Quelles sont vos impressions suite à cette masterclass organisée dans le cadre de la Caftan Week ?
C’était un véritable honneur pour moi. Partager un moment avec d’autres créateurs, même issus de disciplines différentes, est toujours enrichissant. La majorité étaient des designers de caftans, mais chacun apporte sa propre interprétation. Comme nous l’avons évoqué, chacun a sa vision du caftan, de sa conception à sa présentation. Être parmi eux a été une expérience précieuse.
Vous avez un peu disparu ces derniers temps, non ?
Vous avez raison. J’ai été très occupé avec mes clientes. Ma concentration était ailleurs. Je n’ai pas créé de nouvelles collections récemment, mais cela est dû au fait que je gère tout moi-même. Je n’ai pas d’équipe, je conçois, je couds, je fais tout, seul. Heureusement, je n’ai plus besoin de m’occuper de l’emballage. Cela prend énormément de temps. Mes clientes sont principalement des femmes marocaines, et j’ai une clientèle fidèle. Au Maroc, si quelqu’un porte votre vêtement, tout le monde se demande qui l’a conçu. Cela m’apporte constamment de nouvelles clientes. En termes de créativité, je me suis davantage concentré sur des projets spécifiques. Récemment, j’ai participé à une exposition aux Pays-Bas, mettant en avant des designers marocains. J’y ai même collaboré avec un artisan brodeur de Fès. C’était une nouvelle façon d’explorer des idées et de voir ce qui se profile à l’horizon.
Vous êtes donc en pleine transition ?
Exactement. Je suis dans une phase de réflexion. Je me demande vers où je veux aller, quelle direction prendre. Mais tout se passe bien, c’est pourquoi je reste au Maroc. Je sais que je dois nourrir ma créativité, mais je l’ai un peu négligée, pour être honnête. Cependant, avec des projets comme celui-ci, cela ravive ma passion. Mais ce n’est pas encore suffisant. Je dois retrouver cette part de moi que j’ai négligé.
Et vous la ressentez, cette absence de créativité ?
Oui, je la ressens. Maintenant, je suis plus occupé à gérer les commandes, les clients, les aspects logistiques. C’est créatif, certes, mais c’est répétitif. Ce n’est pas une vision globale. Quand vous collaborez avec quelqu’un, vous devez respecter son corps, ses proportions. Beaucoup de choses changent. Mais quand vous créez une collection, c’est votre vision, vous l’imposez, et vous voyez qui y adhère.
Vos robes architecturées et votre drapé ont fait votre renommée. Votre vision du vêtement a-t-elle évolué avec le temps ?
Pour être honnête, je garde toujours mon esthétique. J’ai une technique, une façon de travailler. Bien sûr, cela a évolué. Avec le temps, on comprend mieux le corps humain. Je ne travaille pas sur des mannequins, mais sur des corps réels, avec de belles courbes, des formes féminines, des corps vivants. Cela a influencé mon approche. Mais mon esthétique reste la même, même si elle a évolué.
Quel est votre processus de création : par quoi commence une pièce ?
Quand je dessine, je commence toujours directement sur le corps, avec un mannequin. Je ne travaille pas sur des patrons plats. Cela vient plus tard. C’est une approche directe, intime, qui reflète mieux la réalité du vêtement porté.
Quid de l’héritage marocain dans vos créations ?
J’ai toujours travaillé avec des artisans locaux. Mais récemment, j’ai eu l’occasion de redécouvrir le brocart. J’ai vu les possibilités que ce tissu pouvait offrir et cela m’intrigue vraiment. J’aimerais explorer davantage ce matériau. Il est fabriqué à la main, et il existe très peu de personnes dans le monde qui maîtrisent cette technique. C’est fascinant. Je l’ai ignoré jusque-là, mais c’est une erreur de ne pas l’explorer.
Dans un monde de la mode qui évolue rapidement, comment percevez-vous votre place ?
Mon ancrage est au Maroc. Je n’ai pas l’ambition de devenir un designer international. Peut-être que c’était le cas au début, mais ce n’est plus mon objectif. J’ai trouvé des femmes au Maroc qui apprécient mes créations. Il y a encore beaucoup de place pour se développer localement. J’espère qu’il y aura une plateforme pour les designers intéressés par des vêtements modernes, mais il y a encore de la place pour les designers de caftans.
Pensez-vous avoir un jour recours à l’intelligence artificielle ?
Pour certains designers, cela fonctionne. Cela peut aider à visualiser des idées avant même de les réaliser. C’est merveilleux pour ceux qui travaillent ainsi. Probablement, nous allons dans cette direction, car même les matériaux sont fabriqués par la machine. C’est incroyable de voir comment cela évolue. Mais je viens d’une génération où tout est fait à la main, où chaque pièce est touchée par la main. Et je célèbre toujours la créativité locale.
Quels conseils donneriez-vous aux marocain(e)s qui souhaiteraient devenir créateur ?
Travailler dur. Ne pas attendre qu’une opportunité se présente, mais créer ses propres opportunités. Faites une collection, montrez-la dans un quartier. C’est possible maintenant. Utilisez votre téléphone, demandez à vos amis de porter vos créations, organisez un défilé dans la rue. Mais vous devez prendre cette responsabilité. Ne vous attendez pas à ce que quelqu’un vous donne une plateforme. Soyez proactif. Et bien sûr, développez votre propre identité. C’est essentiel. En plus de travailler dur, si vous êtes jeune, faites des stages avec différents designers. Même si ce n’est que pour deux ou trois semaines, cela vous apportera beaucoup. Je sais que c’est compliqué pour les étudiants marocains de voyager pour un stage, mais l’Internet est une excellente ressource. Explorez-le. Et ce n’est pas seulement pour visualiser Paris. Allez à Istanbul, vous n’avez pas besoin de visa. Il y a de bons designers là-bas. N’attendez pas que cela vous arrive, allez chercher ce que vous voulez.