Les journées s’allongent, le soleil brille, les vacances sont là… L’été déploie ses promesses de liberté et de légèreté. Mais derrière cette jolie carte postale se cache souvent une autre réalité teintée de pressions en tous genres. À mesure que les tenues s’allègent, les injonctions refont surface : il faudrait être mince, le teint parfaitement hâlé, afficher un bonheur sans faille et des escapades idylliques, comme si l’été ne valait d’être vécu que filtré par les codes d’un bien-être standardisé. Pour beaucoup, cette saison censée rimer avec détente devient une source de stress : complexes exacerbés, charge mentale alourdie, attentes irréalistes. Loin d’être un simple moment de repos, l’été se transforme ainsi en vitrine sociale, où l’apparence et le mode de vie sont scrutés à la loupe.
Comme le rappelle Rabia Gharbaoui, psychothérapeute et coach en PNL et neurosciences: “L’été met tout en lumière : notre corps, notre vie, nos choix… Il devient une vitrine de toutes les injonctions modernes : être mince, bronzée, heureuse, entourée, stylée…”. Le phénomène s’explique par une exposition physique accrue : le corps se dénude avec les maillots de bain, les tenues légères, les sorties à la plage ou en piscine. “Cette visibilité renforce les jugements sociaux, mais elle est aussi amplifiée par la mise en scène quasi-permanente sur les réseaux sociaux. Les clichés de vacances parfaites, les sourires figés et les corps retouchés créent une norme difficile à atteindre”, poursuit l’experte. De son côté, la psychiatre et professeure affiliée à l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), Imane Kendili, insiste sur le poids culturel : “L’été est devenu un baromètre social où il faut prouver qu’on va bien. Cette pression pèse tout particulièrement dans les sociétés où le regard des autres est omniprésent, comme au Maroc”. Elle agit comme une injonction à réussir l’été, à montrer un bonheur et une beauté normés.
Les injonctions au corps parfait et leurs conséquences
La saison estivale ravive en effet une obsession autour du “corps parfait”, minceur et bronzage inclus. Les médias, la publicité, et surtout les réseaux sociaux véhiculent une image stéréotypée de ce que devrait être un corps estival. Les “summer body challenge” ou les régimes “spécial été” sont autant de messages insistants qui marquent les esprits, particulièrement chez les femmes. Rabia Gharbaoui souligne l’impact profond sur l’estime de soi : “Les conséquences sont profondes : culpabilité, rejet de son image, comparaison constante, voire troubles du comportement alimentaire.” L’association entre valeur personnelle et valeur esthétique conduit à une souffrance psychologique, un cercle vicieux où la personne se sent inadéquate face à ces standards inatteignables. “On en vient à confondre la valeur personnelle avec la valeur esthétique”, ajoute Imane Kendili. Face à ces injonctions, les deux spécialistes appellent à une redéfinition urgente de la beauté, en mettant en avant la diversité des corps, la pluralité des expériences, et un regard plus bienveillant sur soi-même.
Déconstruire les messages culpabilisants
Dans un monde saturé d’images et de normes, comment échapper à la pression ? La clé réside dans la capacité à déconstruire les messages toxiques et à développer un esprit critique. Pour Rabia Gharbaoui, il s’agit d’une forme de résistance : “La liberté, c’est de ne pas mentir à soi-même. Non, ce corps n’est pas un problème; non, ces vacances n’ont pas besoin d’être parfaites.” Elle invite à se rappeler que la publicité vend des idéaux, non des réalités, et que les réseaux sociaux ne montrent que les coulisses “filtrées, retouchées, scénarisées”. S’en détacher, c’est commencer à se libérer. Imane Kendili insiste aussi sur la bienveillance active : “Cultiver une bienveillance envers soi-même, limiter l’exposition aux réseaux sociaux, suivre des comptes inspirants et créer des moments de joie hors ligne sont essentiels.”. Revenir à ses propres besoins plutôt qu’aux injonctions externes est un moyen efficace de préserver son équilibre psychique.
Gérer la charge mentale des vacances
L’été ne se limite pas à la pression sur le corps. Il s’accompagne souvent d’une lourde charge mentale, notamment liée à l’organisation des vacances. Le choix du lieu, la gestion des relations familiales ou amicales, et la nécessité de contenter tout le monde peuvent transformer les congés en source d’angoisse.
Rabia Gharbaoui pointe la responsabilité souvent portée par les femmes : “Organiser, prévoir, contenter tout le monde… Les vacances deviennent un second travail, surtout pour les femmes. Valises, repas, activités, budget, gestion des émotions des uns et des autres… la femme doit penser à tout”. Elle poursuit en citant le philosophe Pascal Bruckner: “Le devoir de bonheur est la pire des tyrannies.” Et d’ajouter : “Si tout doit être beau, réussi, inoubliable, alors plus rien n’est léger. Or, le repos est un droit, pas un luxe.” Car derrière ses airs insouciants, l’été peut être un vrai casse-tête logistique et émotionnel. Le plus difficile selon la spécialiste ? “La pression de devoir faire plaisir à tout le monde, à la famille et à la belle famille, quitte à s’oublier soi-même.” Même constat du côté d’Imane Kendili pour qui “la belle-famille cristallise bien souvent des rapports de pouvoir, des malentendus, des obligations implicites. On n’ose pas dire non, on craint de froisser, on se conforme. Et ce qui devait être une parenthèse de répit se transforme en compromis permanent, voire en étouffement.”
Face à cette pression, il est crucial de comprendre que la perfection n’est pas un objectif raisonnable. “Il est essentiel de poser ses limites, d’exprimer ses besoins sans culpabiliser, et de rappeler que non, on n’est pas obligée que tout soit parfait, harmonieux, mémorable”, assure la psychiatre.
Apprendre à ralentir
Pour préserver son bien-être, les deux expertes proposent des pistes concrètes, fondées sur l’écoute de soi et la simplicité. Rabia Gharbaoui recommande de “définir son propre été idéal, pas celui des publicités. S’accorder de vraies pauses, même brèves. Apprendre à dire non sans culpabiliser et demander de l’aide si besoin. Se reconnecter au présent, savourer l’instant. Accepter l’ennui comme un moment nécessaire au repos mental.”
Imane Kendili abonde dans le même sens : “Le repos est un besoin fondamental, pas un luxe.” Elle suggère des rituels simples : marche en pleine nature, exercices de respiration consciente, moments de gratitude.
Un vrai temps de pause, dépourvu de la course à la performance, a des bénéfices profonds. Sur le plan physique, il favorise la réparation corporelle, améliore la qualité du sommeil et renforce le système immunitaire. Psychiquement, le repos libère le mental saturé, stimule la créativité, et permet une meilleure écoute de soi. Comme le rappelle Rabia Gharbaoui : “Un été apaisé, c’est un reset pour le corps et l’esprit. Moins de stress, plus de sommeil, une meilleure régénération.”
Imane Kendili résume cette idée en soulignant la nécessité de : “s’arrêter, de respirer, d’exister sans performance”. Ces moments de ralentissement nous reconnectent à l’essentiel : marcher pieds nus, écouter la mer, rire sans raison, cuisiner avec lenteur. Ces micro-bonheurs sont au cœur du vrai repos.
Rabia Gharbaoui conseille de changer son discours intérieur en remplaçant “je dois” par “j’ai envie”. Porter ce qui fait du bien, non ce qui est dicté par les modes. Pour elle, “Vivre un été aligné, c’est choisir le réel plutôt que le virtuel, le plaisir plutôt que la performance, soi-même plutôt que les normes.” Imane Kendili rappelle, pour sa part, que s’accepter demande du courage dans un contexte saturé d’images idéalisées. “S’accepter, c’est choisir la paix intérieure plutôt que la performance extérieure.”
Un été de renouveau
S’autoriser à ne rien faire, à ralentir, est un défi majeur dans une société où la productivité est valorisée à l’extrême. Rabia Gharbaoui rappelle : “Ralentir, c’est se donner la permission de ressentir, de respirer, de simplement être”. S’autoriser l’oisiveté est un acte de sagesse et de résistance, une forme d’humanité retrouvée. Cela passe par des gestes simples : moments sans objectifs, acceptation de l’ennui, bienveillance envers soi, droit à l’imperfection.
Imane Kendili invite à déconstruire l’idée que la valeur d’une personne réside dans ce qu’elle accomplit: “L’oisiveté est un espace nécessaire où l’esprit peut se poser et se ressourcer.” Apprendre à ralentir, c’est aussi réapprendre à écouter son corps et ses émotions.
L’été est aussi un temps propice à l’introspection et au bilan. Loin du tumulte du quotidien, cette période offre un espace hors du temps pour faire le point sur soi, réajuster ses priorités, et repartir avec un nouvel élan. Rabia Gharbaoui propose une méthode simple : “Le journal de mi-année, avec trois questions : Qu’ai-je appris sur moi depuis janvier? Qu’est-ce que je veux laisser derrière moi ? Qu’ai-je profondément envie pour les mois à venir ?” Ces questions invitent à un bilan doux, loin des grandes résolutions anxiogènes, et à poser des intentions réalistes. Imane Kendili confirme: “Ce bilan aide à avancer en conscience, dans la douceur et sans pression.”
Avec les clés proposées par nos deux expertes, il devient possible de transformer cette parenthèse en un véritable temps de répit et de renouveau : résister aux injonctions, s’autoriser à dire non, cultiver la bienveillance envers soi, et reconnecter avec ses besoins profonds.
Ainsi, loin des standards imposés, l’été peut devenir un tremplin vers plus de clarté, d’alignement et de paix intérieure pour aborder la rentrée avec sérénité et force.
Pourquoi, à votre avis, des attentes irréalistes pèsent sur les individus durant l’été ?
L’été est une saison propice au repos, aux retrouvailles en famille ou entre amis. C’est aussi le moment où l’on cherche, consciemment ou non, à montrer la meilleure image de soi, comme une forme de récompense ou l’aboutissement d’une année de travail. Cela passe souvent par l’idée de vacances idéales, avec un corps parfait, une alimentation équilibrée, un mode de vie “inspirant”. Une sorte de vitrine personnelle, perçue comme un signe extérieur de réussite.
Quels conseils donneriez-vous pour préserver son équilibre psychique durant cette période ?
Mon meilleur conseil, c’est la déconnexion, d’abord des réseaux sociaux, une forme de détox saine. Et si on n’arrive pas à une détox digitale complète, on peut simplement se connecter le matin et le soir, en évitant d’être en ligne en permanence. Parce qu’en étant connecté tout le temps, on finit par comparer ses vacances à celles de personnes qu’on admire ou qu’on suit, et cela peut nous faire sentir moins bien. Je conseille aussi de rester fidèle à soi-même. L’été ne devrait pas être une rupture, même s’il représente une pause dans nos routines.
Les vacances, qu’on les passe seul, en famille ou entre amis, devraient rester dans la continuité de ce que nous sommes… On peut aussi en profiter pour emporter nos livres favoris, ceux qu’on n’a pas eu le temps de lire pendant l’année, ou même quelques films qu’on aurait aimé voir, mais qu’on n’a jamais eu l’occasion de regarder à cause d’un emploi du temps trop chargé. C’est une pause, oui, mais une pause dans la continuité.
Comment réapprendre à s’autoriser à ne rien faire ?
Honnêtement, c’est très difficile de ralentir à notre époque, parce qu’on vit dans une société qui exige toujours plus, toujours mieux. On nous demande en permanence d’être performants. Cette quête de performance s’étend désormais aux vacances elles-mêmes : choix de la destination, standing de l’hôtel, niveau de dépenses… Tout devient un terrain de comparaison. On se compare aux vacances de ses voisins, mais aussi à celles des personnes qu’on suit en ligne. Et cela ne tient même pas compte de ceux qui n’arrivent pas à décrocher du travail. Beaucoup gardent leur téléphone professionnel allumé, répondent à leurs mails parce que leur métier ne leur permet pas de faire de vraies pauses.


