L’a réforme du système éducatif est “un choix politique aux dimensions souveraines, dépassant la logique de la gestion sectorielle, tout en s’orientant vers l’instauration d’une école publique qui garantisse le développement des capacités et l’ascension sociale, ainsi que l’inclusion dans le Maroc de l’avenir auquel nous aspirons tous, sous la sage conduite de SM le Roi Mohammed VI.” C’est en ces termes que s’est exprimé, le 19 mai 2025, Aziz Akhannouch, Chef du gouvernement, devant les parlementaires lors d’une séance plénière axée sur “La réforme du système éducatif : de l’école pionnière à l’université d’excellence en faveur des générations montantes”.
Près de deux ans et demi après le déploiement de la feuille de route 2022-2026, force est de constater que l’approche gouvernementale a déjà permis un saut qualitatif de l’offre éducative. Des avancées chiffrées attestent de la mise en œuvre réussie de cette feuille de route qui répond à une volonté affirmée de rompre avec les approches traditionnelles de réforme du système éducatif. C’est ainsi que la feuille de route a ciblé en priorité l’amélioration de la qualité des apprentissages, l’accompagnement des élèves qui éprouvent des difficultés, la mise à niveau des établissements scolaires et leur équipement en moyens numériques, afin d’améliorer la qualité de l’enseignement dispensé aux élèves. Cette dynamique a été soutenue par une enveloppe budgétaire inédite de plus de 85 milliards de dirhams dédiée à la réforme du système éducatif marocain pour l’année 2025, et un effort massif de formation continue pour les enseignants, accompagnés par un dispositif d’encadrement renforcé.
Lire, écrire, compter : Une urgence pédagogique
Selon les chiffres officiels, plus de 300.000 élèves quittent l’école chaque année, et seuls 25 % participent à des activités parascolaires. Des constats alarmants qui ont accéléré la mise en place d’une réforme holistique de l’éducation.
La feuille de route 2022-2026 s’appuie ainsi sur une large concertation nationale ayant impliqué plus de 100.000 participants, parmi lesquels des enseignants, des élèves, des familles et des acteurs associatifs. Trois objectifs majeurs sont fixés à l’horizon 2026 : doubler le nombre d’élèves maîtrisant les fondamentaux (lecture, écriture, mathématiques), doubler la part des élèves bénéficiant d’activités parascolaires et réduire d’un tiers la déperdition scolaire.
Selon les données du Ministère de l’Éducation nationale, la feuille de route s’articule autour de 12 engagements concrets répartis en trois axes : les élèves, les enseignants et les établissements.
Pour les élèves, il est prévu de généraliser un préscolaire de qualité, supervisé par l’État, afin de garantir des bases solides dès le plus jeune âge. Les programmes scolaires et les manuels sont en cours de révision pour mieux développer les compétences fondamentales et renforcer la maîtrise des langues. En ce qui concerne les élèves en difficulté, ils bénéficient d’un accompagnement personnalisé, avec un suivi régulier de leurs acquis et des dispositifs de remédiation adaptés.
L’orientation scolaire a également été repensée pour s’adapter aux profils, aux talents et aux aspirations, en proposant des parcours professionnels ou d’excellence dès le collège. Enfin, l’appui social (transport, cantine, internats, etc.) sera renforcé afin de favoriser l’égalité des chances, notamment dans les zones rurales.
Concernant les enseignants, la réforme prévoit une formation initiale professionnalisante (Licence en éducation, formation pratique, stage encadré), ainsi qu’une formation continue obligatoire, adaptée aux réalités du terrain. Leurs conditions de travail seront améliorées, avec des classes moins encombrées, des outils pédagogiques performants et un soutien psychologique renforcé.
Un système de gestion de carrière plus juste et plus motivant sera mis en place. Ainsi, les enseignants seront mieux évalués, mieux rémunérés selon leur engagement et leur performance, et accompagnés s’ils sont affectés à des zones difficiles.
Du côté des établissements, la priorité est donnée à l’amélioration des conditions d’accueil. Bon nombre d’écoles ont été équipées de façon plus adéquate (sanitaires, bibliothèques, salles multimédias), grâce à une meilleure numérisation. Le rôle des directeurs devra également être renforcé à travers
une formation au leadership et une meilleure autonomie administrative, pédagogique et financière.
En parallèle, l’esprit de coopération entre enseignants, parents, inspecteurs, collectivités locales et associations est appelé à être encouragé, afin d’instaurer un climat scolaire sain, respectueux et sécurisé. Les activités parascolaires et sportives sont progressivement intégrées aux projets d’établissement, avec le soutien d’associations partenaires. L’objectif étant de favoriser l’épanouissement des élèves.
Reprendre les fondations
Inscrite dans une dynamique de transformation structurelle, cette réforme entend faire de l’école marocaine une fabrique de citoyens autonomes, intégrés et porteurs de compétences utiles au développement du Royaume. “Réformer l’école ne consiste pas à empiler des briques au sommet d’un édifice fragilisé, mais à reprendre les fondations, à les injecter, à les consolider. C’est sans doute pourquoi la feuille de route 2022-2026, plutôt que de céder à l’effet d’annonce, choisit de revenir à l’essentiel : lire, écrire, compter”, affirme Abdelkhalek Hassini, enseignant-formateur-chroniqueur et conférencier. “Près de 70 % des élèves marocains en fin de primaire peinent à comprendre un texte simple ou à résoudre un problème élémentaire. Or, un enfant qui n’a pas appris à lire correctement en primaire est condamné à errer scolairement toute sa vie”, précise-t-il. Ces carences, détectées de manière flagrante, justifient selon Mohamed Guedira, professeur universitaire, spécialiste des politiques éducatives, une intervention urgente au niveau du primaire. “En effet, cette étape constitue la base de tout le système éducatif : si les fondations sont fragiles, les difficultés se cumulent au collège, puis au lycée, et favorisent le décrochage scolaire. Renforcer les acquis fondamentaux dès les premières années d’école est donc essentiel pour éviter que ces lacunes ne deviennent chroniques”, explique-t-il. Outre les compétences fondamentales, l’élève marocain semble également manquer de soft skills, notamment les compétences sociales, l’intelligence émotionnelle et la communication. “Ces aptitudes, pourtant essentielles à l’épanouissement personnel et professionnel, sont largement négligées. Le ministère a donc réagi en intégrant ces dimensions à sa feuille de route”, fait savoir le professeur Guedira.
Les avancées clés de la réforme
La réforme de l’éducation au Maroc franchit des étapes importantes, comme l’a exposé Mohamed Saâd Berrada, ministre de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports en mars dernier. L’un des chantiers majeurs de cette transformation est le déploiement progressif des “Écoles Pionnières”, qui, après avoir concerné les cycles primaires, sont désormais étendues aux colléges. Le programme couvre l’ensemble des provinces et préfectures du Royaume, qu’il s’agisse de zones urbaines, périurbaines ou rurales. Pour l’année scolaire en cours, 2.626 écoles primaires et 232 collèges (soit 10 % du réseau public) fonctionnent déjà sous ce modèle, marquant une avancée significative. Pour les collèges pionniers, l’enjeu majeur est la lutte contre l’abandon scolaire. Accompagnement psychologique, soutien scolaire, activités culturelles et sportives, salles connectées sont déployés et adaptée à l’âge sensible des élèves.
Le préscolaire, autre composante clé de la réforme, connaît également une dynamique positive. Le taux de généralisation a dépassé les 80 %, avec l’objectif clair d’atteindre une couverture totale d’ici 2028. Ce développement repose sur un modèle de gestion innovant et une offre pédagogique de qualité.
Parallèlement, la réforme se penche sur l’amélioration des conditions du personnel du ministère. Le ministre Mohamed Saâd Berrada a souligné l’adoption d’un nouveau statut, accompagné de réformes administratives et financières visant à revaloriser les métiers de l’éducation. L’objectif affiché est de renforcer l’attractivité du secteur et d’accompagner la montée en compétence des professionnels de l’enseignement et de la formation.
In fine, la mise en œuvre de la feuille de route s’effectue de manière progressive. Après une phase de préfiguration dans des établissements pilotes en 2022-2023, la réforme sera progressivement étendue à l’échelle nationale jusqu’en 2026-2027.
Territorialiser l’action éducative
Par ailleurs, la réussite du déploiement de cette feuille de route suppose de relever un nombre non négligeable de défis, dont notamment celui de la gouvernance éducative, comme le soulève Abdelkhalek Hassini. “Il faut territorialiser l’action éducative, créer des marges d’adaptation locale, responsabiliser les équipes pédagogiques, former et soutenir les directions d’établissement”.
Le second défi concerne l’enseignant, sans qui cette réforme ne peut éclore. “L’école repose d’abord sur une relation humaine entre un adulte et des enfants. Or, comment espérer transformer l’école sans revaloriser les conditions d’exercice de celles et ceux qui la portent chaque jour ?”, s’interroge Hassini.
Les enseignants jouent un rôle central dans la réussite de la feuille de route 2022–2026. Leur implication est essentielle à chaque étape de sa mise en œuvre. “Pour cela, il est indispensable de les motiver et de les valoriser. Cette valorisation ne se limite pas à la rémunération, elle passe aussi par la reconnaissance de leur rôle, un dialogue constructif et un accompagnement professionnel”, relève Mohammed Guedira, spécialiste des politiques éducatives. À cet égard, il convient de signaler que la feuille de route s’est attaquée de front à cet aspect à travers plusieurs initiatives dont notamment le renforcement de l’attractivité du métier ou encore le Prix de l’enseignant de l’Année dont la sixième édition a été célébrée en janvier dernier.
Une démarche proactive
Il est important que l’institution adopte une démarche proactive : aller vers les enseignants, leur expliquer les enjeux de la réforme, créer des espaces d’échange et d’évaluation partagée. “Être enseignant, c’est aussi avoir une responsabilité citoyenne. Un enseignant engagé est quelqu’un qui s’interroge, qui cherche à progresser, et qui contribue à faire évoluer le système”, soutient Mohammed Guedira. Car sans cette conscience professionnelle, une partie du corps enseignant risque de rester à l’écart de la dynamique de réforme.
Autre point important, et non des moindres est le financement. Le budget du ministère de l’Éducation nationale devrait atteindre 5,8 % du PIB d’ici 2027, avec une hausse moyenne estimée à 5 milliards de dirhams par an. Lors d’une réunion de la Commission ministérielle chargée du pilotage de la réforme du système de l’éducation nationale et du préscolaire, il a été relevé que le budget global dédié au département de l’Éducation est passé, grâce à la volonté politique du gouvernement, de 62 milliards de dirhams en 2021 à 85 milliards de dirhams dans le projet de loi de finances 2025 (soit une évolution de plus de 45%) et une enveloppe annuelle supplémentaire de 9,5 MMDH prévue jusqu’en 2027.
L’école de demain ne saurait se construire sans justice sociale. C’est dans ce cadre que la feuille de route 2022-2026 insiste sur l’extension du soutien aux élèves issus de milieux modestes : plus de 3,1 millions de bénéficiaires de la bourse scolaire, 115.000 repas distribués quotidiennement, et une forte progression du transport scolaire (+10 % en un an). L’usage du Registre social unifié a permis un ciblage plus précis des aides, dans un esprit d’équité.
Un changement de regard des familles sur l’école publique, passant d’une totale défiance à une solide confiance demeure, par ailleurs, un gage de la pleine réussite de la réforme de notre système éducatif.
Vue d’ensemble de l’offre éducative
Les 12 engagements autour des 3 E
POUR LES ÉLÈVES
1. Un préscolaire de qualité, régulé par l’État et généralisé pour préparer l’ensemble des élèves à la réussite scolaire.
2. Des programmes et des manuels scolaires favorisant l’acquisition des compétences fondamentales et la maîtrise des langues.
3. Un suivi et un accompagnement personnalisés pour aider les élèves à surmonter les difficultés d’apprentissage.
4. Une orientation des élèves vers de nouveaux parcours adaptés à leurs profils pour augmenter leurs chances de réussite.
5. Un appui social renforcé pour promouvoir l’égalité des chances entre les élèves.
POUR LES ENSEIGNANTS
6. Une formation d’excellence tournée vers la pratique permettant aux enseignants d’adopter une pédagogie efficace et bienveillante.
7. Des conditions de travail améliorées pour répondre aux besoins des enseignants et renforcer davantage leur impact sur les élèves.
8. Un système de gestion de carrière incitatif et valorisant pour encourager les efforts des enseignants au profit des élèves.
POUR LES ÉTABLISSEMENTS
9. Des établissements accueillants, bien équipés et utilisant le numérique.
10. Un directeur au leadership renforcé pour améliorer la qualité de l’établissement.
11. Un esprit de coopération entre les acteurs de l’établissement pour instaurer un climat de confiance et de sécurité.
12. Des activités parascolaires et sportives au service de l’épanouissement des élèves.
Source MEN
Pourquoi la feuille de route 2022-2026 met-elle l’accent sur la maîtrise des compétences fondamentales en primaire ? Est-ce un choix pertinent ?
Les évaluations comme PIRLS, TIMSS et PISA montrent la faiblesse préoccupante des acquis scolaires au Maroc, avec un retard moyen de 150 points par rapport aux standards internationaux et près des deux tiers des élèves ne maîtrisant pas les savoirs de base. L’accent mis sur les compétences fondamentales n’est donc pas un simple choix, mais une nécessité. C’est la mission première de l’école, et y parvenir doit être vu comme un retour à la normale. Toutefois, cette priorité devrait être élargie à des compétences plus élevées comme la pensée critique, la créativité et la résilience, dans une approche globale de l’éducation.
Quels sont les principaux défis à relever pour réussir le déploiement
de la feuille de route 2022-2026 ?
Le premier défi est organisationnel : réussir la généralisation des écoles pionnières en garantissant les ressources humaines, matérielles et financières nécessaires pour maintenir la qualité. Le deuxième est sociétal : faire de l’école publique une priorité nationale partagée par tous. Le troisième est politique : assurer la continuité des réformes au-delà des alternances gouvernementales, notamment par l’application stricte de la loi-cadre sur l’éducation.
Quel rôle les enseignants doivent-ils jouer dans la réussite de la feuille de route 2022-2026 ?
Le rôle des enseignants est crucial. Trois conditions doivent être réunies : une formation initiale et continue de qualité, une carrière attractive et valorisante, et une implication active dans la réforme. Ils ne doivent pas être de simples exécutants, mais des acteurs à part entière, capables d’inspirer et de construire le changement avec l’institution.


