Vous êtes devenue la première cheffe d’orchestre du monde arabe, en remplaçant au pied levé le chef invité Wolfgang Dorner. Vous avez qualifié cette opportunité de “coup du destin”. Quelques mois après, quel impact cela a-t-il eu sur votre carrière ? Quel regard portez-vous sur cet événement historique ?
Ça me parait à la fois si loin, presque irréel, et encore tellement présent… Effectivement, je pense que ça ne pouvait se faire autrement qu’après un certain alignement des astres. Il me fallait ce petit coup de pouce du destin pour réaliser ce que plusieurs personnes attendaient peut-être de moi depuis un moment déjà. Je ne réalisais ni la signification, ni la portée de cet événement. Aujourd’hui encore, il m’est difficile de mesurer l’impact réel sur ma vie et sur l’histoire. Ce qui est certain, c’est qu’il a amorcé un virage et m’a ouvert un monde des possibles ! Vous savez, le destin, c’est drôle quand même… Je me rappelle qu’en préparant la programmation artistique de la saison 2022/2023 de l’Orchestre Philharmonique du Maroc (OPM), je me disais qu’une femme devait cette année diriger l’orchestre. Mon choix s’est alors porté sur une jeune cheffe polonaise pour venir diriger le Concours International de Musique de l’Orchestre prévu en mars prochain. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je me réjouissais qu’enfin une femme dirige l’OPM, mais, en même temps, une partie de moi se disait que c’était vraiment dommage que cette première femme ne soit pas moi… Eh bien, en fin de compte, la vie a décidé à ma place. Je suis heureuse, et touchée, qu’elle m’ait fait confiance.
Quels souvenirs gardez-vous de ce premier concert joué en tant que première femme cheffe d’orchestre ? Quel a notamment été l’accueil du public ?
J’en garde un souvenir exceptionnel. J’étais en communion avec cet orchestre qui m’a vu grandir. J’étais pleinement là, et en même temps, complètement ailleurs. Avant le début des représentations, une voix off annonçait le remplacement du chef invité… Depuis les coulisses, je guettais la réaction du public, la craignant presque. À la fin de l’annonce, les applaudissements ont été chaleureux et m’ont donné des ailes.
Quelles avancées peut-il, ou doit-il, conduire dans le milieu de la musique classique notamment au Maroc ?
Les actions à mener sont nombreuses. Il y a une infinité de façons de démocratiser la musique classique. Le premier cap à franchir, serait de lui faire une place à la télévision et à la radio. De la même manière, les écoles pourraient décupler leurs efforts pour rapprocher la musique classique des plus jeunes. L’OPM, en collaboration avec les Ecoles Internationales de Musique et de Danse de Casablanca et de Rabat, organise régulièrement des concerts scolaires dédiés aux enfants. Plusieurs écoles se prêtent au jeu, mais l’impact pourrait être encore plus grand si d’autres enseignants et directeurs prenaient conscience de tout ce que la musique peut apporter à un enfant. Les conservatoires nationaux aussi ont un grand rôle à jouer. Tant dans la diffusion, la médiation, que dans la formation. Il y a beaucoup de réformes à mener. Le chantier est à la fois gigantesque et passionnant. Il faut simplement le saisir à bras-le-corps, avec la conviction que l’art (comme le sport), constituent le socle et l’unité d’un peuple. Ils nous unissent, nous définissent et nous nourrissent à la fois.
Que peut apporter la féminisation du secteur ?
La féminisation de ce milieu, je ne m’en inquiète pas tant que ça. C’est un milieu où il faut se montrer persévérant, et c’est l’une des qualités que nous pouvons accorder aux femmes. Il est vrai qu’il y avait à une époque un a priori qui freinait les jeunes filles à s’inscrire dans les conservatoires, la musique était souvent liée au milieu de la nuit. Mais je pense qu’aujourd’hui, le métier de musicien au Maroc a gagné ses lettres de noblesse. Je suis confiante. Il faut juste un peu de temps.
Quels sont vos prochains projets ?
Il est difficile de répondre à cette question de façon construite… Aussi je vous donne des bribes d’infos me passant par la tête : plus de temps baguette à la main? Accompagner l’ouverture d’autres écoles Mazaya au Maroc ? Des projets d’ailleurs ?
L’amour musical de Dina Bensaid
Pour vous, quelle œuvre musicale est le symbole de l’amour ?
Carmen, Tosca, La Bohème, Madame Butterfly… Autant d’incontournables sublimement mis en musique et en scène par des génies absolus.
Quelle symphonie évoque la folie amoureuse, la fougue des premières instances ?
La Symphonie Fantastique de Berlioz.
Quelle partition décrit le mieux la rupture sentimentale ?
Ne me quitte pas de Nina Simone.
Quel est votre compositeur de drame sentimental ?
Peut-être Brahms… qui a passé sa vie amoureux de Clara Schumann, l’épouse de son ami et mentor Robert Schumann…
Et celui de l’amour pur ?
J’associe l’amour pur au divin… Aussi, Jean-Sébastien Bach qui excelle dans l’écriture de la musique sacrée.