difficiles. Ils bénéficient d’un soutien adapté à leur situation et d’une attention affectueuse”, souligne Saïda Tanouny, éducatrice. Saïda, comme les autres éducatrices de l’association, a été formée pour assurer le meilleur suivi aux enfants, les encourageant à développer “leur autonomie et leur sens des responsabilités à travers diverses activités”. Ensuite, les cours d’alphabétisation débutent à 8h30, offrant aux mères célibataires la possibilité d’améliorer leurs compétences en lecture et en écriture. S’en suivent des ateliers pratiques telles que la préparation des repas. Les séances de formation au hammam sont également significatives, permettant aux bénéficiaires de maîtriser les techniques de savonnage et de massage, tout en apprenant à avoir confiance en elles.

Pendant ces activités, les jeunes mamans bénéficient d’un suivi attentif de la part des formatrices. Chaque détail est pris en considération, que ce soit leur progression dans le travail ou leur état d’esprit. Les formatrices consignent toutes ces observations et les transmettent aux responsables de la formation. “Cette approche met en avant la mission sociale de l’association et l’importance du bien-être des bénéficiaires ainsi que de leur évolution personnelle et de leur relation avec leur enfant”, insiste Loubna Chichaoui. À la fin du programme, les bénéficiaires se voient décerner des diplômes pour faciliter leur insertion professionnelle ou les encourager à créer leur propre entreprise, comme l’explique Loubna Chichaoui.

Un nouvel espoir

Alors que les minutes s’écoulent et que l’heure du déjeuner approche, le stress se fait de plus en plus intense.  À 11 heures, l’agitation prend d’assaut la cuisine du restaurant de l’association. Le temps devient précieux, et il ne reste désormais plus qu’une heure avant l’arrivée des premiers clients. Sous la supervision attentive de Hakima Bennasser, formatrice en cuisine marocaine, les bénéficiaires s’activent avec une détermination remarquable. “Quand je suis arrivée ici, je touchais le fond. L’association m’a tendue la main et m’a redonnée espoir”, partage Kalthoum en coupant les derniers morceaux de tomate. Au menu, couscous, Rfissa, plats marocains traditionnels ainsi que des salades rafraîchissantes, concoctés avec passion et proposés à des tarifs accessibles, offrant ainsi un moment de réconfort à tous ceux qui franchissent les portes de l’ASF. “Ces femmes méritent d’être soutenues et encouragées”, souligne la formatrice.

Ainsi, en dépit de la marginalisation, de la stigmatisation et du mépris auxquels elles sont confrontées, ces femmes retrouvent  un espoir au sein de l’association fondée par feue Aïcha Chenna. Cette véritable pionnière dans la lutte contre les tabous sociaux a brisé le silence entourant des sujets sensibles tels que la sexualité, l’avortement, le viol et la prostitution. Grâce à son engagement indéfectible, des centaines, voire des milliers d’enfants ont été sauvés de l’abandon et ont pu retrouver une stabilité, réintégrés dans la société. D’après Hania Bounouara, il est crucial que l’ADN soit reconnu comme preuve incontestable de la filiation paternelle, garantissant ainsi aux enfants leur droit fondamental à la reconnaissance et à la dignité. “Car au final, et dans le cadre d’une relation où deux personnes sont impliquées de la même manière, seules les femmes doivent subir les conséquences et par la suite les enfants et c’est injuste que les hommes puissent faire tout cela par un simple rejet ou une absence choisie ?”, conclut la responsable du Pôle social.

Rejetées parce qu’elles ont aimé

• Hakima*, 34 ans, a quitté Lâayoune pour trouver refuge au sein de l’association. Elle a dissimulé la vérité à sa famille, prétendant vivre avec son mari et leur fils dans une autre ville. En réalité, son partenaire l’a abandonnée quelques jours après la naissance de leur enfant et a disparu depuis. Conseillée par une amie, elle s’est tournée vers l’association, qui lui a offert son aide. Alors que sa mère est au courant de toute l’histoire grâce aux efforts de réconciliation de l’ASF, son père est toujours dans l’ignorance. Aujourd’hui, elle est à un an du terme de son programme de réintégration sociale. “Grâce à l’association, j’ai décidé de garder mon fils que j’avais l’intention d’abandonner. J’ai aimé, fait confiance, et c’est précisément cet amour qui me rend douloureusement consciente des punitions que la société, ma famille et la loi m’infligent”, confie Hakima.

• Zineb*, âgée de 21 ans, résidait à Marrakech avec ses parents lorsqu’elle est tombée enceinte de sa fille. À quelques mois de grossesse, elle s’est retrouvée sans abri, craignant d’être “tuée” par son père et ses frères. Fort heureusement, un chauffeur de taxi, la trouvant endormie dans la rue, lui a recommandé de se rendre à Casablanca à l’ASF. Elle a entamé son programme il y a à peine quelques mois. “J’ai aimé quelqu’un et je paie le prix fort pour cela. Aujourd’hui, tout ce que je souhaite, c’est obtenir le pardon de mon père. Je ne supporterais pas qu’il me maudisse pour le reste de ma vie”, raconte Zineb, les mains tremblantes.

(*) Les noms ont été changés. 

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