Dans “Everybody loves Touda” de Nabil Ayouch, vous incarnez Touda, un personnage féminin qui rêve de devenir Cheikha… Quelle femme est-elle ?
C’est une femme forte, belle, rebelle, une battante qui tente de trouver une école à son fils, sourd-muet, à Casablanca. Elle se démène pour lui offrir l’opportunité de suivre des études. Elle veut un meilleur avenir pour lui mais aussi pour elle. Aussi, travaille-t-elle très dur et décide-t-elle de réaliser son rêve, celui de devenir une Cheikha respectée au Maroc.
Pourquoi ce rêve ?
Car, au fond d’elle, c’est une artiste. Elle aspire à être respectée dans ce domaine … comme moi dans le milieu cinématographique. Je rêve de ce statut.
Avez-vous trouvé d’autres liens ou ressemblances entre Touda et vous ?
Oui, beaucoup. J’en ai toujours avec mes personnages mais j’ai ressenti une connexion particulière avec Touda. Nous nous ressemblons sur beaucoup de points. Nous ne lâchons rien et nous avons ce côté rebelle.
Quel regard portiez-vous sur les Cheikha avant ce long-métrage ?
Je me souviens qu’à l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle de Rabat (ISADAC) où j’ai fait mes études, j’ai lu un livre sur l’histoire des Cheikha dont Kharboucha, une poétesse engagée, une légende marocaine, qui excellait dans l’art de l’Aïta. Sa personnalité, sa force, ses textes m’ont littéralement captivée. Je crois que depuis cette lecture, j’attendais ce rôle. Aussi, lorsque Nabil Ayouch est arrivé avec le personnage de Touda, j’étais vraiment très heureuse de l’interpréter.
Depuis, votre regard a-t-il changé ?
Mon admiration pour ces femmes s’est même accentuée. Pour incarner ce rôle, j’ai côtoyé trois magnifiques Cheikha : Khadija El Bidaouiya avant qu’elle ne décède, Siham El Masfiouiya et Houda Nachta qui est restée avec moi à la maison. Toutes les deux, nous sommes parties dans des soirées où chantent les Cheikhates. Vous savez, dans ces vieux bars de Casablanca (rire). Je me suis vraiment plongée dans leur vie.
Escarpin bicolore en cuir Alexandre Vauthier, Les Muses.
Que vous ont-elles appris ?
À chanter, à danser, à parler comme elles. Elles ont leur propre langage, Ghous, pour que personne ne les comprenne. J’arrive maintenant à les comprendre. J’aime également beaucoup l’Aïta, ce chant rebelle, très fort. Lorsque je l’ai chanté dans le film, je me suis sentie moi-même. Je crois que j’avais cette Aïta au fond de moi.
“Everybody loves Touda” a l’air d’être un film très spécial pour vous ?
Oui, il l’est. Il m’a aidée à mieux me comprendre, et, je vous avoue, que ce n’est pas facile (rire). J’ai compris que je dois être comme les Cheikha, avoir la même force et la même résistance. Ce sont des femmes qui se sont émancipées et ont fait outre le regard de la société. Ce film leur rend hommage mais elles sont de moins en moins nombreuses alors qu’elles apportent tellement à notre pays.
Vous avez incarné une mère célibataire dans le film “Adam” de Maryam Touzani, une rebelle flamboyante en cavale dans “Reines” de Yasmine Benkiran, et, à présent, une Cheikha dans “Everybody loves Touda” de Nabil Ayouch. Êtes-vous une actrice féministe ?
Je pense qu’à force d’interpréter des rôles féministes, je le suis devenue. À travers mes personnages, j’ai cherché à être la voix de ces femmes qui sont jugées, malmenées, maltraitées par la société patriarcale. Puis, personnellement, j’ai un regard particulier sur le féminisme. Il y a plusieurs courants. Le mien n’est pas fermé. Je ne veux pas être contre les hommes. Je suis pour l’égalité, la vraie.
Pour vous, y-a-t-il un véritable cinéma féministe au Maroc ou ce ne sont encore que les prémices ?
Pour moi, le cinéma féministe existe bel et bien au Maroc, et ce, grâce au travail initié par la pionnière du cinéma marocain, la réalisatrice Farida Benlyazid que je respecte et que j’admire énormèment. Je l’ai rencontrée au début de ma carrière et elle m’a proposé de travailler ensemble sur l’un de ses projets. Malheureusement, cela ne s’est pas fait. Je le regrette car j’adore sa vision, sa sensibilité et son cinéma.
Comment choisissez-vous vos rôles ?
Je les choisis avec le cœur. Lorsque je lis un scenario, je dois ressentir quelques choses dès les premières pages sinon je n’accepte pas le rôle.
Que refusez-vous dans un rôle ?
Qu’il ne soit pas solide. J’en ai refusé beaucoup car je trouvais que le personnage n’avait pas assez de force ou de caractère. Je ne tiens pas non plus à rejouer un personnage déjà interprété. On m’a beaucoup sollicitée pour incarner à nouveau des rôles de mères célibataires
mais ce n’est pas possible. Je ne veux pas qu’on m’enferme dans une case. Je préfère composer à chaque fois un personnage différent. Je refuse également d’aller vers des représentations stéréotypées.
Le mouvement #MeToo dénonçant les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma, n’a pas eu le même écho au Maroc. Le déplorez-vous ?
Je déplore qu’on ne dénonce pas, tout court, des violences. Mais, personnellement, je n’ai jamais été témoin ou je n’ai jamais ressenti du harcèlement, quel qu’il soit, dans ce milieu au Maroc. Je pense que les femmes ont, aujourd’hui, besoin de courage pour aborder ce sujet mais aussi tant d’autres comme une meilleure représentation des femmes à l’écran. Pourquoi la femme endosse trop souvent le “seconde rôle” ou ont une place inégale face à un homme dans le cinéma ? Cette injustice me dérange beaucoup.
La Moudawana est en train d’être révisée. Sa version finale n’a pas toujours pas été dévoilée. Mais qu’en attendez-vous ?
Beaucoup (sourire). Il est important qu’il y ait une véritable égalité homme-femme. Je trouve inconcevable, injustifiable et injuste, qu’une femme qui se remarie perde la garde de son enfant, qu’elle ne soit que la gardienne de ses droits et non sa tutrice comme l’est son père, etc. Les enfants ont deux parents : un père et une mère ! Je trouve cette injustice actuelle très méprisante pour les femmes…
Parlez-nous de vous Nisrin, quelle femme êtes-vous ?
Je suis une personne très gentille (rire). Je l’avoue, je suis femme complexe et méfiante. Je ne fais pas confiance du premier coup, ni du second d’ailleurs (rire). Je travaille sur moi mais ce n’est pas facile. Le passé vous façonne… Sinon, j’aime aussi beaucoup rire.
Qu’est-ce qui vous révolte ?
Donner son cœur, aimer… C’est un sentiment vertigineux et intense qui peut vous émerveiller, vous troubler, vous rendre folle, puis vous faire vaciller, vous blesser, vous anéantir… Se laisser aimer est une épreuve, un sacré pari !
Qu’est-ce qui vous fait avancer ?
C’est l’amour mais de ma famille qui m’a toujours soutenue.
Quand avez-vous su que vous vouliez être actrice ?
À l’âge de 6 ans, lorsque j’ai pris mes premiers cours de théâtre. C’est inexplicable mais j’ai su, à cette époque-là, que le jeu de scène, le cinéma, serait mon métier. Aussi, j’ai foncé. J’ai intégré une troupe de théâtre à l’école et j’ai fait des études de cinéma après le bac, avant de me lancer.
Quels conseils donneriez-vous à Nisrin, enfant, si vous la rencontriez ?
Je lui en donnerai beaucoup mais je crois que je lui dirai de ne pas être comédienne… Ce métier, aussi passionnant soit-il, est prenant. Chaque personnage que je joue me possède, m’habite, me hante. Ce n’est pas facile. J’ai mis, par exemple, beaucoup de temps, de mois, à quitter le personnage de Touda. Je n’arrêtais pas d’appeler Nabil (Ayouch) pour lui dire : “Elle est toujours là, en moi ! Qu’est-ce que je fais ?!”. Nabil rigolait, me réconfortait et me disait tout simplement d’attendre un peu car Touda allait bien partir un jour ou l’autre. Vous savez, le cinéma est un domaine magnifique, il vous anime, mais il est autant exaltant qu’impactant.
Quels sont vos prochains projets ?
Tout d’abord, la tournée de “Everybody loves Touda” avec notamment l’avant-première au Festival international du film de Marrakech (FIFM), avant les Oscars 2025. Puis, deux longs-métrages : “L’héritier de secret” de Mohamed Nadif et “Zarzis” de Farzad Samsami, dans lesquels j’incarne deux très beaux personnages. Malheureusement, je ne peux pas vous en dire plus. Soyez patiente (sourire).
Et la réalisation ?
J’y pense beaucoup. Nabil (Ayouch) me pousse à me lancer. Il croit en moi. Je le ferai certainement mais je pense que ce n’est pas encore le bon moment…